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Portrait

Grine Lahreche, le compétiteur

par Chloé Enkaoua, Journalistele 11 février 2025

Tactique, anticipation, recul. Tels sont les principaux fondements sur lesquels Grine Lahreche, spécialiste du Private Equity/M&A et ancien sportif de haut niveau, s’appuie au quotidien dans son exercice.

 

Ils sont rares, ceux qui peuvent se targuer d’être à la fois un champion reconverti et une star montante du droit des affaires. Pourtant, ne comptez pas sur Grine Lahreche pour se jeter des fleurs. « J’ai toujours la volonté de me surpasser », sourit-il. « Je n’arrive jamais à me dire "c’est bien". » L’avocat l’admet volontiers : cela aurait été la même chose dans n’importe quelle autre discipline. D’ailleurs, sous l’impulsion de sa mère, c’est vers l’ENA que ce natif du Blanc-Mesnil a d’abord failli se diriger. « Après hypokhâgne/khâgne et une maîtrise d’histoire à la Sorbonne, je me suis inscrit à Sciences Po, mais je me suis vite aperçu que j’avais envie d’autre chose, et notamment d’interactions plus importantes que ce qu’une carrière administrative pouvait laisser escompter » raconte-t-il. Sur les bancs de Sciences Po, il fait par ailleurs la découverte du droit des affaires au travers d’un module intitulé « Droit des activités économiques ». Jusque-là, s’il s’était déjà plus ou moins intéressé à la robe, le métier d’avocat était pour lui une vague image d’Épinal incarnée par des figures de plaidants tels que Georges Terrier ou Jean-Michel Darrois. Ce module agit donc comme un déclic, renforcé par la rencontre à ce même moment de celui qui deviendra une sorte de mentor pour lui : Olivier Deren, ex-managing partner de Paul Hastings, alors professeur à Sciences Po. Dès lors, Grine Lahreche prépare peu à peu la suite. « À Sciences Po, j’ai commencé par suivre un double cursus : en droit public dans le cadre de ma préparation aux grands concours administratifs, mais aussi en droit privé. Mon projet pédagogique était de pouvoir ainsi m’appuyer sur ces deux branches très complémentaires » indique celui qui, après l’IEP, obtiendra ensuite un DESS de droit des affaires à Dauphine puis un DEA de droit public économique à Paris I Panthéon-Sorbonne.

Des médailles aux dossiers

Un parcours universitaire que Grine Lahreche poursuit tout en jonglant avec une carrière de sportif de haut niveau. Ancien gardien de but de handball, il commence en effet à pratiquer à l’âge de onze ans, gagne son premier championnat de France à quinze ans et devient semi-professionnel à seize ans. « J’ai ensuite joué en Nationale, en deuxième puis en première division », poursuit-il. « À la suite de ma prestation de serment en 2007, j’ai souhaité au départ continuer à jouer tout en étant collaborateur chez Gibson, Dunn & Crutcher, car l’arrêt d’une carrière de joueur professionnel est compliqué à vivre. J’ai terminé ma carrière sur un titre de champion de France de Nationale 1 ». C’est en 2010 que l’ex-champion met définitivement un terme au handball. S’il garde aujourd’hui en tête un « cercle vertueux » qui lui aura permis de financer ses études lors des premières années de pratique, il affirme cependant que ses performances sportives auraient pu être meilleures sans cette charge de travail scolaire supplémentaire. La volonté de mieux faire, encore. « La période pendant laquelle j’ai ensuite continué à jouer tout en étant collaborateur, c’était une sorte d’atterrissage en douceur pour gérer l’après-haut niveau », continue-t-il. « Cela m’a aidé à passer autre chose, même si cela n’a pas toujours été facile. »

