Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Au pays des tutelles

Plus de 70 000 majeurs sont placés chaque année sous tutelle ou curatelle. Cette mise sous protection appartient au juge des tutelles dont le rôle est à la fois essentiel et délicat. Premier volet de notre reportage au sein du tribunal d’instance de Melun.

par Marine Babonneaule 21 octobre 2016

« Je suis le juge ! Je-suis- le-juge ! ». La magistrate s’égosille presque. Mais Yvette1, 92 ans, entend mal et ne comprend pas bien ce que viennent faire deux femmes inconnues dans sa chambre de la résidence Ermitage. « Savez-vous pourquoi je suis venue ? », demande à nouveau Jeanne Daleau, juge des tutelles au tribunal d’instance de Melun, accompagnée de la greffière. « Je ne comprends rien », répète Yvette, assise dans sa chambre du rez-de-chaussée avec vue sur le jardinet de l’établissement. « Je suis là pour mettre en place une éventuelle mesure de tutelle », continue la magistrate. L’ancienne prof de français a la mémoire qui flanche, ses enfants ont demandé de l’aide. Il est vrai que la maison de retraite coûte 3200 € par mois. Sur les murs, des panneaux récapitulent sa carrière, des photos rappellent qu’elle a été une épouse et une mère. On l’aperçoit, jeune, entourée d’enfants. Un texte illustre la photo : « J’ai commencé en 1937 le métier d’institutrice. Je l’ai fini à ma retraite qui était à l’époque à 55 ans ». Lui rappeler sa vie, autant que possible. La magistrate continue et s’approche d’Yvette qui n’entend que d’une oreille.

– Vous savez pourquoi je suis là ? Je suis là pour mettre en place une mesure de tutelle.
– Ah bon ?
– Vos enfants, ils viennent vous voir souvent ?
– Assez souvent.
– Vous souvenez-vous d’avoir vu le docteur ?
– Non, je ne me souviens pas.
– Vous savez ce qu’est une tutelle ?
– Non, répond la vieille dame.

La juge des tutelles explique au mieux.

– Ça pourrait être vos enfants ?
– Faut pas les embêter.
– Que faut-il faire de votre appartement ?
– J’ai besoin de réfléchir.
– Votre fille habite où ?
– À Paris.
– Non, à Cagnes-Sur-Mer. Vous avez des petits-enfants ?
– Non… oui, au moins deux.
– Qui s’occupe de vos papiers ?
– Mon fils… je ne sais pas trop.
– Vous êtes bien ici ?
– Oui, dans l’ensemble.
– Vous savez qui est le président de la République ?
– Non, je ne crois pas.
– Ne vous inquiétez pas, rien ne va changer dans vos habitudes.

Le rendez-vous est terminé. La magistrate remonte dans la voiture du tribunal. Tous les mois, il y a la journée « transport » aux tutelles, en alternance avec les autres magistrats du tribunal d’instance. Le but est d’aller « voir » les personnes pour qui les mesures de protection ont été demandées. Ce jour-là, six déplacements sont programmés. « Si la personne à placer sous tutelle ou curatelle peut être auditionnée, alors on la convoque. Sinon, on se déplace. Le but, c’est d’avoir le plus d’éléments possible avant de se prononcer. La mesure, attentoire à la liberté, est-elle nécessaire ? Qui choisir, la famille ou un professionnel ? Peut-on faire autrement ? », résume Jeanne Daleau.

« On me redescendra après ? »

Les visites ont débuté à 9h30. Direction Vaux-le-Pénil. La greffière conduit pendant que la juge des tutelles relit ses dossiers. Direction une petite enclave cossue. En fond, une gigantesque usine en béton. Le tribunal se déplace pour une dame...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :