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Acquisition du fonds de commerce du franchisé par le concurrent du franchiseur

Le concurrent du franchiseur acquéreur, sans déloyauté, du fonds de commerce du franchisé n’est pas complice de la rupture anticipée du contrat de franchise.

par Anouk Boriesle 2 décembre 2014

L’arrêt de la cour d’appel d’Agen du 11 juin 2014 traduit l’attrait grandissant des principes du droit de la concurrence dans la mise en œuvre, par les juges civils, d’un mécanisme d’essence civiliste, en l’espèce, la tierce complicité dans la violation d’obligations contractuelles. Et les juges du fond, dans le contexte du marché de la grande distribution, d’écarter la responsabilité civile de l’opérateur économique, au nom de la libre concurrence.

C’est une nouvelle fois la société Carrefour Proximité, agissant aux côtés du fournisseur du réseau, qui reproche à une enseigne concurrente d’avoir acheté les fonds de commerce de ses franchisés, se rendant ainsi complice de tierce complicité et d’actes de concurrence déloyale, les franchisés ayant par ailleurs été condamnés, par diverses sentences arbitrales, pour avoir rompu leurs contrats avant terme. Saisi du litige opposant, cette fois, les enseignes concurrentes, le tribunal de commerce d’Auch a débouté les demanderesses, les condamnant, en outre, pour procédure abusive, à hauteur de 75 000 €.

Ainsi la cour d’appel d’Agen était-elle appelée à se prononcer sur l’existence d’actes de concurrence déloyale, consistant à avoir démarché les anciens franchisés (II). Mais c’est en termes de tierce complicité qu’elle choisit de débuter sa motivation, statuant ultra petita et écornant les canons de la responsabilité civile du tiers complice (I).

I. L’exclusion de la tierce complicité

La solution retenue par les juges du fond n’est pas nouvelle et s’inscrit dans un courant récent emmené par la chambre commerciale de la Cour de cassation (A). Elle innove peut-être, en revanche, en proposant un fondement à cette entorse, réaffirmée, au jeu de la tierce complicité (B).

A. Les origines de l’exclusion

La responsabilité contractuelle des franchisés était, en l’espèce, difficilement contestable. En effet, la cession de leurs fonds de commerce à l’enseigne concurrente entraînait nécessairement la résiliation anticipée des contrats de franchise et d’approvisionnement, au mépris de leurs engagements. Les sentences arbitrales ont d’ailleurs été prononcées en ce sens à leur encontre.

Il est alors tentant pour la victime d’invoquer la responsabilité délictuelle de l’acquéreur des fonds, en qualité de complice. Il est, en effet, de jurisprudence constante que, si le tiers ne peut être obligé par le contrat, circonscrit par son effet relatif, celui-ci ne lui en est pas moins opposable, dès lors qu’il en a connaissance, ce qui lui impose de ne pas entraver sa correcte exécution, en participant sciemment à sa violation par l’une des parties (V. Com. 13 mars 1979, Bull. civ. IV, n° 100 ; D. 1980. 1, note Y. Serra ; 26 mars 2002, Bull. civ. IV, n° 60 ; Propr. ind. déc. 2002, n° 95, comm. J. Dragne et J. Schmidt-Szalewski ; 28 janv. 2003, n° 00-10.033, Dalloz jurisprudence ; 2 déc. 2008, n° 07-17.539, Dalloz actualité, 15 déc. 2008, obs. E. Chevrier isset(node/128854) ? node/128854 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>128854). C’est alors sur le terrain de la responsabilité délictuelle que le tiers est condamné à indemniser le préjudice subi par la victime.

Cependant, la Cour de cassation a exclu à plusieurs reprises la tierce complicité, dans l’hypothèse où il s’agissait, pour l’enseigne concurrente, non pas à proprement parler de débaucher le franchisé en lui ouvrant la porte de son réseau mais de se porter acquéreur de son fonds de commerce (V. Com. 15 mai 2007, n° 06-12.871, Bull. civ. IV, n° 129 ; D. 2007. 1498, obs. E. Chevrier ; ibid. 2008. 2193, obs. D. Ferrier ; RTD civ. 2007. 794, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2008. 173, obs. B. Bouloc  ; CCC 2007, comm. 204, note M. Malaurie-Vignal ; 7 juin 2011, n° 10-17.141, Dalloz jurisprudence ; 6 sept. 2011, n° 10-20.776, RTD com. 2011. 723, obs. B. Saintourens ; V., cependant, 2 déc. 2008, n° 07-17.539, D. 2009. 2888, obs. D. Ferrier , condamnant le concurrent, tiers acquéreur du fonds de commerce, au titre de la tierce complicité).

En l’espèce, l’argument n’était pas soulevé par les appelantes et le rappel liminaire par les juges du fond intervient ultra petita. Les conditions de la tierce complicité étaient pourtant indéniablement réunies : le concurrent, rompu au jeu des affaires, savait, ou à tout le moins ne pouvait ignorer, qu’il contribuait à la rupture fautive des contrats de franchise en se portant acquéreur des fonds. En soi, cependant, il n’y a pas complicité fautive aux yeux des juges. La brèche ouverte dans la théorie de la tierce complicité s’en trouve confortée, la cour réservant...

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