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Portrait

Christian Saint-Palais, défenseur avant tout

par Chloé Enkaoua, journalistele 16 mars 2022

Son nom laisse à croire que sa voie était déjà toute tracée. Pourtant, Christian Saint-Palais a fait quelques détours avant d’admettre que la robe était faite pour lui. D’ailleurs, celui qui se décrit comme un « rural à Paris » ne cesse de le répéter : il est avocat par nature, et parce qu’il a toujours défendu. Mais il ne le sera jamais socialement. « Au fil des ans, j’ai adopté quelques codes parisiens. Mais mon accent ne trompe personne », sourit ce natif d’un petit village du Béarn, près de Pau, qui a grandi dans une famille d’agriculteurs. « Je suis fils de paysans, et cela me détermine tant dans mon attachement à la liberté que dans certains traits de mon caractère. Je sais où je suis né, et je sais aussi que je serai un jour enterré à 500 mètres de cet endroit. » Le droit, s’il l’a toujours attiré, lui apparaît donc au départ comme un « monde inaccessible ». Il vise tout d’abord une carrière dans l’enseignement et intègre l’école normale de Pau après son bac. Au bout de trois ans, à tout juste 20 ans, il devient instituteur… tout en gardant dans un coin de sa tête l’idée d’embrasser un jour une carrière juridique. L’avant-veille de sa première affectation, il demande ainsi un mi-temps afin de pouvoir, en parallèle, mener des études de droit. Il décroche à terme un DEA de droit public à l’université de Pau et entame un début de thèse dans la perspective de l’agrégation. « Il faut savoir s’évaluer dans la vie : je me suis rapidement aperçu que je n’avais pas le niveau pour cela », résume-t-il simplement. « Mais jusque-là, je m’étais interdit de penser à mon rêve qui était au fond de devenir avocat. Je m’étais créé une sorte de barrière mentale. »

D’une rencontre à l’autre

Le cœur fera finalement le reste. À 26 ans, il monte dans un train en direction de la capitale pour y rejoindre son épouse, qui avait intégré le conservatoire de Paris. Il postule alors à une petite annonce parue dans Télérama pour rejoindre l’équipe de lancement de Drogue Info Service, qui se créait tout juste. Un an plus tard, il passe finalement le concours d’entrée à l’école d’avocats de Pau et prête serment en 1992. Christian Saint-Palais effectue sa première collaboration au sein du cabinet parisien spécialisé en expropriations et baux commerciaux de Jacques Raynaldy, qui s’était occupé du dossier d’expropriation de son père. « Je lui ai demandé s’il pouvait me prendre en stage, et il a fait le pari d’accepter et de me proposer de devenir son collaborateur », raconte-t-il. « J’ai alors compris que l’orientation d’une carrière dépendait beaucoup des rencontres que l’on fait. » Trois ans plus tard, en 1995, celle du pénaliste Jean-Yves Le Borgne scelle définitivement son destin. « Il a été le deuxième à me donner une chance et à m’offrir une collaboration, alors même que je n’avais jamais fait de droit pénal », poursuit celui qui deviendra ensuite son associé en 2000. Depuis, les deux « stars » du barreau ne se sont plus jamais quittées. « Il y a parmi les avocats une grande différence entre ceux qui “font le job” et ceux qui s’investissent dans la mission comme constituant, au fond, la finalité d’une existence », commente Jean-Yves Le Borgne. « C’est dans cette deuxième catégorie qu’il faut inscrire Christian Saint-Palais. On peut se retrouver le dimanche au cabinet sans que ni l’un ni l’autre trouvions cela anormal. »

