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Portrait

Clarisse Serre, l’épouse des voyous

par Anaïs Coignac, journalistele 13 juillet 2021

Elle voulait défendre la veuve et l’orphelin, mais charbonne plutôt pour les bandits et Gitans. Installée à Bobigny après Paris, Clarisse Serre court les assises de France et de Navarre, le sens de la justice et des libertés fondamentales chevillé au corps. Conseillère sur la série Engrenages de Canal+, cette grande bavarde pugnace et habitée par ses dossiers s’est hissée en vingt-cinq ans de carrière au rang des grands pénalistes français.

Une semaine aux assises de Bobigny

« C’est une teigne », lâche Francis Spizner à la suspension d’audience. Ce mercredi 30 juin, aux assises du tribunal judiciaire de Bobigny, le ténor vient d’affronter la non moins éloquente Clarisse Serre dans une séquence d’audience musclée. « Elle est une avocate sérieuse, courageuse, qui connaît remarquablement ses dossiers. Mais elle manque de psychologie à l’audience », siffle-t-il. À la barre, ce matin-là : la femme puis le frère du défunt, tué en juillet 2017 d’une balle dans le thorax. Dans le box : le premier mari de la veuve, qui plaide coupable. Il est question de blessure amoureuse, d’honneur bafoué et de code des Gitans. Les témoins sont dignes. Les jurés attentifs. L’accusé silencieux. Une vague d’empathie semble avoir envahi la salle à l’écoute du récit apporté par les victimes. Me Serre se lève pour interroger les témoins, seule avec son collaborateur à la défense face à cinq parties civiles. Haute, droite sur ses talons, elle rompt la trêve d’amabilités, obligeant les témoins à revenir sur des détails d’un dossier reconnu par tous incomplet. Ses confrères vont et viennent dans la salle, s’agitent. « Laissez-moi parler, je ne vous ai pas interrompu », répète l’avocate, stoïque. La voilà qui reproche désormais au président, Thierry Fusina, de ne pas signaler aux jurés certains éléments à décharge. « Cela fait deux cents assises que je préside », rétorque celui-ci. Même crispation autour de son jeune confrère, Charles Evrard, qui cherche à éclaircir le déroulé chronologique de la soirée fatale. « Il faut que votre question fasse avancer les débats », suggère le président. « Mais moi, justement, ça m’intéresse », tente le conseil. La matinée sera à l’image de cette semaine de procès en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres et violents de France : intense et rugueuse, parfois drôle, la défense restant sur le qui-vive pour compenser son infériorité numérique et porter la voix de celui qui, détenu par le passé, risque la perpétuité. « Ce que je trouve très dur, c’est la mise à mort d’un homme qu’on sait déjà condamné. Il ne nous est rien accordé, pas une nuance. Tout est contesté. Je suis très inquiète pour mon client », s’émeut la pénaliste une fois sortie de la salle, délogée comme toujours par les policiers après quelques minutes volées avec l’accusé. Elle ne le lâche pas d’un pouce, garante de sa tenue au procès. Il lui a donné sa parole. Il ne décevra pas.

Une formation auprès des meilleurs

À 50 ans, Clarisse Serre est décrite par la profession comme l’une des plus grandes pénalistes françaises. « Femmes pénalistes », précise-t-on. Comme si le genre, aujourd’hui encore, comptait sous la robe dans une corporation où les femmes, de plus en plus, s’illustrent en première ligne. « Ces dernières années, incontestablement, la place est aux femmes », reconnaît l’intéressée, très admirative de voir émerger des consœurs engagées aux quatre coins du pays. « De vraies filles, couillues », dit-elle. En 2018, le magazine GQ l’avait placée vingt et unième de son classement très parisien et masculin des trente avocats les plus puissants de France. Elle y est devenue « la brute », après être entrée quelques années plus tôt au titre de « l’atypique ». « Elle est cash, nature. C’est une coriace qui se bagarre comme avec une proie contre ce qu’elle estime injuste, confirme Jacqueline Laffont. Elle a la défense pénale dans la peau. » Avec son époux Pierre Haïk, l’associée l’a formée en tant que collaboratrice, après un passage chez Patrick Maisonneuve, et avant quelques années chez Philippe Dehapiot, puis Paul Lombard. En somme, la jeune avocate a forgé sa pratique auprès du gratin de la profession avant de s’installer enfin à son compte, à Paris, puis Bobigny. Aujourd’hui, Me Laffont demeure l’une deux seules en exercice, l’aura intacte. Récemment, elle défendait l’ancien président Nicolas Sarkozy dans l’affaire dite « des écoutes », sans son binôme, gravement touché par Alzheimer. « Nous n’avons jamais regretté de l’avoir embauchée, explique cette grande dame à propos de son ancien poulain. Elle a réussi à vivre seule du pénal et il n’y en a pas tant que ça. Je suis fière et émue de sa réussite comme je le serai de celle d’un de mes enfants. » On ne s’attendait pas à cette sincérité-là, si naturelle, même si l’empreinte de ce couple mythique sur le parcours de leur ancienne collaboratrice est légion. Celle du combat à toute épreuve, l’art de ne jamais renoncer.

