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Le droit en débats

L’impact de la césure sur les notions du procès civil

La césure est une incitation à l’amiable, et la procédure a été adaptée aux principes directeurs du procès civil.

Par Natalie Fricero le 02 Mai 2024

Définition. Le terme de césure vient du latin caesura, coupure. Il est bien connu des étudiants lorsqu’ils prennent une année de césure dans leurs études pour faire une « coupure », une pause dans le cursus universitaire. En procédure civile, la césure n’est pas en elle-même un mode amiable bien qu’elle soit intégrée dans la politique nationale de l’amiable.

Comme le précise l’article 807-1 du code de procédure civile, issu du décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023, elle permet aux parties et à leurs avocats de décider de limiter le débat dans un premier temps à certaines de leurs prétentions, d’obtenir une clôture partielle de la mise en état et le prononcé d’un jugement partiel. Ensuite, alors même que les textes ne mentionnent pas expressément le recours à un mode amiable, les parties sont implicitement incitées à trouver un accord sur les conséquences du jugement. La pratique avait déjà innové devant le Tribunal judiciaire de Paris. L’exemple le plus fréquemment invoqué est celui d’une action en réparation d’un préjudice, qui suppose d’abord de trancher le principe de la responsabilité de celui qui est poursuivi : si le jugement partiel le déclare responsable, les parties peuvent négocier la réparation, son montant, ses modalités, soit seules, soit avec l’aide d’un tiers, médiateur ou conciliateur, ou l’aide d’un juge dans le cadre d’une audience de règlement amiable.

À l’analyse, deux constats s’imposent : la césure est une incitation à l’amiable, et la procédure a été adaptée aux principes directeurs du procès civil.

La césure, un instrument d’incitation à l’amiable

Double objectif (proportionnalité procédurale et incitation à l’amiable) : La volonté du législateur d’offrir une justice plurielle a conduit à une adaptation des règles de procédure. Il s’est agi de mettre en œuvre un principe de proportionnalité procédurale : dans certains dossiers, il est préférable pour les parties d’obtenir dans des délais raisonnables une réponse à la question juridique posée par leur affaire, puis de régler les conséquences patrimoniales dans le cadre d’une négociation, avec l’aide ou non d’un tiers médiateur ou conciliateur, avec l’assistance de leur avocat. En cas d’échec des négociations, la mise en état reprend et un second jugement sera rendu sur les prétentions non tranchées, dont le juge avait été saisi par l’assignation.

Intérêts pour le justiciable. L’introduction dans la seconde phase de l’instance d’un mode amiable présente des intérêts évidents pour le justiciable : solution consensuelle négociée et donc adaptée aux besoins et intérêts des parties, solution plus rapide (même si ce n’est pas une exigence, les négociations n’étant pas limitées dans le temps par le code de procédure civile !), solution définitive (pas de voies de recours contre un accord, même si une action en nullité fondée sur le droit commun des contrats est théoriquement envisageable). Bref, tous les avantages des modes amiables sont alors réunis.

Mais l’introduction de ce nouvel outil de gestion procédurale modifie les notions du procès civil.

La césure, un bouleversement des notions du procès civil

L’analyse chronologique de la procédure permet de mesurer l’impact sur plusieurs notions du procès civil, et autorise l’abandon du plan académique en deux parties.

1° La demande de césure émane nécessairement des avocats et de toutes les parties à la procédure. Elle n’est possible que pour les procédures écrites avec représentation obligatoire devant le tribunal judiciaire. La demande prend la forme de conclusions auxquelles est joint un acte contresigné par avocats, qui définit les prétentions qui seront tranchées par le jugement partiel.

Cette modalité redynamise le principe dispositif. L’article 4 du code de procédure civile prévoit que l’objet du litige est déterminé par les prétentions des parties. L’originalité en l’espèce résulte du fait que les parties vont préciser la totalité de leurs prétentions dans l’acte introductif d’instance, puis elles vont limiter temporairement la mise en état et la saisine du juge à certaines prétentions seulement pour obtenir un jugement partiel. La mise en œuvre du principe dispositif explique que seuls les avocats peuvent solliciter une césure, le juge ne peut pas l’imposer d’office.

2° La césure revalorise l’acte contresigné par avocats. Cet acte prévu à l’article 1374 du code civil est signé par les parties et contresigné par leur avocat, et sa force juridique est plus importante qu’un acte sous signature privée, puisqu’il fait foi de la signature des parties et qu’une présomption d’information est affirmée quant à la portée juridique de l’acte (Loi du 31 déc. 1971, art. 66-3). La demande de césure est faite par acte d’avocats joint aux conclusions adressées au juge de la mise en état.

3° Il entre dans l’office du juge d’autoriser, ou de refuser la césure. Il s’agit là de son office de gestion de la procédure : ce nouvel aspect de l’office du juge civil fait écho au principe de proportionnalité recommandé par le rapport du groupe de travail sur la simplification de la procédure civile des États généraux de la justice. Le juge peut refuser la césure, notamment, si les deux prétentions sont indivisibles et qu’il n’est pas possible de les examiner séparément.

