Guy Canivet : justice sans frontières…

« Vous pouvez vous vanter de m’avoir fait parler… » ! On m’avait pourtant prévenu que l’homme était plutôt de la race des taiseux et que le confesser constituait une mission impossible ou presque… Certains m’avaient même amicalement déconseillé de lui tirer le portrait, tant il est de notoriété publique que celui qui fût le plus jeune premier Président de la Cour de cassation n’éprouve pas l’esquisse d’une satisfaction à évoquer sa vie, son œuvre, son intimité.

Pour le piéger, je l’avais donc convié à déjeuner dans un restaurant, lieu en principe propice aux confidences et aux épanchements. Las, l’établissement sans âme était quasiment vide, à tel point que j’entendais ma voix résonner lorsque j’osais quelques timides questions. Tant et si bien que j’eus rapidement le désagréable sentiment que les pessimistes prédictions, que mon idée de brosser son portrait avaient provoquées, allaient effectivement se réaliser. Pas facile, il est vrai, de percer l’armure… Guy Canivet a d’abord une présence imposante : physique de sportif, gueule d’acteur, regard perçant qui place, involontairement sans doute, l’interlocuteur sur la sellette et, à l’évidence, un penchant assez relatif pour tout ce qui ressemble à l’exubérance. D’où ces premières minutes, qui me parurent un siècle, durant lesquelles je fis assaut de remarques aussi générales que sans intérêt, tout en me demandant comment j’allais m’y prendre pour trouver un défaut dans cette cuirasse forgée dans le métal de la timidité. Je risquais finalement quelques maladroites questions. Impassible, Guy Canivet esquivait, sans se livrer, un brin tendu, un rien mal à l’aise…

Puis, au détour d’une question sur son parcours estudiantin, notre homme baissa une première fois la garde et me fit un double aveu de paternité juridique. Henri Motulsky, en premier lieu, le professeur à la faculté de droit de Dijon qui lui fit faire ses premiers pas juridiques et l’accompagna quatre ans durant, à l’époque où les professeurs de droit restaient fidèles à leurs étudiants tout au long de leur apprentissage. C’est donc avec le père du nouveau Code de procédure civile que Guy Canivet fit ses humanités juridiques et découvrit les fondations du droit privé. La nostalgie céda la place à l’émotion lorsque la mémoire de Pierre Drai, le père judiciaire, fût évoquée. Pierre Drai côtoyé, au milieu...