L’obstination et la maîtrise technique

Son frère d’armes, Christian Saint-Palais, référence pour le barreau pénal de Paris, confirme qu’elle demeure « une pionnière ». « Il y a dix ans, c’était rare pour une femme de monter son cabinet seule avec une clientèle de grands voyous. » Et d’évoquer sa grande force de travail, sa vision stratégique et sa maîtrise de la procédure. « Elle n’est pas qu’une femme d’audience. Elle est connue par les institutions pour faire beaucoup de demandes d’actes. » Bornage téléphonique, balistique, ADN, etc., le pénal s’est technicisé et l’avocate l’a bien compris. Quant à son obstination légendaire, Me Saint-Palais se souvient encore de ses interventions, en septembre 2010, au procès en appel de l’évasion d’Antonio Ferrara, afin d’obtenir la remise en liberté de Zaher Zenati, l’un des coaccusés. « On la voyait revenir à la charge là où, le plus souvent, l’avocat finit par renoncer, commente le pénaliste. Et elle l’a obtenu. » Dans la salle, ce jour-là, c’est l’euphorie. Un moment exceptionnel en plein procès d’assises, qu’elle livre en février 2020, au micro d’Europe 1, dans un podcast intitulé « L’avocate qui voulait lâcher son braqueur ». « C’est le moment le plus magique de ma carrière », jure-t-elle. Elle obtiendra « une peine juste », moins que les huit ans décidés en première instance. Elle avait alors voulu tout plaquer. Son client l’avait convaincue de rester. « Il m’a dit : si vous ne venez pas avec moi, je ne fais pas appel », rapporte-t-elle au micro. De cette expérience, elle conservera une appréhension des assises à vie – elle mettra de longs mois à y retourner – et la conviction que, peu importe les défaites, « il ne faut jamais rien lâcher ». Aujourd’hui, d’ailleurs, elle compare volontiers son activité à celle d’un « boxeur ». « On se prend des taules et il faut se relever. Les acquittements n’arrivent pas tous les jours. Dupond-Moretti s’est pris des trente ans comme tout le monde. Ce sont des choses qu’on porte en nous », témoigne celle qui a plusieurs fois plaidé aux côtés de l’actuel ministre de la Justice, hier surnommé Acquitator. L’avocate à la tignasse brune ondoyante que ses confrères appellent « la lionne » peut elle aussi se targuer d’avoir obtenu plus d’un acquittement au cours de sa carrière. Celui de Mamadou Ba, en 2015, par exemple, coaccusé de la tentative d’assassinat du sulfureux Karim Achoui. À la fin de sa plaidoirie, Henri Leclerc, partie civile, se précipitera pour l’embrasser, la couronnant d’un « je serai le premier ». Un souvenir qui émeut encore Me Serre : « Plaider met dans un état de transe mais c’est aussi une souffrance. On y laisse des plumes. Porter la vie d’un homme ça n’est pas facile. Il y a beaucoup de pression, nous sommes associés au diable. Parfois, je me demande pourquoi je fais ça. »

Des clients « à la vie à la mort »