Dès lors, les dossiers se sont enchaînés. En 2004, Christian Saint-Palais est notamment désigné pour être l’avocat de Romain Dupuy, un jeune schizophrène responsable du meurtre de deux infirmières à l’hôpital psychiatrique de Pau, autour duquel s’est noué le débat sur la responsabilité pénale des malades psychiatriques et qui, in fine, a été déclaré irresponsable pénalement par les juges. « Ce dossier m’a longtemps taraudé », se souvient l’avocat. « J’ai plaidé le fait qu’il ne pouvait pas aller en prison compte tenu de son état mental. Mais est-ce vraiment ce que lui exprimait ? Cela m’a conduit à me poser beaucoup de questions, tant sur les relations aux médias que sur la relation au client. » Autre dossier marquant pour lui, la défense de l’avocat Karim Achoui, condamné à sept ans de prison pour complicité d’évasion dans l’affaire Antonio Ferrara et finalement acquitté en appel en 2010. « J’ai été heureux de pouvoir défendre un avocat qui était poursuivi pour un acte qu’on lui reprochait dans le cadre de son exercice professionnel », raconte l’associé. « Il est important pour moi d’essayer d’expliquer ce qu’est notre métier, et que l’engagement pour la défense d’un client n’est pas forcément un signe de complicité. » C’est dans le cadre de cette affaire qu’il fait la rencontre de l’avocate Clarisse Serre, qui est aujourd’hui l’une de ses plus proches amies au sein du barreau. Et, petit milieu oblige, face à laquelle il a ensuite dû plaider dans le dossier de la tentative d’assassinat de Karim Achoui. « C’est une vraie référence pour moi », dit-elle de lui. « À chaque fois que je vais plaider aux assises, la veille de la plaidoirie, je l’appelle. C’est une sorte de rituel, car je sais qu’il a toujours le bon mot et beaucoup de recul sur les situations. Mais dans l’affaire Karim Achoui, qu’il défendait, nous étions opposés. Cela m’a mis un coup au moral ; d’une part, parce que je connais l’oiseau et savais qu’il serait un redoutable adversaire et, d’autre part, parce que je savais qu’on ne pourrait pas se téléphoner pendant cette période ! »

La liberté avant tout

De manière générale, Christian Saint-Palais garde en mémoire tous les prononcés de verdicts lourds. Ces moments où, dit-il, « on se retourne vers celui qu’on a défendu et que l’on échange un regard, une émotion ». « J’ai toujours été marqué par la dignité des personnes en face », glisse-t-il. « Même quand tout semble perdu, je n’ai jamais eu de reproches. » Et de tels échanges, soulagés ou déçus, il y en a eu. Beaucoup. Parmi ses nombreux dossiers, on peut citer ceux du braqueur Rédoine Faïd, de Jérôme Lavrilleux dans l’affaire Bygmalion, de Patrick de Fayet dans le dossier UBS ou encore d’Alexandre Benalla. Concernant son rapport à ses nombreux clients, l’avocat l’assure : « Ce sont eux qui nous choisissent. » « Chaque fois, on se demande : pourquoi moi ? On s’interroge systématiquement sur notre aptitude à répondre à leurs attentes. Dans tous les cas, il se noue un rapport singulier avec la personne. Et cela peut aussi ne pas fonctionner. J’ai de mon côté toujours eu à cœur de rester qui je suis, avec ma personnalité, et de ne pas me transformer lors d’un rendez-vous. » L’associé a en outre sa méthode, maintes fois éprouvée, qui consiste à toujours challenger la personne qu’il a en face. « J’ai la préoccupation d’exposer à celui que je défends tous les éléments que j’ai identifiés dans le dossier qui vont lui être défavorables. Certains peuvent voir cela comme une trahison, mais c’est ma stratégie pour gagner, car il ne faut jamais oublier que nous sommes dans un combat judiciaire. Je suis toujours à l’écoute et disponible, mais jamais complaisant ; certains peuvent ainsi repérer une certaine dureté qui peut ne pas les satisfaire… » Surtout, Christian Saint-Palais a toujours voulu protéger sa liberté. « J’ai une clientèle très variée : droit pénal, financier, criminel, etc., mais je crois être exactement le même pour chacune d’entre elles », souligne-t-il. « On défend parfois de grands escrocs et manipulateurs, et il s’agit de ne pas être une victime supplémentaire. Il faut savoir garder de la distance pour ne jamais se comporter in fine comme un complice. Dans le pénal financier, notamment, beaucoup d’hommes de pouvoir ont l’habitude de profiter de leur statut et de considérer leur entourage, y compris leurs avocats, comme des subordonnés. Je ne suis pas un valet. »

