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Procès France Télécom : « Comment ont-ils pu mettre en place une telle politique de la terreur ? »

Après quatre semaines d’audience, le tribunal poursuit l’examen des situations des trente-sept parties civiles, dans le procès de sept dirigeants de France Télécom pour harcèlement moral au travail.

par Julien Mucchiellile 4 juin 2019

Jean-Marc Régnier était un « lignard » des PTT depuis 1978, cela signifie qu’il intervenait pour la maintenance des lignes téléphoniques. Le passage de l’analogique au numérique menace son métier. Il commence un parcours de professionnalisation de « technicien intervention client multi-services » (TIC) qui devait lui permettre d’évoluer vers un métier de l’ADSL. « Je me souviens que Jean-Marc Régnier, ce jour-là m’avait dit que ce genre de boulot, ce ne serait jamais pour lui », témoigne un délégué syndical qui l’a rencontré au cours d’une formation en 2005. Mais le job de Jean-Marc Régnier est voué à disparaître (« mobilité fonctionnelle contrainte dans un contexte de disparition des métiers »), lui répète-t-on, alors malgré son désintérêt pour les ordinateurs, il s’accroche. « On a brandi la menace de la disparition du métier pour le forcer à faire la formation, mais c’est faux : Orange s’est débarrassé de cette activité auprès d’autres entreprises privées, mais son métier existe toujours aujourd’hui », témoigne un collègue. « Si je ne réussis pas cette formation, je vais finir sur une plateforme », répétait Jean-Marc Régnier à l’envi et à sa femme Ghislaine. La plateforme d’appel, pire cauchemar du lignard.

Confronté à l’échec de cette formation, alors qu’il y consacrait un investissement considérable, son moral s’étiolait gravement. Jean-Marc Régnier entra en profonde dépression. À la barre du tribunal correctionnel de Paris où sept hauts dirigeants de France Télécom sont jugés pour harcèlement moral au travail, sa veuve témoigne : « Un changement radical s’est produit. Un jour, il m’a dit : “J’en peux plus, Ghislaine, ils me font chier”. Je lui ai dit de tout arrêter, il m’a dit “je ne peux pas, je vais finir sur une plateforme”. Il se relevait la nuit pour regarder les schémas, il ne dormait plus, l’examen allait arriver et il savait qu’il n’y arriverait pas ». Il devait plancher le 13 mai 2008. Le 3 mai, le « lignard » se tire une balle dans la tête.

« J’en ai plein la tête, je souffre de trop », a-t-il laissé à l’attention de ses proches, sa femme et son fils, qui a découvert son corps à la frontière belge. Cette souffrance est-elle imputable à un harcèlement ? Plusieurs témoignages rapportent que régnait à cette époque une ambiance d’essaimage et que la part variable des managers était partiellement indexée sur le nombre de départs (et de mobilités) auquel il parviendrait. Alors, même si le métier de Jean-Marc n’allait pas disparaître et qu’il n’était pas prévu que le lignard finisse sur une plateforme (son site d’intervention de Longwy n’était pas voué à disparaître), ses managers laissèrent planer la menace. Un délégué syndical SUD décrit...

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