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Portrait

Marc Sénéchal, à l’avant-garde

par Chloé Enkaoua, Journalistele 13 mai 2025

Dans l’ombre, il murmure à l’oreille des hommes d’affaires les plus puissants de France. Il faut dire que Marc Sénéchal n’a jamais compté ses heures ni les sacrifices pour exercer son métier de mandataire judiciaire. Une activité dans laquelle il a toujours cherché à faire bouger les lignes.

Dans son bureau, des cadres photos s’empilent contre un pan de mur, attendant de trouver leur place. Prises par le champion du monde d’apnée Arnaud Jerald, l’un des sportifs sponsorisés par le cabinet BTSG, toutes ont un lien avec cette discipline sous-marine exigeante à laquelle Marc Sénéchal s’adonne lui-même. « J’aime cette sensation de chute libre au moment de la descente, puis l’effort physique et mental extrême lorsqu’il faut remonter à la surface », glisse-t-il. Une activité à la fois intense et risquée qu’il n’hésite pas à mettre en parallèle avec son métier de mandataire judiciaire. « Au niveau où je l’ai exercée, cette profession requiert un engagement total. C’est parfois usant » affirme ce bordelais d’origine, né d’une mère dirigeante d’une entreprise agroalimentaire de biscuits et d’un père juriste et professeur de droit. Spécialiste de la procédure collective, c’est lui qui a donné à Marc Sénéchal le goût de cette matière, l’amenant à entamer des études de droit d’abord à Bordeaux IV jusqu’à la maîtrise, puis à Toulouse pour un DEA de droit des affaires et des entreprises en difficulté. Après avoir obtenu un crédit de recherche, il soutient une thèse de doctorat consacrée à l’effet réel de la procédure collective, dont la Cour de cassation a repris la théorie dans plusieurs arrêts en 2010. « Cela m’a donné à la fois une notoriété scientifique et un bagage intellectuel et technique dans cette matière très solide », rapporte-t-il.

Sur deux jambes

En dépit de cette renommée universitaire, Marc Sénéchal ne perd pas de vue son envie de mettre ses connaissances en pratique sur le terrain. « J’ai toujours considéré que le droit était une matière humaine, faite pour l’homme et faite pour être appliquée, même si je ne savais pas encore exactement quel métier je souhaitais exercer », indique-t-il. Au fil des rencontres, et fort de ses connaissances en procédures collectives, la voie s’ouvre naturellement vers une carrière de mandataire ou d’administrateur judiciaire. « J’ai finalement choisi la représentation des créanciers, car il m’a semblé que la dimension juridique y était plus développée » explique celui qui, malgré tout, n’a jamais totalement tourné la page universitaire – il est notamment depuis 2015 professeur associé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour y enseigner les procédures collectives en master 1 et master 2. Le tout, en menant en parallèle depuis 2005 sa carrière de mandataire judiciaire au sein du cabinet BTSG, installé à Neuilly-sur-Seine, dont il est l’un des associés fondateurs. « Aujourd’hui, j’ai trouvé l’équilibre entre un cabinet de premier rang et une activité académique », se félicite-t-il. « L’université m’a rattrapé alors que j’étais déjà praticien. La boucle a été bouclée, en quelque sorte ».

Depuis 2005, Marc Sénéchal tente de développer une approche disruptive et entrepreneuriale du métier. « Cela me vient peut-être de ma mère », commente-t-il en souriant. « J’ai toujours nourri cette envie de m’éloigner de l’aspect strictement libéral pour appréhender mon activité d’une façon plus industrielle et normée, moins artisanale ». Mais le mandataire judiciaire l’admet lui-même : pour pouvoir mettre en œuvre ses idées, il faut parfois prendre de la hauteur ; en 2011, il se présente ainsi aux élections nationales en vue de devenir président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ). Une fonction qu’il occupera pour un mandat de deux ans, de 2012 à 2014. À l’époque, Marc Sénéchal a trente-six ans et dénote dans un univers où, bien souvent, des profils plus expérimentés tiennent ce rôle. « J’ai essayé de placer cette profession sur les rails de l’avenir, et de faire en sorte qu’elle ne soit plus considérée comme un métier d’ancien régime en introduisant une forme d’émulation dans son organisation et son exercice », résume-t-il. Une expérience qui lui permettra d’asseoir définitivement sa notoriété et de développer davantage son réseau.

