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Portrait

Pascale Lagesse, l’hyperactive

par Chloé Enkaouale 17 novembre 2021

Elle a beau être une « star » du droit social, les proches de Pascale Lagesse s’accordent à dire qu’elle a su rester modeste. Aujourd’hui bien ancrée à Paris mais toujours liée à son île Maurice natale, l’associée de Bredin Prat multiplie pourtant les dossiers et les engagements avec succès et un dynamisme à toute épreuve. Portrait d’une femme à 100 à l’heure.

 

À la tête de l’équipe droit social de Bredin Prat comme au sein des associations dont elle est membre, Pascale Lagesse a de l’énergie à revendre. Cela se ressent d’ailleurs dès le moment où elle fait irruption dans la salle de réunion, et jusque dans sa façon de retracer son parcours. Lequel a débuté sous le soleil de l’île Maurice, dont toute sa famille est originaire depuis des générations. À l’âge de 12 ans déjà, pendant les vacances scolaires, elle n’aime rien tant que d’assister aux rendez-vous professionnels de son père, solicitor en droit civil, dont elle était très proche. « Avec une clientèle majoritairement issue du monde de la campagne, il devait communiquer avec des personnes qui souvent ne parlaient qu’Hindi ou Bhojpuri », raconte-t-elle en souriant. « J’adorais être témoin de ces rencontres. J’imagine que dans mon inconscient, le métier d’avocat a donc pris sa place extrêmement tôt. »

D’une pointure à une autre

Forte d’une double culture anglo-française et bercée par cette multiculturalité dont elle est si fière, Pascale Lagesse décide de mettre le cap vers la France pour suivre des études de droit, où elle décrochera à terme une Maîtrise carrières judiciaires à Paris 2 et un DEA de droit privé à Paris 1. « A l’époque, cela a été un choc culturel mais aussi de température, de lumière, d’accent, de personnes,… » se souvient celle qui n’a alors qu’une idée en tête : venir à bout de sa formation en droit civil pour regagner son île natale et travailler aux côtés de son père. Mais au cours de ses études, une rencontre fortuite vient changer la donne… « Sachant que je partais rendre visite à ma famille à l’Île Maurice, une connaissance m’avait demandé de ramener à Paris une maquette de bateau pour un ami à lui. Il se trouve que cet ami était Bernard Buisson, alors associé chez Gide Loyrette Nouel, qui a tout de suite remarqué les Codes civils qui ornaient les murs de ma chambre de bonne et m’a tendu sa carte de visite », relate-t-elle. Une prestation de serment plus tard, en 1989, elle décroche son téléphone pour solliciter une collaboration au sein du géant français, toujours avec l’idée d’un retour au pays quelques temps plus tard. Mais les deux années initialement envisagées se transformeront en 10 années riches en rencontres et en dossiers. « A l’époque, il y avait Gide et les autres », souligne l’avocate. Après avoir fait ses armes en droit social auprès de Hubert Flichy, qu’elle considère comme son « père spirituel », l’avocate est notamment envoyée en détachement chez Allen & Overy. Une première pour une femme à l’époque. « Cela a été une super expérience » affirme-t-elle, enthousiaste.

En 1998, Gide perd plusieurs associés emblématiques parmi lesquels Marc Loy, Thierry Vassogne et Olivier Diaz, qui entraînent toute leur équipe dans leur sillage. Un coup dur pour le cabinet. De même, l’association tant espérée tarde à venir pour Pascale Lagesse, qui décide alors un an plus tard de partir avec d’autres, et notamment Hubert Flichy, poser la plaque du cabinet de droit social Flichy Lagesse Montanier Ayache & Associés – aujourd’hui Flichy Grangé. Mais rapidement, tout le côté international et transversal d’une structure globale manque à l’avocate. « Le projet, aussi formidable soit-il, ne me correspondait pas culturellement parlant », affirme-t-elle. Au bout d’un an, elle finit donc par rejoindre en qualité d’associée d’autres transfuges de Gide chez Freshfields à Paris, où elle crée en 2000 la pratique droit du travail. « Étant de culture moitié anglo-saxonne, moitié française, la greffe a pris tout de suite » raconte-t-elle. Sept ans plus tard, au détour du dossier très médiatique de la vente des Échos à LVMH, l’associée croise la route de Jean-François Prat, alors conseil de Bernard Arnault. Très vite, le prestigieux cabinet Bredin Prat finit par lui faire des appels du pied… Pourtant, aussi alléchante soit-elle, la proposition ne tombe pas à point nommé ; Pascale Lagesse est alors mère de 3 enfants en bas âge et ne se sent pas le courage de repartir de zéro au sein d’une nouvelle structure. Et puis, elle se sent plutôt bien chez Freshfields. Mais en 2008, elle pousse finalement la porte du géant français avec à ses côtés quatre collaborateurs, et prend la tête du département droit social. « Pascale a de très grandes ambitions et une très grande détermination. Elle sait saisir très rapidement une opportunité qui s’offre à elle » dit à son sujet Didier Martin, senior partner chez Bredin Prat.

