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Portrait

Peimane Ghaleh-Marzban, le discret capitaine du Tribunal de Bobigny

par Anaïs Coignac, Journalistele 17 octobre 2024

Il y a des jours dans une vie qui vous marquent à jamais. Le 14 novembre 2023 compte, sans aucun doute, parmi ceux-là pour Peimane Ghaleh-Marzban, autorité discrète et fédératrice, actuel président du Tribunal de Bobigny, parce qu’il constitue peut-être la séquence la plus pénible d’une carrière unanimement reconnue comme exemplaire, et une épreuve personnelle. Ce mardi matin, l’ancien directeur des services judiciaires du ministère de la Justice, de 2017 à 2020, s’avance à la barre de la Cour de justice de la République (CJR) pour être entendu comme témoin, parmi quantité de personnalités du monde judiciaire. Le procès en cours est celui du garde des Sceaux Dupond-Moretti qu’il a côtoyé six semaines à ce poste sacrificiel, sorte de paratonnerre de toute une administration. Le voilà encerclé par quinze juges qui l’interpellent sur des décisions prises au milieu de milliers d’autres, dos à un ministre de la Justice indiscipliné qui l’accuse de corporatisme, sous la loupe des médias massés à l’étage, face au regard brut des citoyens. Rodé aux rapports de force institutionnels, le magistrat s’agace, perd son indéfectible patience : « Est ce qu’il est possible de dire au ministre de ne pas interrompre le témoin ? C’est insupportable ! » Ces minutes solennelles, au-delà du moment de gravité pour le pays, racontent une vérité nue d’homme habité par la droiture, qui revendique « un parcours républicain » ; qui s’est élevé de servir l’État en « esprit libre », précise-t-il aujourd’hui ; en bourreau de travail peut-on ajouter ; toujours disponible et à l’écoute, témoignent ses collègues et interlocuteurs. Plus globalement, ce procès pour prises illégales d’intérêts d’un garde des Sceaux en exercice, qui sera relaxé par la CJR, vient mettre à mal l’œuvre commune à laquelle il contribue inlassablement, en faveur d’un système judiciaire efficace, transparent, et protecteur pour le justiciable dont il sait la confiance envers l’État et ses représentants abîmée. Cette fissure-là aussi lui est profondément « insupportable ». « Nous sommes tous liés », avait-il argumenté plus tôt. « Quelle image donnons-nous ? », interroge-t-il, collectivement. À la cour : « Quelle que soit votre décision, ça va être dramatique pour l’institution judiciaire ».

L’obsession d’une action positive pour la justice

Quelques mois plus tard, nous le retrouvons au Tribunal judiciaire de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, qu’il préside depuis septembre 2020 et qui s’apprête à recevoir les Jeux Olympiques de Paris 2024. Une juridiction monumentale, cinquantenaire, la deuxième de France, avec ses désormais 210 magistrats dont 61 du parquet et ses 468 fonctionnaires hors tribunaux de proximité, qui a vu passer d’éminentes personnalités telles que Rémy Heitz, président de 2010 à 2015, ou les procureurs François Molins (2004-2009) et Fabienne Klein-Donati (2014-2021). Dans son grand bureau au 5e étage, la porte reste constamment ouverte à chacun des membres du tribunal qui peuvent l’y solliciter entre 7h30 et le milieu de soirée, à moins qu’ils ne le rencontrent, et c’est plus souvent le cas, ailleurs dans la cité bleue ou dans le ressort pour une réunion ou une visite informelle. « Mon rôle c’est aussi d’assurer une forme de présence physique, considère-t-il. Boire un café avec un collègue, aller dans les services, passer dans les permanences du juge des libertés et de la détention (JLD, ndlr) le soir pour vérifier que tout va bien, qu’il n’y a pas une urgence à gérer ». Sur la table de réunion qui occupe l’entrée, un globe terrestre tourne sur lui-même, ramenant l’atmosphère saturée à une cadence métronomique. Il en a observé les vertus apaisantes auprès d’autrui et pour lui-même : « cela permet, dans des moments de stress, d’avoir un rapport distancié au monde, aux sujets, sans pour autant relativiser les problèmes ».

Si Peimane Ghaleh-Marzban accepte de revenir sur son audition devant la CJR, qu’il veut ramener à « une parenthèse », c’est pour contextualiser. « Je n’imaginais pas un jour me retrouver devant une cour de justice, reconnaît-il. Mais quand vous exercez des hautes responsabilités, vous savez qu’à tout moment, vous devez être capable d’expliquer vos décisions ». De l’échange sincère qui se tiendra dans son bureau rectangle sur le fond du dossier, « pour [n]otre compréhension », il ne sera pas davantage question dans ces lignes. Une nouvelle saison a passé depuis, le refus de prolonger cette séquence s’est affirmé. Nous n’avons pas jugé utile d’insister sur ce point dans l’exercice du portrait, qui plus est glané de haute lutte auprès d’une personnalité habituée au silence de soi. La seule citation que nous maintiendrons, pour l’éclairage rétrospectif général, est un mantra de Nicole Belloubet qu’il a fait sien tout au long de leur entente au ministère, et qui fait écho à son émoi devant les juges de la CJR. « Son obsession, sa manière d’aborder chaque dossier, était de se demander : ’’est-ce que nous faisons quelque chose de bien pour la justice du pays’’ ? ». Il réitère, fidèlement : « lorsqu’on s’est revus après mon arrivée à Bobigny, c’est la première chose qu’elle m’a demandée : est-ce que ce que nous avons fait a apporté quelque chose au tribunal ? »

Un leadership sobre

Catherine Mathieu, son ex-sous-directrice des ressources humaines, a également été auditionnée devant la CJR : « pour moi aussi ça a été une épreuve ». De son ancien DSJ, elle atteste qu’« il n’est pas habité par l’orgueil ni par le pouvoir mais par l’institution judiciaire pour laquelle il porte de très hautes ambitions ». « C’est une personnalité faite d’un seul bloc, indique-t-elle. Il était là tout le temps, continuait à travailler la nuit. Il avait d’ailleurs changé physiquement ». D’après l’expérience de l’actuelle présidente du Tribunal judiciaire de Meaux, ce poste est « une des fonctions les...

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Ghaleh-Marzban Peimane

Peimane Ghaleh-Marzban est président du Tribunal judiciaire de Bobigny.