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Le droit en débats

Tsunamis à venir sur la lutte contre la fraude fiscale ?

La lutte contre la fraude fiscale, qui coûterait chaque année entre 60 et 80 milliards d’euros au budget de la France, selon le chiffrage du principal syndicat d’agents des finances publiques, repris par le SIRASCO, service d’analyse criminelle de la direction centrale de la police judiciaire, connaît régulièrement des péripéties politico-juridiques.

Par Charles Prats le 26 Mai 2016

La dernière en date fut l’ouverture virtuelle du fameux « verrou de Bercy », ce dispositif spécifiquement français qui interdit au procureur de la République de poursuivre le délit de fraude fiscale s’il n’est pas saisi d’une plainte du ministre du budget, plainte qui n’est recevable que si un organe tiers, la commission des infractions fiscales, donne un avis conforme, commission qui n’est saisie que sur initiative de l’administration fiscale : un verrou fermé à triple tour donc.

Les sénateurs avaient voté une ouverture partielle de ce verrou, autorisant le ministère public à poursuivre librement les fraudes fiscales découvertes de manière incidente dans les procédures pénales ou connexes à d’autres infractions poursuivies.

Le 11 mai 2016, la commission mixte paritaire réunie sur le projet de loi servant de véhicule à cet amendement l’a purement et simplement supprimé, à la satisfaction du gouvernement qui était opposé à cette ouverture, arguant notamment de la nécessaire résolution préalable de la question du non bis in idem en matière de poursuites pénales et administratives concernant la fraude fiscale.

Le souhait du gouvernement va être rapidement satisfait car quatre affaires pendantes vont permettre – on l’espère – de résoudre définitivement quelques questions problématiques concernant l’architecture du dispositif de lutte contre la fraude fiscale.

La fin constitutionnelle du verrou de Bercy ?

En effet, la Cour de cassation vient de renvoyer au Conseil constitutionnel par arrêt du 19 mai 2016 une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2016-555) visant la conformité à la Constitution de l’article L.228 du livre des procédures fiscales qui bloque juridiquement les poursuites pénales pour fraude fiscale en l’absence de plainte du ministre du budget.

La Cour de cassation a considéré comme sérieuse la question de savoir si les dispositions de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales portaient une atteinte injustifiée aux principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire en privant le ministère public de la plénitude de son pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites au bénéfice du ministre chargé du budget.

Tous les acteurs et observateurs de la matière fiscale vont donc évidemment scruter avec impatience la réponse que donnera le Conseil constitutionnel à cette question de principe qui agite le débat public depuis très longtemps et, principalement, depuis trois ans maintenant, avec une fin de non-recevoir opposée en permanence par l’exécutif à l’évolution de ce dispositif vers le droit commun.

L’annulation des amendes fiscales pour détention de comptes bancaires étrangers non déclarés ?

Nous avions déjà expliqué l’année dernière, à l’occasion d’un commentaire de la décision n° 2015-481 QPC du Conseil constitutionnel rendue le 17 septembre 2015 que les Sages étaient en quelque sorte restés au milieu du gué sur la question de la conformité constitutionnelle des sanctions fiscales pour comptes bancaires détenus à l’étranger sans être déclarés au service des impôts.

Il n’était point besoin d’être le nouvel oracle de Delphes pour deviner que cette question allait bientôt revenir sur le devant de la scène juridique.

C’est chose faite puisque le Conseil d’État vient de transmettre par arrêt du 18 mai 2016 cette question prioritaire de constitutionnalité (n° 2016-554) qui soulève le problème de l’égalité devant la loi répressive en ce que l’article 1736 du code général des impôts prévoit une amende proportionnelle égale à 5 % des sommes versées sur le compte alors que l’article L. 152-5 du code monétaire et financier ne prévoit qu’une amende fixe de 750 € pour les mêmes faits.

Ce que nous expliquions dans les colonnes de Dalloz actualité, le 23 septembre 2015, est donc d’une actualité juridique plus que brûlante et cette question de la constitutionnalité de l’article 1736 du code général des impôts au regard du principe d’égalité devant la loi répressive va bientôt trouver sa réponse.

Le principe non bis in idem des poursuites administratives et pénales en matière fiscale va-t-il être affirmé de manière générale et solennelle ?

Le dernier point – et non des moindres – qui sera tranché a une portée encore plus importante, puisqu’il s’agira de répondre peut-être définitivement à la question de savoir si un contribuable peut-être à la fois sanctionné par des pénalités fiscales administratives et une peine pénale pour fraude fiscale.

Là encore, la Cour de cassation vient de transmettre, par un second arrêt du même jour, une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2016-556) qui semble vouloir faire évoluer l’appréciation française du principe non bis in idem tel que fixé par le Conseil constitutionnel, qui vise notamment la règle de l’unicité de l’ordre juridictionnel de compétence.

La Cour de cassation vient en effet de juger que la condition de similitude d’ordre de juridiction « peut susciter des interrogations quant à son applicabilité à la matière fiscale au regard notamment du principe d’égalité devant la justice ».

En clair, et très logiquement, la Cour de cassation soulève la question de savoir s’il est justifié, selon la nature de l’imposition à laquelle une personne poursuivie s’est soustraite, qu’elle bénéficie du principe non bis in idem ou non, selon que le contentieux fiscal d’assiette est légalement porté devant le juge judiciaire ou administratif.

Et la Cour de cassation de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de savoir si les articles 1729 et 1741 du code général des impôts, en ce qu’ils permettent, à l’encontre d’une même personne et en raison des mêmes faits, le cumul des poursuites ou de sanctions pénales et fiscales, portent atteinte aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Cette question du non bis in idem était également au rôle de la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 13 janvier 2016. L’arrêt qui en résultera permettra de fixer la jurisprudence de la CEDH en matière d’application de l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention (décis. nos 24130/11 et 29758/11).

La France excipe de ses réserves émises lors de la signature de ce protocole, sorte de ligne Maginot juridique au regard de la jurisprudence récente de la Cour en matière de validité des réserves identiques qui avaient été formulées par l’Autriche et l’Italie.

Dès lors, si l’arrêt de grande chambre à venir est favorable à l’application du principe non bis in idem en matière de fraude fiscale, comme la CEDH l’avait déjà jugé dans l’affaire Ruotsalainen c. Finlande (CEDH 16 juin 2009, n° 13079/03), il est fort à parier que la question de la dualité des poursuites administratives et pénales pour fraude fiscale en France sera définitivement réglée.

Plus que les réponses aux questions prioritaires de constitutionnalité « Cahuzac » et « Wildenstein », ce sont donc les quatre futures décisions du Conseil constitutionnel et de la CEDH que nous venons d’évoquer qui vont permettre de définir le futur de la lutte contre la fraude fiscale. Rendez-vous cet été !