Éclairer la route

Aujourd’hui, Pascale Lagesse salue une structure où le collectif prime, et une « famille professionnelle » où aucun psychodrame n’est à déplorer. « C’est un cabinet exigeant à tous les niveaux, humainement sain, où les associés travaillent toujours de manière collégiale et transverse », assure-t-elle. « Outre la personnalité des avocats, notre système de rémunération facilite également la circulation des dossiers. Il n’y a pas de pré carré. » Aujourd’hui, l’associée qui a prêté serment il y a plus de 30 ans souhaite avant tout passer le relais à la nouvelle génération d’avocats présente au sein de son équipe. « La culture de Bredin Prat est une culture de partage et de mentoring ; on embauche des jeunes et on les fait monter. Désormais, je souhaite plus que jamais avoir un rôle dans la transmission du savoir, des contacts, des clients. C’est assez gratifiant. » Côté activité, Pascale Lagesse gravite dans un département d’une quinzaine d’avocats, comprenant 2 autres associés et un professeur de droit qui a intégré le cabinet il y a un an environ, Paul-Henri Antonmattei. « Nous avons eu très tôt l’ambition de couvrir tout le spectre du droit du travail. Aujourd’hui, avec mon associée Lætitia Tombarello, nous sommes aussi bien capables de faire des opérations de fusion-acquisitions ou de restructurations que du droit du travail du tout-venant, comme le font les niches », expose-t-elle. « Dans ce spectre très large, un accent tout particulier est mis sur le contentieux collectif ou individuel avec mon autre associé, Cyril Gaillard. Nous ne sommes pas que des "service partners" ; sans cela, en France, il serait impossible de récupérer les plus beaux dossiers. »

Une pluralité d’activités qui a permis à l’équipe de Pascale Lagesse de se retrouver sur des transactions majeures en France, telles que la fusion Fiat/PSA, ainsi que sur des contentieux de droit du travail médiatiques. « Pascale a développé la pratique droit social du cabinet en un temps record ; elle sait déployer ses talents avec autant de succès auprès de clients français ou étrangers », souligne Didier Martin. Son principal atout ? Sa culture anglo-saxonne, encore une fois, qui lui permet de comprendre culturellement des entreprises étrangères de renom aux prises avec les aléas d’une matière très franco-française et plutôt anxiogène. Parmi elles, on retrouve notamment Hewlett-Packard. Son ex-directeur général pour la France Gérald Karsenti, aujourd’hui président de SAP France, brosse le portrait d’une avocate à la fois fiable et pertinente dans ses analyses, qui sait entrer au cœur des entreprises et comprendre les problématiques de ses clients. « Elle dit toujours ce qu’elle pense et ne laisse pas indifférent, mais elle sait aussi se mettre en retrait lorsqu’il le faut », assure-t-il. « Pascale a en outre beaucoup d’imagination et fait preuve d’une grande créativité. Lorsque l’on est autour d’une table et que notre vision d’un problème finit par être un peu dévoyée, elle est comme un phare qui éclaire la route. » Le droit social étant une matière médiatiquement délicate pour ces entreprises clientes soucieuses de leur réputation, Pascale Lagesse mise sur la construction de relations pérennes et sur une vision des choses à 360°. « Il faut pouvoir être extrêmement rigoureux intellectuellement, tout en sachant prendre du recul afin d’apporter un point de vue stratégique aux clients », analyse-t-elle. « Être avocat en droit social, c’est être en quelque sorte un couteau suisse. »