Et pourtant, des assises, Me Serre en couvre partout en France chaque année, s’imposant parmi les très rares pénalistes pur jus estampillés grand banditisme depuis plus deux décennies. Abonnée aux Gitans, truands, conjoints violents, elle a défendu les accusés au procès des tournantes à Fontenay-sous-Bois, le cercle Wagram de jeux parisien, Michel Curtet, parrain de la coke, Michel Lepage du gang Banlieue Sud (BS) ou le clan Hornec, fratrie de caïds du crime organisé à Paris. Un mur de dessins de la plaideuse entourée de ses confrères témoigne de ces grands procès dans son bureau de Bobigny (93), rejoint en 2013 pour se rapprocher de ses clients, « un peu comme un médecin de famille », ose-t-elle au micro de Pascale Clark en 2015. Un choix courageux à l’époque, qui ne fait plus débat aujourd’hui tant la vitalité des barreaux et tribunaux hors de Paris se fait reconnaître. « Certains pensent “Boboche, une défense au rabais”. Pas du tout. Il y a de sacrées bonnes femmes ici, qui ne comptent pas leurs heures. Quant au tribunal, oui, il ne tient que grâce à la bonne volonté humaine. Il manque trois salles d’audience et trente juges. » Cachée derrière un vase, une autre photo fait sa fierté. Elle y apparaît avec Mehdi Hornec et sa femme Kelly, dans une salle des pas perdus. Entre eux, une évidente complicité. En 2003, l’épouse vient la trouver pour défendre son mari. Clarisse Serre décline, enceinte de sa deuxième fille… avant d’accepter après l’accouchement, alors que l’autre retente sa chance. Ils ne la quitteront plus. « Les Gitans sont très méfiants. Mais quand ils viennent vous voir, c’est à la vie à la mort. » Aujourd’hui, pour Mehdi Hornec, elle est plus qu’une avocate. « Il m’appelle sa femme », s’amuse-t-elle. « On fait partie de la famille. » Les clients lui montrent les travaux de la maison, la livrent en couscous, l’invitent à des mariages. Elle refuse toujours. À regret : « je loupe des choses uniques ». Suivent les cousins, les neveux, les codétenus. Des hommes, à « 95 % ». Qu’elle voit et revoit, avec ses collaborateurs, parfois « cinquante, quatre-vingts fois ». « Je suis dure avec ceux que je défends, psychorigide. Ce ne sont pas des copains. Mais je les respecte. » Elle a gagné leur confiance. Ils ont fait sa carrière. « Les juges » aussi. Avec lesquels, pourtant, elle n’entretient pas toujours de bons rapports. Mais rien ne la réjouit plus qu’un président qui l’appelle « Me Serre » parmi le bal anonyme des robes noires. Autres récompenses qui disent son influence, et qu’elle raconte sans se faire prier avec un enthousiasme presque enfantin : un magistrat retraité qui la contacte pour porter le dossier de sa fille, assassinée. Un père qui la remercie pour ses bons résultats au procès de son fils. « En trente ans de conneries, j’ai jamais connu une avocate aussi tenace et professionnelle », lui écrit-il. La réalisatrice Anne Landois, qui l’a recrutée comme conseillère sur la série Engrenages de Canal+, et beaucoup suivie en audiences, partage ses joies. « Je le vis aussi avec mes séries. C’est tellement de travail. Les mauvais résultats nous affectent beaucoup. »

« L’injustice chevillée au corps »