En tout, Grine Lahreche restera trois ans chez Gibson, Dunn & Crutcher. « J’y ai appris autant de choses sur le métier que sur le fond des dossiers », rapporte-t-il. « Pendant ces trois années, j’ai pris beaucoup de notes, mené des réflexions sur des problématiques stratégiques, notamment sur le rôle de l’État. Cela m’a énormément servi pour la suite. » En 2010, le jeune avocat intègre le département Corporate d’une autre structure anglo-saxonne en tant que collaborateur : Paul Hastings, où il retrouve Olivier Deren. Une période qu’il décrit comme très enrichissante. Mounir Letayf, associé en financement chez Winston & Strawn qui exerçait alors également chez Paul Hastings en qualité d’associé, dit avoir tout de suite remarqué chez Grine Lahreche un certain don pour générer du business. « Pour un avocat de sa séniorité, il avait déjà un carnet d’adresses bien rempli », évoque-t-il. « Ce n’est pas un carnet dont il a hérité ; il l’a construit au fil des rencontres et de sa capacité à développer des relations amicales qui se sont transformées en relations de travail. » Amusé, l’associé partage également une anecdote : « Grine faisait travailler sur ses dossiers personnels des collaborateurs du cabinet qui étaient d’une séniorité bien plus élevée que la sienne. C’était déjà une sorte de « rainmaker » à son petit niveau ! » Très vite, les deux avocats sympathisent et Mounir Letayf n’hésite pas à prendre le collaborateur sous son aile. Jusqu’à lui conseiller, quelque temps plus tard, de mettre ses talents à profit dans le cadre d’une association. Ce sera chose faite au sein de la boutique française LL Berg en 2015.

Volonté d’ouverture

Rapidement, la question se pose : réintégrer une structure américaine en tant qu’associé ou continuer le parcours franco-français ? En 2018, à tout juste trente-huit ans, Grine Lahreche choisit la deuxième option en devenant l’un des associés gérant du cabinet tricolore Hoche Avocats. Parmi les dossiers traités, il retient notamment l’accompagnement des associés de SmartTrade Technologies, spécialiste mondial des solutions logicielles de trading multi-asset, dans le cadre de l’entrée au capital de Hg Capital. « C’était un très beau dossier mid cap qui s’est déroulé en 2020, en pleine crise sanitaire », commente l’associé. « Dans ce contexte, nous avons beaucoup travaillé à distance avec toutes les contraintes technologiques que cela supposait. » Les affaires s’enchaînent et Grine Lahreche prend alors conscience d’une demande croissante d’internationalisation de la prestation juridique de la part de ses clients. « Nous avions certes un bon réseau de correspondants, mais cela ne remplace pas le fait d’avoir des bureaux intégrés. J’avais également la volonté d’ouvrir mon champ d’activité et de ne pas rester uniquement sur le marché franco-français, mais aussi de travailler de manière plus régulière en lien avec les États-Unis. » C’est donc naturellement qu’en 2023, celui qui est également très investi dans la French-American Foundation décide de rejoindre le bureau parisien du cabinet américain Winston & Strawn. À ses côtés, toute une équipe issue de Hoche Avocats comprenant notamment trois autres associés (Sophie Dechaumet, Édith Boucaya et Ariane Berthoud). En tout, une quinzaine d’avocats auxquels se sont greffés de nouveaux talents recrutés par Grine Lahreche pour construire au sein du bureau de Paris une plateforme Private Equity/M&A solide.

Au sein de cette équipe qui compte aujourd’hui une vingtaine de personnes, l’associé conseille à la fois des fonds d’investissements de renom (Ardian, Astorg, Keensight…) en Private Equity, mais aussi des dirigeants fondateurs, grands groupes ou encore des Family offices dans le cadre de leurs opérations de LBO, réorganisations de capital et fusions-acquisitions. En juin dernier, Grine Lahreche a notamment été impliqué dans la prise de participation majoritaire du fonds Ardian au sein du groupe Alstef, un fournisseur de solutions automatisées et robotisées pour les marchés de l’aéroport, de la logistique et du tri de colis. « Nous avons dû faire face à un certain nombre de problématiques de réorganisation du périmètre existant, avec plusieurs juridictions impliquées. C’était techniquement très intéressant » détaille celui qui, actuellement, dit être très sollicité par les fonds pour des process concurrentiels à l’achat « très rugueux ». « Côté dirigeants, nous avons par ailleurs de plus en plus de demandes de mise en place de mécanismes de co-investissement intégrant des critères ESG », poursuit-il. « De manière globale, beaucoup de groupes nous confient désormais toute leur politique d’acquisition juridique en Europe. »

