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CCMI : regards sur l’étendue du pouvoir souverain d’appréciation des juges

Les juges peuvent, en lieu et place de l’exécution forcée en nature sollicitée, allouer des dommages-intérêts dès lors qu’ils sont de nature à réparer intégralement le désordre esthétique affectant l’ouvrage et le constructeur qui a insuffisamment chiffré les travaux réservés par le maître de l’ouvrage doit en supporter le coût, déduction faite de celui compris dans la notice descriptive.

par Nastasia De Andrade, Docteur en droitle 30 novembre 2021

L’arrêt commenté, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 3e, 18 avr. 2019, n° 18-16.359), invite à se pencher sur l’étendue du pouvoir souverain d’appréciation des juges en matière de construction de maison individuelle.

Une société civile immobilière (SCI) maître d’ouvrage a assigné le constructeur de maison individuelle en indemnisation des malfaçons affectant l’ouvrage ainsi qu’en remboursement du coût de certains travaux dont elle s’était réservé l’exécution. Si ces deux demandes ont été accueillies, les juges ont toutefois limité la condamnation mise à la charge du constructeur.

L’appréciation souveraine des modalités de la réparation du désordre

En l’espèce, la construction était affectée d’un défaut d’équerrage du carrelage ayant pour origine la réalisation non conforme d’un mur au contrat. Le maître de l’ouvrage reprochait à la cour d’appel de lui avoir alloué des dommages-intérêts en réparation de ce désordre qualifié d’esthétique, en lieu et place de l’exécution forcée en nature sollicitée.

Afin de rejeter une telle demande, la cour d’appel de Lyon avait considéré que les travaux de reprise, lesquels impliquaient notamment la démolition-reconstruction du mur et du carrelage, outre l’indemnisation des conséquences immatérielles de ces travaux sur le bien loué, « étaient hors de proportion et dès lors injustifiés pour réparer l’atteinte esthétique mineure ». En d’autres termes, les juges du fond ont fait application du principe de proportionnalité.

Application dans le temps du principe de proportionnalité

L’article 1221 du code civil offre au créancier la possibilité de requérir du débiteur l’exécution forcée en nature de ses obligations contractuelles. Deux limites sont fixées par le texte : l’exécution en nature du contrat doit être possible et il ne doit pas exister de disproportion manifeste entre, d’une part, son coût pour le débiteur de bonne foi et, d’autre part, son intérêt pour le créancier. Cette mise en balance des intérêts du créancier et du débiteur, guidée par un souci d’équité, présente l’avantage de mettre un terme aux demandes excessives visant à voir démolir puis reconstruire un ouvrage atteint de désordres mineurs.

En revanche, l’ancien article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, se bornait à autoriser la partie envers laquelle l’engagement n’avait pas été exécuté de poursuivre l’exécution forcée de la convention lorsqu’elle était possible. Une stricte application de ce texte permet d’en déduire qu’en l’absence de toute impossibilité d’exécuter, les juges du fond sont tenus d’ordonner l’exécution forcée quelle que soit l’importance de l’inexécution (Civ. 3e, 16 juin 2015, n° 14-14.612, RTD civ. 2016. 107, obs. H. Barbier ), le défaut de conformité est-il minime (Civ. 3e, 11 mai 2005, n° 03-21.136 P, D. 2005. 1504 ; RDI 2005. 299, obs. P. Malinvaud ; ibid. 2006. 307, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 2005. 596, obs. J. Mestre et B. Fages ), et sans que l’existence et la gravité du préjudice aient une quelconque incidence (Civ. 3e, 20 déc. 2018, n° 16-12.131). En somme, le principe de proportionnalité ne régit pas les litiges fondés sur l’ancien article 1184 du code civil (Civ. 3e, 12 avr. 2018, n° 17-26.906, RDI 2018. 398, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2018. 900, obs. H. Barbier ; 27 juin 2019, n° 18-14.249).

Au cas présent, le maître de l’ouvrage se fondait justement sur l’ancien article 1184 du code civil pour écarter l’application du principe de proportionnalité, faisant valoir qu’une exécution en nature du contrat était possible et qu’elle devait être ordonnée, sans que le coût mis à la charge du débiteur puisse avoir une quelconque importance.