Terrains d’observation

Et de l’agilité, il en a fallu pour faire face à la crise sanitaire et à ses nombreux impacts sur les clients. « Au cours du premier confinement, les entreprises ont vraiment découvert le télétravail. À ce moment-là, nous avons énormément travaillé sur ce sujet », détaille Pascale Lagesse. « Ensuite, l’activité est repartie. Comme avant la crise, nous avons notamment fait beaucoup de négociations collectives, qui se sont multipliées depuis les ordonnances Macron, et quelques très gros contentieux individuels sur de nouveaux sujets d’intervention liés à tout ce qui est compliance/RSE, ou encore au mouvement #metoo. » Pour l’avocate, la crise du covid-19 devrait durablement modifier l’organisation du travail au sein des entreprises, et induire notamment des contentieux liés aux discriminations entre salariés en présentiel et à distance. « Le droit du travail subit les évolutions de la société. Dans ce cadre, il faut continuer à être innovant », assure celle qui, pour ce faire, puise largement son inspiration au sein de l’International Bar Association (IBA), dont elle a été récemment nommée trésorière adjointe et Chair of the Membership Committee. Au contact de ses plus de 80 000 membres à travers le monde, l’associée y trouve en effet un terrain d’observation privilégié. « Cela me permet de me familiariser, au travers de mes contacts, avec des problématiques de droit étranger complexes », commente-t-elle. « C’est notamment au sein de cette association que j’ai pu assister aux débuts des sujets sur les discriminations, et plus récemment sur les lanceurs d’alertes, qui venaient plutôt des pays anglo-saxons. » C’est également à l’IBA que Pascale Lagesse a fait la rencontre d’Almudena Arpón de Mendívil, avocate à Madrid et vice-présidente de l’association, avec qui le courant est immédiatement passé. « Nous avons bâti une relation qui s’est transformée en amitié au fil du temps », raconte l’avocate espagnole. « Les fonctions que Pascale occupe à l’IBA requièrent non seulement un engagement sans faille, mais aussi une capacité d’analyse des situations complexes à toute épreuve dans un environnement international. Elle n’hésite jamais à consacrer du temps à l’association, malgré son emploi du temps. »

Intarissable lorsqu’il s’agit de parler de L’IBA, Pascale Lagesse évoque également son Human Rights Institute (HRI), dédié aux droits de l’homme et dans le cadre duquel les membres de l’association sont actuellement très mobilisés pour faire sortir les avocats d’Afghanistan. « Les valeurs qui y sont véhiculées me tiennent à cœur. Cela donne un sens à ce que je fais, et c’est pour moi très important », souffle l’avocate. Laquelle est également très engagée pour les droits des femmes et leur place dans la société, au sein de l’association comme dans sa vie personnelle et professionnelle. « C’est une préoccupation constante pour moi », affirme-t-elle. « Je pense que le fait de venir de l’île Maurice, avec des générations de femmes exceptionnelles au-dessus de moi qui, elles, n’ont pas eu la chance de faire des études, a du s’inscrire quelque part en moi et motiver mon envie de mener ce combat, qui est encore loin d’être gagné y compris au sein de notre profession… » Également responsable pédagogique du parcours Droit social de l’EFB, l’associée est au plus près de cette jeune génération de femmes ambitieuses. Sa propre fille est elle-même tout juste sortie de l’école d’avocats, et achève de la convaincre de l’absolue nécessité de « faire bouger les lignes ». Enfin, ses racines n’étant jamais bien loin, Pascale Lagesse tente d’insuffler cette vision jusqu’au sein des conseils d’administration de grands groupes mauriciens dans lesquels elle siège aujourd’hui en tant qu’administratrice indépendante. « Je fais souvent des allers-retours entre Paris et l’île Maurice, au sens propre comme au figuré », reconnaît-elle. Une île dont l’image a été quelque peu entachée l’an dernier avec son inscription sur la liste noire de l’Union européenne, alors même que l’autre pilier de son économie, le tourisme, était déjà impacté par la crise sanitaire… « J’ai la chance d’avoir été approchée sur ce sujet par le gouvernement mauricien », se félicite l’avocate. « Même si le dossier a été traité avec le soutien de mes associés Hugues Calvet et Yelena Trifounovitch de l’équipe Concurrence de Bredin Prat, j’ai fait le lien culturellement et linguistiquement avec tous les acteurs. Si je n’avais pas remis un pied localement, un tel dossier ne serait peut-être pas arrivé jusqu’à moi. »

Au milieu de ces activités menées « un peu tous azimuts », Pascale Lagesse, curieuse de tout et de tous, trouve encore le temps de s’intéresser aux études d’ingénieur de son fils, qui souhaite travailler dans la Formule 1. « J’ai tout lu sur le monde de la Formule 1 ; je pourrais vous expliquer pas mal de choses à ce sujet », lance-t-elle dans un éclat de rire. « De manière générale, je fais toujours les choses avec beaucoup d’énergie et de passion. Quelquefois, cela peut être fatigant pour les autres ! Mais je ne m’ennuie jamais. » On veut bien la croire…

Pascale Lagesse

Avocate associée, Pascale Lagesse est responsable du département Droit social du Cabinet Bredin Prat depuis 2008.