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CEDH : entrave à la liberté d’expression d’un conseiller municipal

La CEDH juge contraire à l’article 10 de la Conv. EDH (liberté d’expression), la condamnation pénale d’un conseiller municipal pour diffamation publique envers un maire et son adjointe pour des propos qu’il a tenu lors d’une séance publique du conseil.

par Elisabeth Autierle 14 septembre 2017

Un ressortissant français, maître de conférences en géologie et exerçant la fonction de conseiller municipal a dénoncé, en tant que membre de la Commission des finances et des appels d’offres, des irrégularités entachées à l’exécution et à la passation de marchés publics dont il avait la charge.

En outre, lors d’une séance publique du conseil municipal destinée à conclure l’avenant au marché public en question, il accusa le maire et son adjointe d’escroquerie et demanda leur démission. Ses propos furent rapportés dans un quotidien régional Nice-Matin et une enquête sur le marché public litigieux fut ouverte par le Procureur de la République.

Alors que l’élu renouvela ses accusations par le biais de tracts, il fut condamné par le tribunal correctionnel de Grasse pour des faits de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public au motif que la réalité des faits dénoncés n’avait pas été établie. Tandis que la cour d’appel confirma le jugement, la Cour de cassation déclara le pourvoi formé par l’élu non-admis.

De ce fait, il saisit la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme estimant que sa condamnation pénale pour diffamation entraîne une violation à son droit à la liberté d’expression.

Au cours de son arrêt rendu le 7 septembre 2017, la Cour  revient sur les dispositions pertinentes en matière de diffamation (CEDH 23 avr. 2015, n° 29369/10, Morice c/ France, D. 2015. 974 ; ibid. 2016. 225, obs. J.-F. Renucci ; AJ pénal 2015. 428, obs. C. Porteron ; Constitutions 2016. 312, chron. D. de Bellescize ; RSC 2015. 740, obs. D. Roets ) et juge que la condamnation pénale pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. De ce fait, elle examine les critères énumérés à l’article 10, § 2, de la Convention, à savoir, si l’ingérence était « prévue par la loi », la poursuite des « buts légitimes » et la « nécessité dans une société démocratique ».

Elle relève en l’espèce, que la condamnation a été prononcée en application des articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse satisfaisant aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité requises par l’article 10, § 2, de la Convention (CEDH 11 avr. 2006, n° 71343/01, Brasiler c/ France, § 28) et ajoute qu’il n’est pas douteux que la condamnation en question poursuivait un but légitime caractérisé par la protection de la réputation d’autrui.

Néanmoins, la Cour souligne que « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts » (§ 41). Elle considère, de plus, qu’une enquête ayant été ouverte par le Procureur de la république, les informations transmises sur les faits que dénonçait l’élu étaient suffisamment précis et « si les propos ont été tenus sur le ton de l’invective, ils étaient fondés sur une base factuelle suffisante » (§ 49).

Enfin et revenant sur la nature de la sanction infligée afin d’évaluer la proportionnalité de l’ingérence, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle conformément à sa jurisprudence, qu’elle a d’ores et déjà incité les autorités internes à faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale (CEDH, Morice, préc.) estimant que « le prononcé même d’une condamnation pénale est l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression » (§ 50).

En l’espèce, le juste équilibre entre la nécessité de protéger le droit de la liberté d’expression de l’élu et les droits et la réputation du maire et de son adjointe n’ayant pas été ménagé aux yeux de la Cour, il y a violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.