4° La césure entraîne une complexification de l’instance. Ceci a conduit à la création d’une ordonnance de clôture partielle originale, qui n’est pas la sanction de l’inaction de l’un des avocats, comme c’est le cas à l’article 800 du code de procédure civile. La clôture partielle est la conséquence d’une limitation de la mise en état aux prétentions délimitées par les avocats.

En revanche, la mise en état portant sur les prétentions qui ne sont pas jugées reste en suspens en quelque sorte, jusqu’au prononcé du jugement partiel, voire jusqu’au prononcé de l’arrêt d’appel sur ce jugement (ou du pourvoi en cassation éventuel !). Est-ce que cette instance « césurée » se périme si aucun avocat n’accomplit d’acte durant cette phase (C. pr. civ., art. 396) ?

Une réponse négative devrait être apportée pour deux raisons :

  • l’instance « césurée » n’est pas divisée en deux instances distinctes, et les actes accomplis pour l’instruction des prétentions soumises au jugement partiel devraient être considérés comme des diligences interruptives de l’instance globale !
  • si on admet la péremption de l’instance portant sur les prétentions en réparation du préjudice, cela revient à interdire l’exécution du jugement partiel pourtant définitif sur le principe de la responsabilité ou la question juridique, et à anéantir l’autorité de la chose jugée en la rendant totalement inefficiente…

Dans le doute et dans l’attente d’une réponse de la Cour de cassation, il est opportun de solliciter du juge de la mise en état, à la fois, une ordonnance de clôture partielle et un sursis à statuer sur les prétentions non jugées (par ex., la réparation du préjudice) jusqu’au jugement partiel définitif !

5° Les conséquences de l’ordonnance de clôture partielle ne sont pas originales, puisque l’article 807-1 du code de procédure civile se borne à préciser qu’elle doit être la plus proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries, et que l’article 798 (ordonnance non motivée insusceptible de recours), les alinéas 2 à 4 de l’article 799 (rapport à l’audience, dépôt de dossiers, procédure sans audience), ainsi que les articles 802 à 807 (conséquences de la clôture) sont applicables.

6° La création d’une nouvelle catégorie de jugement : le jugement partiel (C. pr. civ., art. 544) qui « tranche dans son dispositif les seules prétentions faisant l’objet de la clôture partielle prévue à l’article 807-1 » aux termes de l’article 807-2 du code de procédure civile. Ce jugement est soumis à un appel à bref délai (C. pr. civ., art. 905) et est susceptible de faire l’objet d’une exécution provisoire facultative puisque le « tribunal peut ordonner l’exécution provisoire, dans les conditions des articles 515 à 517-4 » du code de procédure civile.

7° Hybridation de la procédure : après le prononcé du jugement partiel (ou de l’arrêt confirmatif), la mise en état reprend devant le juge initial. Mais l’objectif de la réforme est d’inciter les parties à recourir à un mode amiable pour résoudre les autres prétentions (réparation du préjudice). C’est ce qu’indique la circulaire du 17 octobre 2023. Les parties peuvent recourir à des pourparlers transactionnels, à une médiation ou une conciliation, ou même à une audience de règlement amiable. Le jugement partiel pourrait enjoindre de rencontrer un médiateur.

Après le prononcé du jugement partiel, le demandeur devrait pouvoir saisir le juge de la mise en état d’une demande de provision (C. pr. civ., art. 789-3°).

8° Une ordonnance de clôture de la mise en état qui porte sur les prétentions qui n’ont pas été tranchées par le jugement partiel, est prévue dans les conditions contraintes pour le juge de la mise en état, puisqu’elle ne peut pas voir lieu avant l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement partiel ou avant le prononcé de l’arrêt d’appel statuant sur le recours exercé (C. pr. civ., art. 807-3). Un second jugement sera rendu sur les prétentions non jugées, si les parties ne sont pas parvenues à un accord amiable, qui devrait être qualifié de jugement définitif et non de jugement partiel. En effet, l’article 807-2 du code de procédure civile, auquel renvoie l’article 905, précise que « le jugement partiel tranche les prétentions faisant l’objet de la clôture partielle prévue à l’article 807-1 », ce qui n’est pas le cas du second jugement qui tranche les prétentions subsistantes. La qualification est importante, puisque l’appel du jugement « partiel » est soumis de plein droit à la procédure à bref délai (C. pr. civ., art. 905).

En revanche, si les parties sont parvenues à un accord, elles peuvent solliciter son homologation au juge de la mise en état (C. pr. civ., art. 785) ou même au juge du fond (C. pr. civ., art. 1566, ou art. 131-12 en cas de médiation). Il faudra également qu’elles déposent des conclusions à fin de désistement d’instance (et d’action) pour éteindre l’instance césurée…