Exécution forcée en nature versus réparation intégrale du préjudice

La Cour de cassation décide néanmoins de rejeter le pourvoi en se retranchant derrière l’appréciation souveraine des modalités de la réparation du préjudice par les juges du fond. Les juges du quai de l’Horloge approuvent ainsi la cour d’appel d’avoir « retenu que l’atteinte esthétique mineure subie par l’ouvrage était intégralement réparée par l’allocation d’une somme dont elle a déterminé le montant » (3 000 €).

Si cette solution peut étonner au premier abord, une lecture attentive des demandes formulées par le maître de l’ouvrage permet d’entrevoir une explication. Ce dernier sollicitait à titre principal la condamnation du constructeur à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 25 000 € sur le fondement de la responsabilité contractuelle, soutenant que le désordre avait été dénoncé par lettre recommandée dans les huit jours suivant la remise des clés (CCH, art. L. 231-8). À titre subsidiaire, le maître de l’ouvrage se fondait sur l’ancien article 1184, alinéa second, du code civil pour obtenir l’exécution forcée des travaux de reprise sous astreinte.

Or il est vrai que la réparation en nature est soumise à un contrôle de proportionnalité judiciaire (v. en ce sens H. Barbier, L’objectif de proportionnalité des sanctions contractuelles, RTD civ. 2016. 107 ). Les juges du fond retrouvent de ce fait le pouvoir d’opérer une mise en balance des intérêts en présence lorsque la demande est fondée sur la responsabilité contractuelle (Civ. 1re, 14 févr. 2019, n° 18-11.836, RDI 2019. 219, obs. M. Faure-Abbad ), sur la responsabilité décennale (Civ. 3e, 21 juin 2018, n° 17-15.897 P, D. 2018. 1385 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; RTD civ. 2018. 900, obs. H. Barbier ; ibid. 923, obs. P. Jourdain ), ou lorsque la nullité du contrat a été prononcée (Civ. 3e, 15 oct. 2015, n° 14-23.612 P, Dalloz actualité, 6 nov. 2015, obs. F. Garcia ; D. 2015. 2423 , note C. Dubois ; ibid. 2016. 566, obs. M. Mekki ; ibid. 1028, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp ; ibid. 1779, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; RDI 2016. 27, obs. D. Tomasin ; RTD civ. 2016. 107, obs. H. Barbier ; ibid. 140, obs. P.-Y. Gautier – la démolition étant alors nécessairement fondée sur la responsabilité délictuelle). Ceci explique que, dans l’arrêt sous étude, qui n’est d’ailleurs pas isolé (Civ. 1re, 14 févr. 2019, n° 18-11.836, préc.), les juges du fond aient fait usage de leur libre arbitre dans l’appréciation des modalités de la réparation du désordre.

La distinction entre réparation en nature et exécution forcée en nature demeure toutefois particulièrement difficile, si ce n’est fragile, si bien que certains auteurs sont tentés de les confondre. Pourtant, l’article 1217 du code civil différencie l’exécution forcée en nature de la réparation des conséquences de l’inexécution. Tout au plus est-il possible de considérer que l’exécution forcée tend à obtenir la réalisation d’un ouvrage strictement conforme aux stipulations contractuelles, tandis que la réparation traduit la correction de l’inexécution du contrat pouvant impliquer des travaux non prévus. Il est probable que la seconde hypothèse ne soit pas pleinement satisfactoire pour le créancier dans la mesure où l’ouvrage réparé ne correspondra pas forcément à l’ouvrage initialement convenu – comme l’illustre parfaitement l’arrêt rapporté.

Il est alors légitime de se demander quelle aurait été la solution retenue par la Cour si le maître de l’ouvrage n’avait introduit qu’une seule demande strictement fondée sur l’exécution forcée en nature et non sur la responsabilité contractuelle, qui relève d’une logique distincte. En tout état de cause, il est à regretter que la Cour de cassation n’ait pas motivé son arrêt sur la question de la mise en œuvre du principe de proportionnalité sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des contrats, tandis que l’on sait qu’elle fait l’objet d’un contentieux abondant (préc.).

L’appréciation souveraine du coût mis à la charge du constructeur au titre des travaux réservés insuffisamment chiffrés

Le formalisme impératif du contrat de construction de maison individuelle impose au constructeur de décrire et chiffrer le coût des travaux dont le maître de l’ouvrage se réserve l’exécution (CCH, art. L. 231-2 et art. R. 231-4). En l’absence de chiffrage dans la notice descriptive ou de chiffrage non explicite ou non réaliste, le constructeur doit supporter la charge de ces travaux (Civ. 3e, 9 juill. 2014, n° 13-13.931 P, Dalloz actualité, 12 sept. 2014, obs. F. Garcia ; RDI 2014. 522, obs. D. Tomasin ; RDI 2014. 522, obs. D. Tomasin ; 13 nov. 2014, n° 13-18.937 P, Dalloz actualité, 3 déc. 2014, obs. F. Garcia ; D. 2014. 2343 ; RDI 2015. 129, obs. D. Tomasin ).