Un coup d’avance

Au fil des ans, l’associé a notamment vu augmenter le niveau de sophistication de la documentation juridique. « Maintenant, il faut à peu près 150 pages de documentation pour lever une dette à dix millions d’euros sur un deal de taille très intermédiaire, ce qui est énorme », observe-t-il. « Pour les plus grosses opérations, il faut également désormais prendre en compte un certain nombre de contraintes extérieures au deal telles que le contrôle des investissements étrangers et des concentrations, les autorisations réglementaires dans les secteurs régulés, ou encore les contraintes sociales induites par la loi Hamon. » Un bon vernis de culture générale et une curiosité à toute épreuve sont donc plus que jamais nécessaires pour parvenir à tirer son épingle du jeu dans cette matière. « Il faut également avoir une très grande force de travail », ajoute Grine Lahreche en guise de conseil aux plus jeunes. « Le fameux axiome vie privée/vie professionnelle est très souvent mis à mal. Il faut donc avoir un certain "mindset" et être capable de sprinter très fort lorsque cela s’avère nécessaire. Et, bien sûr, très bien maîtriser l’anglais et avoir, outre un socle en droit des sociétés très fort, de bonnes connaissances en droit fiscal, droit du financement, droit social, droit de la concurrence ou encore en contrôle des investissements étrangers. »

La sophistication, l’avocat la retrouve également de plus en plus dans les dossiers qu’il traite. Pour lui, elle est à la fois technique et humaine. « J’apprécie tout particulièrement les deals où il faut savoir par exemple à quel niveau mettre la dette, comment faire entrer l’équipe dirigeante, et réfléchir à toutes les problématiques de structure de manière générale. Côté humain, le principal défi est d’arriver à gagner des dossiers pour le compte de notre client alors que l’on n’est pas favori. Il faut dans ce cadre surmonter une certaine adversité et montrer patte blanche pour prouver que le client a des atouts à faire valoir. On le voit très bien dans les process concurrentiels. » Le tout, en s’attelant sans cesse à bien comprendre le business et la stratégie de croissance de la cible. « J’essaye toujours d’avoir un coup d’avance et d’anticiper les évolutions. Pour moi, le renseignement et l’information sont le nerf de la guerre. J’ai appris au fil des ans que le paysage et la contextualisation comptent autant que la pure exécution du dossier », explique l’avocat. D’où un travail de ciblage et de défrichage en amont très précis afin de bien comprendre les opportunités d’investissement, les sous-jacents économiques ou encore les passerelles pouvant exister entre les personnes et les actifs. David Vincent, CEO de la société SmartTrade Technologies, a fait appel à Grine Lahreche il y a environ dix ans dans le cadre d’une première opération de LBO. Depuis lors, l’associé l’a accompagné sur plusieurs dossiers structurants de LBO et M&A. Il évoque un avocat très complet avec, outre cette capacité d’anticipation, une vision à 360° de chaque opération. « Il sait trouver la réponse juridique adaptée à une situation donnée et faire preuve de créativité », assure-t-il. « Grine a une très bonne compréhension de la dynamique d’un dossier et de ses enjeux, ce qui lui permet notamment d’être très réactif dans le cadre de processus concurrentiels. »