Prévenir… et guérir

Son mandat achevé, Marc Sénéchal se recentre sur l’activité de BTSG. Un cabinet qui ne compte aujourd’hui pas moins d’une centaine de salariés, parmi lesquels six associés, et au sein duquel il continue de poursuivre un principal objectif : arpenter des zones inexplorées par les autres membres de sa profession. « Nous avons toujours essayé d’être pionniers dans plusieurs domaines, y compris technologiques et techniques, pour avancer différemment dans notre métier », indique le mandataire. Lequel, au-delà des procédures collectives, s’est ainsi entre autres positionné sur les procédures préventives telles que le mandat ad hoc et la conciliation, qui étaient traditionnellement la chasse gardée des administrateurs judiciaires. « Il fait partie des quelques mandataires judiciaires à être parvenus à développer une pratique en procédures de prévention, et à se les approprier au point d’être aujourd’hui totalement légitime dans ces missions », salue l’administratrice judiciaire Hélène Bourbouloux, qui a débuté sa carrière pratiquement en même temps que Marc Sénéchal et a eu l’occasion de traiter à ses côtés de nombreux dossiers d’envergure. Parmi les faits d’armes du mandataire en matière préventive, la restructuration financière d’AccorInvest en 2020, la procédure de conciliation du groupe Casino ou encore la restructuration de la filière nucléaire d’Areva en 2015. « Le gouvernement a pris la décision de le faire dans un cadre préventif de mandat ad hoc », commente l’associé de BTSG au sujet de cette dernière opération. « Il a fallu redéployer toute une stratégie pour ce secteur essentiel à notre économie qui était alors mis à mal. La dimension politique de ce dossier était très importante ».

En parallèle, Marc Sénéchal a également acquis une renommée en matière d’intermédiation entre des personnes, des entités ou des organisations qui, au-delà d’éventuelles difficultés financières, ont totalement rompu le contact. Dans l’ombre, il a notamment œuvré activement au rapprochement des deux géants de l’environnement Suez et Veolia en 2021, alors même que plus personne n’y croyait. Désigné mandataire ad hoc par le président du Tribunal de Nanterre, à la demande de Suez, le mandataire a ainsi désamorcé une bombe dont les conséquences auraient pu être désastreuses en trouvant une issue à l’OPA hostile menée par Veolia, se forgeant par là-même une solide réputation en matière de négociation. « Généralement, ce type d’opération entre deux sociétés du CAC qui, en l’occurrence, ne se parlaient plus du tout ne se résout pas entre les murs d’un tel bureau » fait-il remarquer, amusé, en balayant la pièce d’un geste. « Pourtant, cela a été le cas et nous sommes parvenus à une forme d’armistice en une dizaine de jours. Cela a surpris tout le monde ». Pour Jean-Pierre Farges, avocat associé en restructuring au sein du bureau de Paris de Gibson Dunn qui a notamment œuvré sur le dossier Suez/Veolia, ce tour de force résulte en partie de son approche en douceur et de ses talents d’écoute. « Les stars du restructuring sont peu nombreuses et ont toutes leur propre style ; Marc n’échappe pas à cette règle », affirme-t-il. « Outre sa technique juridique et sa grande loyauté dans le débat, il essaye de rapprocher les gens sans jamais paraître brutal, et en n’hésitant pas à organiser des discussions parallèles après les réunions plénières pour tenter de les convaincre séparément. C’est l’une de ses particularités ». La réussite de la conciliation Suez/Veolia a en tout cas permis de le rendre visible sur ce type de missions pour le moins délicates. En 2023, le Tribunal de Bobigny l’a notamment appelé pour intervenir sur le dossier d’acquisition du journal La Provence, dans le cadre duquel Marc Sénéchal a mené une médiation entre les candidats au rachat, Xavier Niel et Rodolphe Saadé.

Caméléon

En vingt ans d’exercice, l’homme est ainsi passé de restructurations financières en procédures préventives, d’accompagnement de créanciers en négociations acharnées. Le tout dans des secteurs aussi divers que le nucléaire, la restauration ou encore la grande distribution. « Chez BTSG, nous approchons des chefs d’entreprises très différentes. Pour autant, nous ne sommes pas des spécialistes sectoriels », tempère Marc Sénéchal. « Bien sûr, cela donne en revanche un vernis et n’empêche pas de se familiariser avec les secteurs concernés. » Les personnalités elles aussi varient d’un milieu à l’autre et nécessitent d’adapter la méthode d’approche. Sa stratégie, elle, reste néanmoins invariable. « Si l’on veut réussir une restructuration financière, il faut toujours commencer par le plan d’affaires », illustre-t-il par exemple. « Il est important de mettre en lien la situation actuelle avec ce que l’entreprise a fait dans le passé. Une fois le diagnostic posé, il est possible de voir comment se projeter raisonnablement dans l’avenir, et si les hypothèses abordées sont envisageables ». Une anticipation qui, bien sûr, génère un besoin de financement. « Le montant va ensuite être partagé entre les parties à la restructuration », poursuit le mandataire. « Ce sont des efforts partagés, sous la houlette du négociateur ».

