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Le droit en débats

L’avocat des époux Villemin s’insurge contre le livre du juge Lambert

Par Thierry Moser le 01 Octobre 2014

Jean-Michel Lambert, ancien juge d’instruction, vient de publier un livre intitulé « De combien d’injustices suis-je coupable » ?

Le juge évoque d’une façon très discutable son action dans le cadre du dossier Villemin. Il affirme que Bernard Laroche, inculpé (terminologie de l’époque) et incarcéré par lui en novembre 1984, était en définitive innocent, ce qui pourrait amener le lecteur par ricochet à se convaincre de l’implication criminelle de Christine Villemin, la mère de Grégory, la mère elle-même inculpée avant de bénéficier finalement d’un éclatant non-lieu en février 1993.

Ce livre me paraît choquant au plan moral et malhonnête au plan intellectuel.

Avant d’expliciter ma pensée, je crois utile, pour la bonne compréhension du lecteur, de résumer rapidement la chronologie de l’exceptionnelle procédure Villemin.

À la suite de l’assassinat de l’enfant Grégory, le 16 octobre 1984, Bernard Laroche, cousin du père de l’enfant, est inculpé et incarcéré par le juge Lambert sur la base de différents éléments parmi lesquels le récit accusateur de Muriel Bolle, belle-sœur de Bernard Laroche.

Trois mois plus tard, l’inculpé qui n’a jamais été interrogé sérieusement par le magistrat, est remis en liberté par celui-ci contre l’avis du procureur de la république d’Épinal.

Le service régional de police judiciaire de Nancy prend la suite de la gendarmerie pour mener les investigations, cette dernière ayant été mise en cause gravement et de façon totalement injustifiée, par les défenseurs de Bernard Laroche.

Fin mars 1985, ce dernier est malheureusement abattu par Jean-Marie Villemin, le père de l’enfant, qui se sent trahi par l’institution judiciaire.

Début juillet 1985, Christine Villemin, mère de Grégory, est inculpée et incarcérée par le juge d’Épinal, avant de bénéficier dix jours plus tard d’une mise en liberté sous contrôle judiciaire suite à une décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nancy.

Elle est renvoyée aux assises par la même juridiction fin décembre 1986 pour l’assassinat de son enfant, mais cette décision est cassée et annulée par la chambre criminelle de la cour de cassation au printemps 1987.

Le dossier est transmis, à la suite de cet arrêt, à la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon, qui constate l’indigence et les irrégularités du dossier constitué à Épinal et ordonne un supplément d’information de grande ampleur.

Le supplément aboutit à l’arrêt essentiel de la chambre d’accusation de la cour de Dijon du 3 février 1993.

Cet arrêt proclame l’innocence indiscutable de la mère de l’enfant et relève en revanche qu’il existe contre Bernard Laroche, le premier inculpé, « des charges très sérieuses » d’avoir enlevé Grégory Villemin.

La cour de Dijon ajoute que Muriel Bolle a assisté à l’enlèvement de Grégory.

Christine Villemin bénéficie d’un non-lieu, non pas pour charges insuffisantes, mais pour absence totale de charges.

Cette nuance n’échappera à personne.

À la fin de l’année 1993, Jean-Marie Villemin, meurtrier de Bernard Laroche, est jugé pendant six semaines par la cour d’Assises de Dijon. Il est condamné à cinq ans de prison dont un an avec sursis, alors que l’avocat général Jacques Kohn, qui soutenait l’accusation, réclamait une peine d’au moins dix ans de prison.

Les parents de Grégory auraient pu se contenter de ce dénouement. Tel n’a pas été le cas dans la mesure où ils ont demandé, et obtenu, la réouverture de l’information à Dijon dans l’espoir de parvenir à la totale manifestation de la vérité, à l’élucidation parfaite, si faire se peut, du crime dont leur petit garçon a été l’innocente victime.

De ce fait, la procédure est toujours en cours à Dijon et pour ce seul motif, le livre du juge Lambert me paraît totalement déplacé. Il traduit un manque total de considération de l’ancien magistrat vis-à-vis de ses collègues dijonnais qui, actuellement, s’emploient avec opiniâtreté à rechercher la vérité.

Pourquoi le livre est-il choquant au plan moral ?

Parce que le juge Lambert se met en scène avec une détestable complaisance oubliant certainement qu’il est l’artisan principal d’un tragique fiasco judiciaire, ce qui résulte à l’évidence des propos sévères tenus lors du procès de Jean-Marie Villemin à Dijon, par l’avocat général Kohn : « Il ne m’est pas possible, ici, de masquer les erreurs commises par le premier magistrat instructeur. Il a accumulé, en quelques jours, et dès le moment de l’autopsie, des erreurs d’ordre technique et d’ordre juridique trop nombreuses pour qu’il me soit possible d’en dresser l’inventaire. Je ne me sens d’ailleurs aucun goût pour ce genre d’exercice et je veux croire que Monsieur Lambert, mémorable funambule de la pensée, malgré ses pertes de mémoire, malgré son indifférence euphorique, a conscience des catastrophes dont il a été indirectement la cause ».

Le haut magistrat de Dijon ajoutait ceci : « … le juge d’Épinal vous a assuré qu’il avait pris toutes les précautions pour garantir la sécurité de Bernard Laroche. Force m’est de constater qu’il n’en a rien été… »

Pourquoi le livre est-il malhonnête au plan intellectuel ?

Parce que Jean-Michel Lambert ne tient aucun compte des multiples investigations fort minutieuses réalisées par les magistrats expérimentés de la cour d’appel de Dijon dans le cadre du supplément d’information, investigations visant à redresser les erreurs et lacunes imputables à l’information menée par lui, monsieur Lambert, à Épinal, investigations ayant abouti à l’arrêt capital de Dijon du 3 février 1993 que je résumais précédemment, un arrêt qui innocente totalement la mère de Grégory et relève par ailleurs « des éléments très troublants » à l’endroit du premier inculpé, Bernard Laroche. Celui-ci n’a malheureusement pu bénéficier, en raison du regrettable coup de folie de Jean-Marie Villemin, d’un procès devant la cour d’assises pour présenter ses moyens de défense.

Pour autant, il est inadmissible pour l’ancien magistrat Jean-Michel Lambert, de faire comme si le supplément d’information n’avait jamais existé et pas davantage l’arrêt éclatant de non-lieu du 3 février 1993 au profit de Christine Villemin.

Il y a là une indiscutable malhonnêteté intellectuelle sans parler du manque de courtoisie et de considération pour le travail remarquable des magistrats dijonnais.