Cette liberté, il l’illustre également par le fait de se retrouver aussi bien sur les bancs de la défense que de la partie civile. Un poncif pour un avocat pénaliste, certes, mais qui s’est récemment matérialisé de manière flagrante lorsque Christian Saint-Palais s’est retrouvé à défendre simultanément la famille du père Jacques Hamel, assassiné à Saint-Étienne-du-Rouvray en 2016, et Yassine Atar, l’un des accusés de terrorisme au procès des attentats du 13 novembre 2015. « L’image peut étonner, mais le hasard du calendrier fait que je me retrouve dans cette situation », commente-t-il dans un haussement d’épaules. « J’ai choisi de devenir avocat pour participer au fonctionnement d’un État de droit, et pour permettre à tous ceux qui sont confrontés à une institution judiciaire très violente et codifiée de défendre leurs droits. L’important, c’est d’être cohérent et de ne pas avoir de parole publique qui vienne limiter l’une des deux défenses. »

Médias et combats

Côté paillettes, Christian Saint-Palais a également défendu à plusieurs reprises le rappeur Joey Starr, ou encore la vedette de télé-réalité Nabilla Benattia dans son procès pour violences volontaires aggravées envers son compagnon. Des affaires qui l’ont également mis dans la lumière, d’une manière différente. Il se souvient notamment, lors du dossier Nabilla, de paparazzis faisant le guet au pied de son cabinet du VIe arrondissement parisien, boulevard Saint-Germain. « C’était comme un jeu », sourit l’avocat. Lequel espère néanmoins être avant tout connu et reconnu pour sa discrétion : « Je réponds aux médias et je vais sur les plateaux, mais surtout dans une préoccupation pédagogique, pour expliquer le rôle d’un avocat pénaliste », souligne-t-il. « Nos clients eux-mêmes nous demandent parfois d’intervenir médiatiquement pour défendre leur position. » L’associé l’admet, il est parfois difficile de résister aux sirènes d’une exposition personnelle. « Mais jamais je n’ai plaidé mes dossiers sur les plateaux », précise-t-il. « Il y a pour moi des lieux, des émissions où un avocat devrait s’abstenir de se rendre… Il en va de l’image du barreau. Notre boussole reste l’intérêt du client. » Une boussole qui le guide même dans son rapport aux confrères et aux journalistes, y compris ceux dont il est devenu proche en trente ans de fréquentation des palais. « Confier une information secrète sur un client, sauf dans l’intérêt de la défense, est une trahison qui nous déshonore. Il faut à chaque fois résister, et accepter d’être parfois moins aimé mais respecté. » Cette image sérieuse et intransigeante, l’avocat la cultive. Et ses plus proches amis, s’ils révèlent également un côté très blagueur dans l’intimité, parlent d’un professionnel redoutable et inflexible. « Il est très diplomate, mais il est aussi capable de lancer des “scuds” avec un calme olympien », dévoile Clarisse Serre. « Peu d’avocats savent faire cela. Il a cette aptitude-là à dénoncer les choses avec une colère froide, ce qui est beaucoup plus efficace que de s’emporter. »

Des colères froides, mais aussi des combats dont il se fait souvent le porte-parole dans les médias. Récemment, l’avocat est ainsi monté au créneau contre l’ouverture d’enquêtes sur des faits prescrits, notamment en matière d’infraction sexuelle. Une prise de position qui n’est pas passée inaperçue… Il faut dire que depuis peu, Christian Saint-Palais représente également Jean-Jacques Bourdin face à la plainte de l’ex-standardiste de l’entreprise Méditraining pour agression sexuelle, harcèlement et exhibition. Des faits datant d’il y a trente-quatre ans. « Si les faits ne sont pas prescrits, je n’aurai aucune difficulté à porter la défense d’une victime, alors même que j’accompagne des mis en cause et que je peux utiliser comme défense que les faits sont à ce point anciens que la preuve de la culpabilité ne peut être apportée », indique-t-il. « Ma seule demande, c’est que le parquet prenne ses responsabilités ; si à l’évidence les faits sont prescrits, alors que l’on cesse tout. On ne peut pas mobiliser des moyens humains et matériels pour instruire sur des faits anciens de trente-cinq ans. »