Travail d’équipe

Pour autant, l’avocat ne se targue pas de mettre en place une méthode particulièrement rodée à chaque dossier. Ce qui compte avant tout, pour lui, c’est l’esprit d’équipe. « C’est un vrai travail collectif, et moi je suis seulement le capitaine de cette équipe », assure-t-il. « J’essaye de toujours penser le service que nous allons rendre à nos clients dans ce sens. » De son passé de sportif, outre le jargon et les parallèles, il a tiré quelques autres enseignements qu’il s’attache aujourd’hui à appliquer soigneusement dans son quotidien d’avocat d’affaires. « Par exemple, je fais beaucoup de fiches lors de mes réunions d’équipe », explique-t-il. « Cela me vient de mon expérience de gardien de but : à l’époque, la vidéo était beaucoup moins développée qu’aujourd’hui ; si je ne me rappelais pas du prénom de tous les joueurs, grâce aux fiches, je me souvenais en tout cas parfaitement de l’endroit d’où ils tiraient ! » Il en va de même dans les relations d’équipe, qui sont pour lui comparables. « Le haut niveau, ce n’est pas l’image que l’on peut parfois avoir d’une bande de copains dans un vestiaire. Vous pouvez certes avoir des amis, mais ce qui prime, c’est de voir si l’individu qui arrive au sein de l’équipe va permettre au groupe d’être meilleur. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui encore, j’essaye de chercher avant tout des complémentarités. » Grine Lahreche a par ailleurs appris à développer une résistance à l’échec qui l’aide aujourd’hui à relativiser chaque dossier perdu. « Cela fait partie de la vie », résume-t-il simplement. « L’échec n’est jamais définitif. Cela permet d’apprécier ensuite la performance. » Une performance qui, il l’assure, s’applique surtout vis-à-vis de lui-même, et structure toute sa démarche de management d’équipe. Pour Mounir Letayf, cette culture du sport de haut niveau a par ailleurs indéniablement permis à Grine Lahreche de développer un sens de la compétition exacerbé et nécessaire dans son environnement actuel. « Sa discipline sportive lui a notamment donné une vraie rigueur dans le travail », rapporte-t-il. « L’une des plus grandes forces, c’est cette capacité à savoir extrêmement bien s’organiser et à très bien s’entourer. »

Pour la suite, l’associé aspire à faire du bureau parisien de Winston & Strawn une véritable place forte du Private Equity et du M&A. Un travail déjà bien amorcé, et qu’il s’agit à présent de consolider. Sur un plan plus personnel, Grine Lahreche a un objectif qu’il entretient de longue date : passer l’agrégation d’histoire. « En ce moment, je travaille presque dix-huit heures sur vingt-quatre ; c’est donc un projet un peu compliqué à mener à bien tout en étant par ailleurs père de trois enfants », glisse-t-il. « Mais je pense essayer de me donner les moyens de le faire d’ici une dizaine d’années. Je suis un vrai passionné d’histoire, et notamment de la Seconde Guerre mondiale. Je regarde à peu près un documentaire à ce sujet tous les deux jours, très tard le soir car je dors peu. » Une activité qu’il considère comme structurante pour lui, au même titre que la boxe qu’il pratique régulièrement. Et le handball dans tout ça ? « Je continue à aller voir quelques matchs ou à les regarder à la télévision », dit-il en souriant. « J’ai d’ailleurs récemment été assez énervé devant la demi-finale de la France contre la Croatie. J’ai fini par éteindre, car j’avais l’impression de jouer ! » Le passé n’est jamais bien loin.

Lahreche Grine

Grine Lahreche est associé au sein du cabinet Winston&Strawn LLP. Il est spécialisé dans les opérations de private equity et de fusions et acquisitions. Il conseille régulièrement des fonds d’investissement de premier plan, des dirigeants, des grands groupes et des sociétés de taille moyenne dans le cadre d’opérations telles que des acquisitions, LBO ou joint-ventures. Il assiste également ses clients sur des restructurations.