En audience, elle est d’une éloquence brute, efficace, sans effets de manche. Dans la vie, c’est une toupie, un moulin à paroles. Anne Landois l’a choisie pour cette raison. « J’avais besoin de quelqu’un qui parle beaucoup de son métier et puisse venir des heures lors des ateliers d’écriture m’aider à trouver l’équilibre entre le crédible, le réaliste et le romanesque », explique-t-elle. De ces moments de « récréation », la pénaliste sort « essorée », concède l’intéressée en interview. « Comme doit l’être un président d’assises qui sort d’une audience avec elle », sourit la réalisatrice. Elle la dit généreuse, travailleuse acharnée et redoutable juriste. « Elle ne laisse rien passer. » À l’inverse, dans la série, Joséphine Karlsson, la pénaliste interprétée par Audrey Fleurot cumule les entorses à la procédure et à l’éthique. Me Serre, qui la conseille, a, elle, choisi de défendre parce qu’elle a depuis toujours « l’injustice chevillée au corps ». À 15 ans déjà, elle s’insurge contre les décisions arbitraires de ses profs. Et rêve de défendre « la veuve et l’orphelin ». Une vocation. « Nous avons ça en commun, souligne Caroline Proust, alias le capitaine Berthaud, devenue une amie. Nos métiers nous ont envahis comme une injonction, quelque chose d’impérieux qui se joue dans la plus grande intimité. » Pourtant, l’avocate se dit épargnée par les fêlures. Elle est issue d’une famille chrétienne « où autrui compte, quel que soit le milieu social ». Son père a fait carrière dans la finance, sa mère vient d’un milieu ouvrier. Les vacances se passent dans le Cantal agricole. Elle s’y acclimate à « la rudesse des gens et du temps ». D’où peut-être son parler franc. Quant à la féminité, dans son métier, Clarisse Serre s’en méfie. Elle se protège aussi. « C’est difficile de s’imposer en talons aiguilles. Je ne la renie pas mais je n’oublie pas que mes clients restent des hommes enfermés. » À celle flamboyante de son « opposée et fantasme » Joséphine Karlsson, elle préfère la discrétion d’une paire de talons sans chichi ou d’une touche de Chanel vaporisée avant de plaider. Anne Landois, qui l’a bien noté, compte le lui emprunter pour l’héroïne de sa prochaine série, une avocate trentenaire. « Je m’inspire de Clarisse Serre dans son énergie, son côté gonflée, qui ne cherche pas à plaire mais à convaincre. » La pénaliste l’accompagne aussi dans ce projet dont le tournage doit démarrer début 2022. L’histoire d’une « transfuge de classe de la banlieue blanche qui revient dans sa cité pour son plus grand désespoir ». Là-bas, elle s’épanouira, loin de la capitale où elle s’enlisait dans l’ombre de son mari. Le parallèle avec le parcours de Me Serre, fan de littérature et de cinéma, est d’avoir choisi la Seine-Saint-Denis après avoir quitté son cabinet du triangle d’or parisien, situé à quelques pas de chez elle, pour faire encore plus de pénal lourd. « Ce qui me sauve, c’est ma famille », reconnaît cette mère de trois enfants mariée à un éditeur qui ne l’a jamais vu plaider. « Ils me chambrent et me remettent les pieds sur terre. »

Le doute, moteur et ennemi

L’envol fut tardif pourtant, et la confiance en soi laborieuse. « J’ai mis dix ans à rattraper les copains de promotion avec mes grossesses. Mais c’est la vie », concède cette « féministe » qui ne cherche pas « l’égalité à tout prix ». Son confrère, Gérard Zbili, l’a convaincue de s’installer. Persuadé qu’elle obtiendra en un mois l’équivalent de sa rétrocession de collaboratrice, il parie un dîner. Un mois plus tard, c’est gagné. « Il m’a donné la confiance que je n’avais pas », assure-t-elle. « Parfois, j’ai pensé, par sécurité, à devenir magistrat. Ils font un métier passionnant et sont assurés d’être payés à la fin du mois. » Dès le début de sa carrière, le doute l’étreint, moteur un jour, ennemi l’autre. À 25 ans, elle se fait éliminer au troisième tour de la conférence du barreau. Le coup la frappe fort. Sur son bureau où elle débarque en larmes, un mot de Pierre Haïk l’attend. « Ils n’ont pas su reconnaître ce qu’était un vrai talent. Le vôtre parlera de lui-même. » Un compliment qu’elle conservera longtemps dans ses bagages, avec l’amertume de sa défaite. « C’est un grand regret de ma vie », répétera-t-elle tout au long de l’entretien, attristée de ne pouvoir compter parmi cette « grande famille ». Il suffit pourtant d’interroger le moindre avocat qui l’a côtoyée pour mesurer la sympathie qu’elle inspire. Et même si parfois aussi, sa franchise dérape. Comme lorsqu’elle explique à un auditoire de jeunes avocats qu’un jean à l’audience renvoie une image négative. Ou qu’elle parle mixité : « Il y a trop de Blancs dans les écoles du VIIe et que des Noirs, des Arabes et des Chinois dans celles de Bobigny. Quant à l’éclectisme à Sciences Po, cela a pu nuire aussi aux bons élèves des beaux quartiers. » Elle déplore les excès de l’époque, le #balancetonporc ou l’usage du mot « féminicide ». Récemment, elle a fait relaxer un étudiant jugé pour agression sexuelle. Lors d’une soirée alcoolisée, il avait touché les seins de la jeune femme qui dormait dans le même lit, avant d’être refoulé. « Ça ne fait pas de lui un délinquant sexuel. Il jouait son avenir et risquait d’être fiché. » Ses interventions sans langue de bois et argumentées font d’elle une bonne cliente pour les médias. « Elle ne court pas les plateaux mais aime rendre la justice accessible, constate la journaliste Claire Corgnou qui l’a sollicitée sur l’émission L’info du vrai d’Yves Calvi sur Canal+. Elle est droite, intègre, et n’aboie pas avec la majorité ce qui est rare aujourd’hui. »

