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Tribunal correctionnel : l’avocat avait promis un passeport pour 15 000 €

Le ministère public a requis hier une peine de quatre mois de prison, assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve de trois mois à l’encontre d’un avocat qui comparaissait pour escroquerie par abus de qualité vraie devant le tribunal correctionnel de Nanterre.

par Marine Babonneaule 24 octobre 2014

C’est un monsieur d’un certain âge, aux cheveux blancs opalins et au ventre replet. Il marche difficilement et se sert d’une belle canne à poignée en argent ciselé. L’homme a été avocat, dans les Yvelines, dans les Hauts-de-Seine et puis à Paris. Ce fils de résistant « célèbre », à la retraite depuis peu, est « un spécialiste en droit fiscal et en droit international ». Et il comparaissait hier, devant la 14e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Nanterre, pour escroquerie par abus de qualité vraie.

En 2006, la jeune Sophie fait ses études à Paris. Elle est algérienne. Son père, qui habite en Angleterre, aimerait connaître les démarches pour « recouvrer » sa nationalité française. L’étudiante, en MBA de Finances dans une école de commerce parisienne, rencontre alors, dans une bibliothèque universitaire, une femme qui a décidé de reprendre ses études. Elles font plus ample connaissance et Sophie lui parle de son père. Ni une, ni deux, l’étudiante est mise en contact avec Me Kaplan qui pourra certainement lui donner un coup de main. Ce qui n’est pas le cas. En revanche, il lui propose autre chose. « Vous, vous pouvez obtenir la nationalité française dans le délai d’un mois car j’ai des relations privilégiées avec le Préfet, en contrepartie de 15 000 € », lui dit-il. Sophie accepte, bien naïvement et verse un premier acompte de 7 500 €. Le passeport ne viendra jamais. Plus étonnant, encore, elle verse la somme restante malgré les promesses non tenues. En 2009, la jeune femme porte plainte auprès du procureur et dépose, un an plus tard, une plainte avec constitution de partie civile.

C’est que Me Kaplan est surtout un sacré baratineur. Pas le meilleur, cela dit. Il nie presque tout depuis sa garde à vue, avec des versions toujours divergentes. « Mlle Sophie m’a demandé mon aide. Vous comprenez, je suis président d’une association d’anciens résistants et dans ce cadre, je rendais des services. Pour la démarche en question, je lui ai dit que j’allais l’aider à remplir les formulaires. Et puis, j’ai fini par lui demander 1 000 €, compte tenu du travail que ça m’avait demandé (…) Il y a d’abord eu un refus. Car mademoiselle ne suivait pas les cours, ils s’en sont aperçus. Et si elle avait obtenu son diplôme, ça se saurait (…) Elle ne disait pas la vérité ». Voilà Me Kaplan qui se perd dans des explications que personne ne comprend et qui exaspèrent la présidente du tribunal. Finalement, oui, il l’a aidée alors que ça n’était pas « son domaine », elle a « tellement insisté ». Mais il fait appel à un intermédiaire, un Fabrice Peragozzi – dont personne au cours de l’enquête n’a trouvé traces – qui se chargera du passeport et qui sera payé directement par Sophie. Donc, non, il n’a jamais encaissé le moindre sou – sauf les 1 000 € qu’il a finalement rendu sous la menace d’un ami de Sophie. Évidemment, les relevés bancaires disent le contraire. Et puis, à partir de 2007, Me Kaplan a des ennuis financiers qui se termineront par la liquidation judiciaire de son cabinet, l’obligeant à aller vivre chez sa mère qui s’occupe aussi de ses comptes professionnels. Si l’on était mal intentionné, cette histoire de passeport tomberait presque bien pour les finances de Me Kaplan.

La jeune fille finit tout de même par se douter de quelque chose. Jusqu’ici, elle faisait confiance parce qu’il était avocat. « J’étais dans son cabinet, il passait des coups de fil ». Elle enregistre alors leurs conversations téléphoniques. Hier, le tribunal en a fait lecture. « Bonjour, vous m’avez appelé, j’étais au tribunal de grande instance. C’est parce qu’en fait, c’est le service de la préfecture qui a l’autre document ». Quelques jours plus tard. « Oui, euh, c’est mon collègue, je n’arrive pas à le joindre, il doit me faire un compte rendu ». Troisième coup de fil, l’imagination bat son plein. « Je suis maintenant en contact direct avec le ministre de l’intérieur, mais là, il est en vacances. Dès qu’il me contacte, je vous le dis ». Finalement, c’est la faute de la préfecture qui « fait des passeports spéciaux, ils sont très en retard » mais Sophie ne doit pas s’inquiéter car elle « va tout recevoir rapidement ». Le voyage à l’étranger, maintenant. « Je ne suis pas en France, j’ai pas de nouvelles ». Les appels devenant insistant, Me Kaplan lâche, contraint : « Ils ne comprennent pas ce qui s’est passé, ils s’engagent à rembourser (…) Mais ils n’ont pas l’argent tout de suite ».

Emmanuel Mercinier, avocat de Sophie depuis six ans, en a ras la casquette. Tout cela « est insupportable » et « indécent ». « Pourquoi mentirait-elle ? L’analyse des comptes de votre mère montre qu’il y a eu un versement de 12 000 € et qu’il n’y a rien eu avant ou après ! Il y a les témoins, il y a les enregistrements, éloquents et accablants, il y a ce Fabrice Peragozzi dont vous ne parlez que tardivement… Tout cela est pathétique. En 12 ans de barre, c’est une première, je produis un relevé de diligences». L’avocat demande 5 000 € HT à ce titre, des dommages et intérêts incluant les 14 000 € de dettes plus les intérêts avec obligation d’indemniser. « Il y a suffisamment d’éléments à charge pour entrer en voie de condamnation. Les déclarations de la victime, précises, cohérentes et concordantes. Il y a les enregistrements, éloquents et accablants (…). Les témoignages (…). Et les contradictions de Me Kaplan, il est dans le déni, il en vient à inventer un intermédiaire (…) et ses explications ne tiennent pas la route ». Les propos du procureur Sébastien Bigot de la Touanne enfoncent le clou. Il continue. « Vous êtes un avocat qui a une certaine renommée mais la justice doit passer. (…) Dans cette affaire, les faits portent atteinte à une femme mais aussi à l’honneur d’une profession ». Quatre mois de prison avec un sursis avec mise à l’épreuve de trois mois, indemnisation de la victime et interdiction d’exercice sont requis. L’ancien bâtonnier de Nanterre, Alain Nicolas, n’a pas grand-chose à dire pour son client. « Il est parfois difficile de défendre son client quand celui-ci est victime de sa gentillesse, de sa générosité », ose le conseil qui tente même d’échafauder la théorie selon laquelle la jeune Sophie aurait inventé cette histoire de passeport pour faire passer des dépenses d’étudiante. Et puis, il ne faut pas lui en vouloir à Me Kaplan, il a des problèmes de santé, « alors il a des oublis ». Il faut le relaxer. Délibéré le 27 novembre à 9 heures.