En 2023, la restructuration financière du groupe Casino a notamment permis à Marc Sénéchal de mettre cette logique en pratique. Une opération conduite conjointement avec le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) dont l’ex-secrétaire général Pierre-Olivier Chotard, aujourd’hui associé gérant de la banque d’affaires Rothschild, se souvient parfaitement. « Toute la difficulté de ce métier est de parvenir à échafauder des compromis qui sont susceptibles d’être acceptés par toutes les parties et pour que cela fonctionne, il faut qu’elles aient confiance en ce compromis », insiste ce dernier. « Cela, Marc Sénéchal sait parfaitement le faire. Il a de très grandes qualités humaines qui font qu’il sait très vite gagner et garder la confiance des dirigeants qui font appel à ses services. Il a en outre la réputation de toujours proposer des solutions équilibrées ». Pour lui, il s’agit sans nul doute « d’un remarquable stratège et tacticien » ; des qualités également soulignées par Hélène Bourbouloux. « Marc est très attaché à son indépendance et n’a pas peur de défendre des solutions innovantes, pour peu qu’elles soient efficaces et indiscutables », ajoute-t-elle. « Il sait prendre des décisions courageuses lorsqu’il le faut ». Parmi les combats communs de l’administratrice et du mandataire, la modification du traitement apporté au crédit-bail dans les procédures collectives, aujourd’hui considéré comme un contrat en cours. « Nous militons depuis des années pour que le crédit-bail soit totalement déclaré au passif et, le cas échéant, réaménagé », poursuit Hélène Bourbouloux. Il en va de même pour la fiducie, que le mandataire qualifie d’« enfant du sacrifice des sûretés spéciales dans les procédures collectives ». « Parvenir à trouver un équilibre entre les intérêts du débiteur, la volonté d’aider les entreprises en difficulté et le maintien de la confiance des créanciers, qui en ont impérativement besoin pour pouvoir prêter de l’argent, n’est jamais chose aisée », résume-t-il.

L’ombre et la lumière

Si Marc Sénéchal est aujourd’hui de beaucoup des grands dossiers de la place, il l’assure néanmoins : la médiatisation qui en découle relève pour lui davantage d’un revers de médaille que d’une récompense. « À titre personnel, je ne suis pas quelqu’un qui recherche la lumière. Mais lorsque l’on traite ce type de dossiers, elle vient naturellement à vous », admet-il. « C’est un choix de vie. Il faut accepter qu’il ne s’agit en aucun cas d’un exercice tranquille. Nous devons faire face à un certain nombre d’enjeux et de conflits, et on se retrouve parfois dans des situations délicates sans l’avoir voulu ». En témoigne le récent conflit sur les droits télévisés qui a opposé le groupe audiovisuel sino-espagnol Mediapro et la Ligue de football professionnelle (LFP), dans le cadre duquel le mandataire a, bien malgré lui, été mis sous le feu des projecteurs. « Si l’on souhaite exercer le métier de mandataire judiciaire à un niveau tel que je l’ai fait, il faut savoir s’engager pleinement et bien mesurer en amont les effets négatifs que cela pourrait avoir, tant sur sa vie de famille que sur ses activités », prévient simplement le mandataire judiciaire.

Pour Marc Sénéchal, la médiatisation a toutefois le mérite de montrer l’utilité de certaines interventions et de mettre en lumière un métier qui, jusque-là, n’était selon lui ni très bien compris, ni très bien perçu. « Il s’agit d’une matière qui évolue également très souvent d’un point de vue législatif, et qui requiert aujourd’hui davantage de technicité », ajoute-t-il. « Désormais, un professionnel du restructuring et des procédures collectives doit composer avec des règles impératives et beaucoup plus complexes qu’il y a trente ans, tant au niveau des structurations financières que du financement en lui-même. Cela nécessite d’être plus agile sur un grand nombre de sujets, et surtout très polyvalent ». Sans compter la dimension d’extranéité plus prégnante et les nombreux financements internationaux qui en découlent. « Aujourd’hui, il est important de savoir parler anglais parfaitement, d’être capable de mener des négociations dans cette langue et de pouvoir vous exprimer d’égal à égal avec un créancier américain ou un fonds allemand, par exemple », liste le mandataire. Lequel, pour sa part, aspire désormais à plus de tranquillité et à pouvoir consacrer davantage de temps à sa famille et ses activités sportives. Un luxe dans une carrière au rythme aussi effréné. « J’ai toujours essayé d’exercer ce métier avec discipline, rigueur et constance dans un contexte pénurique, de conflits et d’enjeux qui viennent parfois bouleverser vos vies », souffle-t-il. « J’essaye donc aujourd’hui de former les plus jeunes au sein de mon cabinet afin qu’ils prennent le relais. Le but est de parvenir à faire en sorte que BTSG soit une vraie marque, et qu’elle ne soit plus systématiquement assimilée à Marc Sénéchal ou Stéphane Gorrias ». Transmettre afin d’avoir « une deuxième vingtaine d’exercice professionnel plus apaisée » ; voilà l’objectif clairement affiché de celui qui, jusque-là, n’a vécu que de prises de risques et d’adrénaline. L’avenir – et les restructurations qui se profilent encore en nombre dans les prochains mois – dira si la réalité rattrapera l’envie.

Marc Sénéchal

Marc Sénéchal est mandataire judiciaire depuis 2005, associé-fondateur de la société BTSG. Auteur de nombreux articles de doctrine et d’ouvrages dont sa thèse de doctorat consacrée à « l’effet réel de la procédure collective », il est également Professeur associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et a dirigé le master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté (ALED). Il est président d’honneur du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la tête duquel il a été élu à l’âge de trente-six ans et représente la France au conseil d’administration d’Insol Europe.