Une année de succès aux assises

« Il y a au cabinet un réel souci de transmission, assure de son côté Charles Evrard, collaborateur de Serre & Boulebsol depuis trois ans. Me Serre nous encadre là où beaucoup de collaborateurs se retrouvent livrés à eux-mêmes. » Lui décrit une ambiance studieuse, exigeante, faite d’entraide. Ce 1er juillet, il va plaider pour la première fois. L’associée a elle déjà cinq sessions d’assises au compteur depuis janvier. « L’an dernier, j’ai enchaîné les résultats catastrophiques. En cinq dossiers, j’ai eu quatre-vingts ans de détention. Cette année, l’excès s’inverse, j’enchaîne les très bons résultats. » À Nancy avec neuf autres avocats, puis à Lons-le-Saunier avec le cabinet Dupond-Moretti, elle a obtenu l’acquittement de ses clients pour les faits reprochés, complicités de meurtre et d’assassinat, limitant les condamnations. À Carcassonne, en revanche, elle n’est pas parvenue à réduire en appel la peine de son client, tout juste majeur au moment où il tue son ex-petite amie, Erika. Un assassinat « atroce » qui avait divisé les experts psychiatres « ce qui prouve à quel point la psychiatrie s’est ingérée dans les affaires, devenant un sujet vraiment délicat », commente-t-elle. Début juin, à la cour d’assises spéciale de Paris, l’avocate avait accepté de défendre l’un des coaccusés de l’assassinat du policier Xavier Jugelé en 2017 sur les Champs-Élysées. « Je ne voulais plus faire de terrorisme. Ce sont des dossiers perdus. Il y a trop peu de marge de manœuvre », lâche-t-elle. Bien lui en a pris. Son client a été acquitté pour association de malfaiteurs. Il n’aura pas été puni pour l’exemple.

Fin de procès à Bobigny

Lorsqu’elle s’avance à la barre, Clarisse Serre sent le regard de l’accusé sur ses épaules. « Ce soir, je prends la parole et plus personne ne va m’interrompre. » Les parties civiles ont presque toutes déserté la salle. Elles ont plaidé, désigné un « assassin ». L’avocate générale a requis vingt-deux ans de détention. Charles Evrard vient d’expliquer les failles de ce dossier, évoqué les voies juridiques offertes aux jurés. Ces derniers, à présent, scrutent la plaideuse. « Je ne vais pas vous apporter de réponses. Je n’étais pas là ce soir-là. Mais revenons au droit », propose-t-elle. Marche après marche, la voilà qui remonte le dossier, pointe les approximations, les versions contradictoires, écarte la préméditation en s’appuyant sur des éléments plus tangibles. Le doute, tout à coup, semble basculer en faveur de l’accusé. Puis, saisissant l’expertise balistique : « la vie de cet homme se joue sur trente centimètres. À 30 cm près, on décide qu’il a eu l’intention de tuer. “Légèrement” dit le rapport deux fois. Alors on fait comment ? On tire au sort ? » Elle réclame une condamnation pour des coups mortels. À la sortie, Clarisse Serre est satisfaite mais épuisée. Reconnaît qu’il est temps de s’arrêter. De partir en vacances. Il faudra attendre quelques audiences encore. Dans son dos, la bande de jurés sort à son tour. « Vous étiez super ! », ne peut s’empêcher de lui lancer l’un d’entre eux. Le lendemain, le verdict tombe : dix-huit ans de détention pour meurtre. Acquittement pour assassinat. Pour la défense, le condamné, le soulagement. « Vous êtes excessive », lui soufflera quand même le président, précisant avoir peu apprécié le procès d’intention. Elle ne le contredira pas. « Les derniers temps, confiait la pénaliste quelques jours plus tôt, Éric [Dupond-Moretti, ndlr] me disait qu’il avait fait le tour. Ce n’est pas mon cas. »

Clarisse Serre

Clarisse SERRE est avocate depuis 1995 et exerce au barreau de la Seine-Saint-Denis depuis 2013.
Elle dirige le Département Pénal du Cabinet Serre et Boulebsol, situé à Bobigny.