Idéal de justice

En sa qualité de président de l’Association des avocats pénalistes (ADAP), dont il a pris les rênes de 2016 à 2021, Christian Saint-Palais s’est également exprimé sur diverses évolutions du métier, et a notamment été vent debout contre les box vitrés dans les salles d’audience. « Il faut que nous nous battions pour conserver une justice humaine. Les box vitrés, comme la visioconférence, sont pour moi les symboles de la distance que l’on met entre les juges et les justiciables ; une distance vécue comme une marque d’indifférence, voire de mépris, et qui sape l’autorité de la décision à venir », déplore l’avocat, avant de rappeler également l’importance de préserver le procès. « On multiplie actuellement les voies de négociation, comme avec la CRPC et le plaider-coupable que l’on voudrait étendre à la matière criminelle », observe-t-il. « Je n’y suis pas spontanément favorable, surtout quand ce sont des pis-aller parce que nous n’avons plus les moyens d’organiser de vrais procès. Le barreau se doit de toujours maintenir le cap vers un idéal de justice. » Et lorsqu’on lui demande de définir son métier, Christian Saint-Palais s’anime : « Être pénaliste, c’est mettre le pied dans la porte, car la place offerte à la défense n’est pas immense… Il faut gagner cette place par les lois, convaincre le législateur qu’il faut offrir des droits, puis essayer d’occuper le plus possible cet espace. Nous intervenons en matière de liberté et sommes chargés d’intérêts individuels, pas de l’intérêt général. »

L’avocat de 58 ans poursuit sa description en mentionnant un investissement personnel sans faille. Celui-là même qui le pousse à se rendre à son cabinet les week-ends et à écumer les parloirs pour rendre visite à ses clients. Et ce dévouement, Christian Saint-Palais l’assure : elle imprègne aussi la nouvelle génération de ténors du barreau… « Sur les bancs de la défense du V13, ça y est, je suis le vieux », s’amuse-t-il. « Je suis enthousiasmé par l’engagement des jeunes confrères. Ils sont extrêmement compétents et prennent sur leur vie privée pour se rendre le samedi à Fleury ou à Fresnes, alors même qu’ils n’ont rien à gagner financièrement parlant dans ce dossier. C’est ce que j’appelle le barreau éternel, dévoué à la défense des libertés. » Une génération par ailleurs, selon lui, encore plus armée techniquement et juridiquement que la précédente… et à laquelle il faudra bien un jour ou l’autre laisser la place. « Je crois de toute façon qu’il faut savoir quitter la scène assez tôt », relativise l’associé. « Ceux qui restent trop longtemps ternissent souvent un peu leur image, et par conséquent celle de leur barreau. Tout le monde n’est pas Henri Leclerc. » Pour la suite, Christian Saint-Palais se voit bien endosser à nouveau une responsabilité éducative. Et pourquoi pas prendre la tête de l’École nationale de la magistrature (ENM), à l’instar de son amie Nathalie Roret, qui le décrit comme un « homme d’honneur, de cœur et de foi ». « Il aime transmettre, et nous partageons l’ambition de former et d’accompagner les jeunes professionnels », confirme à son sujet l’ancienne vice-bâtonnière du barreau de Paris. Tout l’enjeu, pour l’avocat, sera de savoir détecter le moment où il lui faudra raccrocher la robe. « Pour défendre, il faut de l’énergie, de la foi, ne pas être blasé ni avoir peur de soulever encore et encore des arguments qui ont été plusieurs fois rejetés », énumère-t-il. « Le tout est de parvenir à sentir le moment où l’on renonce à défendre sans s’en rendre compte. Je voudrais savoir repérer ce moment. » Le souci de bien faire et la volonté de préserver sa réputation… jusqu’au moment de tirer sa révérence.

Christian Saint-Palais

S’il revendique haut et fort ses racines béarnaises et affirme n’être à Paris que de passage, Christian Saint-Palais a su s’imposer comme l’un des meilleurs avocats pénalistes de la place, imposant son style et sa méthode au gré de dossiers très médiatiques. Retour d’expérience.