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Quelle parité en 2016 pour le barreau de Paris ?

Depuis 1985, les femmes sont devenues majoritaires à la sortie de l’EFB. Alors qu’elles le sont désormais dans la plupart des barreaux, qu’en est-il de leur place dans les cabinets ? En particulier à Paris qui compte 41% des avocats de France et concentre les plus gros cabinets internationaux ? Si les structures ne comptent pas encore autant d’associés femmes que d’hommes, l’égalité salariale reste encore une utopie et le congé maternité un point de crispation généralisé. Une situation qui connaît des avancées mais reste une gageure en 2016.

par Anaïs Coignac, journalistele 11 avril 2016

Des chiffres éloquents

Selon les chiffres de l’Observatoire de l’Égalité créé en 2012 sous le mandat de Christiane Féral-Schuhl, l’écart de revenu moyen entre les avocats et avocates s’élève à 42 % à Paris, 40 % des avocates quittent le barreau dans les dix premières années (20% chez les hommes) et le pourcentage d’associées stagne entre 15 et 20 % selon les sources. A cela, le rapport de la caisse nationale des barreaux français de septembre 2015 ajoute que sur toute la France, au bout d’un an d’exercice, le revenu moyen annuel des avocates s’élève à 39 096€ quand il est de 19,7 % plus élevé pour les hommes, soit 46 794€. Il faut rappeler que depuis 1985, les femmes sont plus nombreuses à prêter serment que les hommes, qu’elles étaient en 2015 54,4 % en province et 53 % à Paris contre 48 % partout en 2005 selon l’Observatoire du Conseil national des barreaux (CNB). Toutefois, force est de constater qu’en France, les femmes sont également peu nombreuses à la tête des grandes entreprises. Et que les inégalités de salaires, si elles tendent à se réduire, demeurent dans tous les secteurs de la société. Selon les statistiques réalisées sur l’année 2013 par l’INSEE, les cadres hommes gagnent 20 % mieux leur vie que les femmes.

Preuve d’une prise de conscience générale du manque de parité chez les avocats, la commission Direction juridique au féminin du Cercle Montesquieu présentait avec le magazine Décideurs ses chiffres dans le cadre d’une publication de mars 2014 : « le pourcentage moyen d’associées au sein des cent plus importants cabinets d’affaires dans les Décideurs 100 est seulement de 22,48 % en 2012 ». Et d’épingler en « mauvais élèves en France », les cabinets Freshfields Bruckhaus Deringer avec 3,8 % d’associées pour 60 % de collaboratrices ou Darrois Villey Maillot Brochier avec 1 associée sur 20 pour 38,7 % de collaboratrices. Sans oublier de féliciter « les champions de la mixité » incarnés par le cabinet français Flichy Grangé Avocats (12 sur 20), l’Anglais Bird&Bird (14 sur 24), ou l’Américain Proskauer (5 sur 7).

Membre du conseil de l’Ordre et du conseil d’administration de l’association « Femmes et Droit », Valérie Duez-Ruff a créé Moms à la barre en 2010, une association qui propose des « outils et bons plans » pour aider les avocates à « mieux concilier vie privée et vie professionnelle ». Plus de la moitié d’entre elles à Paris estimaient ne pas parvenir à trouver un équilibre entre les deux selon une étude du barreau de 2009. Par ailleurs, 71 % des avocates déclaraient avoir été confrontées à des difficultés lors de leur grossesse, 25 % ne prenaient pas de congé maternité et 7 % étaient licenciées en fin de grossesse. En 2013, l’avocate réalisait une enquête à laquelle 1 000 consœurs répondaient spontanément en deux semaines. Il en ressortait que la maternité survient en majorité dans les dix premières années d’exercice ce qui correspond par ailleurs à la période d’accession au statut d’associé au sein d’un cabinet. Deux réalités qui semblent ne pas coïncider.

Le congé maternité comme point de crispation : deux témoignages anonymes

Appelons-les Juliette et Émilie. Aucune n’a souhaité saisir l’Ordre par peur d’être « blacklistée ». Toutes deux avocates collaboratrices à Paris pendant leur congé maternité, elles ont rencontré des problèmes importants avec leur cabinet durant cette période, ont connu des grossesses compliquées avec accouchements prématurés que cela ait ou non eut un lien avec le cabinet, et leur retour s’est mal passé, au point que toutes les deux ont décidé de démissionner. Dès son entretien d’embauche, Juliette a été questionnée sur son désir d’enfant. « Je me suis engagée à attendre deux ans », explique-t-elle. La collaboratrice est embauchée, la relation se passe « excellemment bien », il est même question d’une prochaine association. « Je travaillais comme une folle, parfois la nuit, souvent le week-end. Je me disais que de cette manière, le jour où j’aurais un bébé, je lèverai un peu le pied même s’il ne s’agissait évidemment pas d’être aux 35 heures ». Puis Juliette tombe enceinte et l’annonce « avant les trois mois » à sa patronne « pour qu’elle se prépare ». Les premiers temps se passent bien même si l’augmentation annoncée n’interviendra finalement pas mais, en attendant son départ, la jeune femme « ne [s]e ménage pas ». Alitée au bout de cinq mois, elle continue à travailler depuis son domicile où on lui apporte ses dossiers, se rend une à deux fois par semaine au cabinet jusqu’à ce que le gynécologue lui annonce un risque d’accouchement immédiat. Elle finit par s’arrêter bien que l’associée continue à la solliciter. « J’ai gardé l’intégralité de mes dossiers jusqu’à quinze jours avant mon accouchement qui est intervenu un mois avant le terme », dit-elle sans vouloir présupposer d’un lien. « Mon retour s’est mal passé. Nous avions toujours prévu qu’à mon retour je ferai des horaires décalés mais elle n’était plus d’accord. Pendant deux ou trois semaines j’ai dû m’organiser pour trouver quelqu’un qui vienne garder ma fille à la dernière minute parce qu’elle venait m’apporter du travail au dernier moment ». « Ça ne se fait pas de partir tôt dans un cabinet d’avocat » lui dit sa patronne. Ses vacances lui sont refusées aux dates prévues, on lui reproche de ne pas assez facturer « alors que j’ai calculé que j’étais tout aussi rentable qu’avant. En somme, il fallait que ce bébé ne vienne pas altérer mon engagement sans limites au cabinet ». Juliette finit par démissionner. « Je suis allée bien au-delà de mes obligations légales mais rien n’était suffisant. Je me suis sentie trahie », dit-elle, pourtant pas dupe. «...

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