La Cour de cassation confirme cette solution dans l’arrêt commenté par un attendu particulièrement instructif sur l’utilité et sur l’enjeu de la mention des travaux réservés par le maître de l’ouvrage, laquelle « a pour but d’informer celui-ci du coût global de la construction et de lui éviter de s’engager dans une opération qu’il ne pourra mener à son terme ».

La volonté du législateur, appuyée par la jurisprudence, est d’éviter la situation dans laquelle le maître de l’ouvrage serait contraint de supporter d’importants frais supplémentaires non prévus initialement, compromettant la poursuite de l’opération de construction. Aussi, ce dernier doit comprendre dès le départ ce à quoi il s’engage pour valablement exprimer son consentement. Ceci implique qu’il ait une connaissance parfaite de l’enveloppe financière globale qu’il devra consacrer au projet. La rédaction de la mention manuscrite imposée par l’article R. 231-4 du code de la construction et de l’habitation vise également à s’assurer que l’information du maître de l’ouvrage est complète. Afin de satisfaire à l’obligation d’information lui incombant, le constructeur de maison individuelle doit donc décrire et chiffrer avec minutie l’ensemble des travaux réservés dans la colonne de la notice descriptive prévue à cet effet. Cette précision est d’autant plus opportune qu’elle permet d’informer le constructeur lui-même sur les sommes qu’il pourrait être amené à engager si le maître de l’ouvrage lui en fait la demande dans les quatre mois suivant la signature du contrat (CCH, art. L. 231-7).

En l’espèce, un certain nombre de travaux réservés par le maître de l’ouvrage avaient été sous-évalués (frais de raccordement, branchements, installation d’un conduit de fumée), voire non chiffrés (coût des travaux préparatoires indispensables à l’implantation des constructions, peintures, portes). En conséquence, la Cour de cassation a considéré que le constructeur devait supporter le coût des travaux qu’il n’avait pas chiffrés de manière réaliste. Jusqu’ici, la Cour ne fait qu’entériner la solution précédemment dégagée (Civ. 3e, 9 juill. 2014, n° 13-13.931, préc.) et rappelle que le manquement au formalisme d’ordre public du CCMI est lourdement sanctionné.

Le second apport de l’arrêt réside dans le quantum des sommes pouvant être mises à la charge du constructeur de maison individuelle dans une telle hypothèse. Tandis que la SCI maître d’ouvrage sollicitait le remboursement de l’ensemble des frais exposés, la cour d’appel a toutefois limité la condamnation du constructeur en déduisant des sommes dues le coût des travaux réservés mentionné dans la notice descriptive.

En effet, si le maître de l’ouvrage n’était pas en mesure de connaître le coût global de la construction, il n’en demeure pas moins qu’il avait été en partie informé du coût de certains travaux dont il s’était réservé l’exécution et qu’il avait notamment rédigé et signé la mention manuscrite formalisant son accord à cet égard. Dès lors, le constructeur ne peut être condamné qu’au paiement du dépassement du prix de ces travaux non chiffrés ou insuffisamment chiffrés dans la notice descriptive.

L’appréciation souveraine de l’existence des préjudices subis

Le maître de l’ouvrage reprochait enfin à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande indemnitaire en réparation du préjudice lié aux carences du constructeur, « par une clause de style, donnant au justiciable le sentiment de ne pas avoir été effectivement entendu ». Il invoquait la violation de l’article 455 du code de procédure civile, lequel impose la motivation des jugements, et du procès équitable protégé par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

La haute juridiction rappelle une nouvelle fois qu’en vertu de l’appréciation souveraine de la cour d’appel sur l’existence des préjudices invoqués, cette dernière n’était pas tenue de s’expliquer spécialement sur les éléments qu’elle décidait d’écarter. Cette pratique judiciaire consistant à balayer d’un revers de manche certaines demandes, au-delà de provoquer la frustration des avocats, nourrit un sentiment d’incompréhension pour les justiciables à l’heure où la réforme tend à restaurer la confiance dans l’institution judiciaire.