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Le droit en débats

Sanction fiscale des comptes bancaires étrangers clandestins : le juge constitutionnel au milieu du gué ?

Par Charles Prats le 23 Septembre 2015

Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 18 juin 2015 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 1736 du code général des impôts qui réprime la non-déclaration par les particuliers à l’administration fiscale des comptes bancaires ouverts à l’étranger.

Il s’agit évidemment d’un sujet contentieux brûlant, concernant potentiellement plusieurs milliers de contribuables et qui n’a pas terminé d’alimenter les chroniques judiciaires mais aussi juridiques.

En l’espèce, le deuxième alinéa de l’article 1649 A du code général des impôts impose aux personnes physiques, associations et sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger.

Aux termes du paragraphe IV de l’article 1736 du même code, « les infractions aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1649 A […] sont passibles d’une amende de 1 500 € par compte ou avance non déclaré. Toutefois, pour l’infraction aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1649 A, ce montant est porté à 10 000 € par compte non déclaré lorsque l’obligation déclarative concerne un État ou un territoire qui n’a pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales permettant l’accès aux renseignements bancaires ».

Dans sa décision n° 2015-481 QPC du 17 septembre 2015, le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions contestées.

Le juge constitutionnel s’était déjà prononcé sur la validité de l’article 1736 du code général des impôts mais il était, pour la première fois, saisi de griefs portant sur la violation des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines.

Le Conseil a tout d’abord rappelé à nouveau que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales était un objectif à valeur constitutionnelle.

Jugeant que le législateur avait instauré des sanctions de nature financière, similaire à celle des manquements poursuivis et n’étant pas manifestement disproportionnées par rapport à la gravité des faits réprimés, le Conseil a écarté tout manquement au principe de proportionnalité.

Le Conseil constitutionnel n’était pas saisi des dernières dispositions répressives instaurées par l’article 1736 du code général des impôts, qui prévoient que, si le total des soldes créditeurs du ou des comptes à l’étranger non déclarés est égal ou supérieur à 50 000 € au 31 décembre de l’année au titre de laquelle la déclaration doit être faite, l’amende par compte non déclaré est égale à 5 % du solde créditeur de ce même compte, sans pouvoir être inférieure aux montants précédents (1 500 € ou 10 000 €). Mais, eu égard à l’objectif poursuivi, à la nature financière de cette sanction et au caractère modéré et proportionnel du taux de sanction retenu (5 %), il est peu probable que la solution du juge constitutionnel eût été différente.

Le Conseil constitutionnel a ensuite estimé que la loi a assuré la modulation des peines en prévoyant deux montants forfaitaires distincts, selon que l’État ou le territoire dans lequel le compte est ouvert a ou non conclu une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales permettant l’accès aux renseignements bancaires et que le juge peut décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration en fonction de l’une ou l’autre des amendes prononcées, soit de maintenir l’amende, soit d’en dispenser le contribuable si ce dernier n’a pas manqué à l’obligation de déclaration de l’existence d’un compte bancaire à l’étranger. Le Conseil a donc rejeté le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’individualisation des peines.

Il est pourtant resté en quelque sorte au milieu du gué dans son contrôle de la constitutionnalité des dispositions contestées de l’article 1736 du code général des impôts.

En effet, le juge constitutionnel peut soulever d’office des moyens d’inconstitutionnalité dans le cadre de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité. Et force est de constater qu’il aurait pu, dans le cadre de la décision commentée, soulever d’office le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi répressive.

Il faut en effet rappeler que la non-déclaration de comptes bancaires étrangers est incriminée par deux dispositions différentes concernant exactement les mêmes faits. L’article 1736 du code général des impôts, on l’a vu, sanctionne cette infraction à l’article 1649 A du même code d’une amende de 1 500 € ou 10 000 €, portée à 5 % des sommes en jeu si le montant est supérieur à 50 000 €.

L’article L. 152-5 du code monétaire et financier prévoit, quant à lui, que les infractions aux dispositions de l’article L. 152-2 du même code (« Les personnes physiques, les associations, les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont soumises aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1649 A du code général des impôts ») sont passibles d’une amende de 750 € par compte non déclaré.

Le Conseil constitutionnel, en matière de fraude sociale, a censuré l’existence d’incriminations définies de façon identique par différentes dispositions législatives qui, toutefois, les réprimaient très différemment. Le Conseil a jugé que cette différence de traitement n’était justifiée par aucune différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi et qu’eu égard à sa nature et à son importance, la différence entre les peines encourues méconnaissait le principe d’égalité devant la loi pénale. Les incriminations les plus sévères ont été déclarées contraires à la Constitution (Cons. const., 28 juin 2013, n° 2013-328 QPC, AJDA 2013. 1368 ; D. 2013. 1631 ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; ibid. 2014. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; AJ pénal 2013. 471, obs. P. Belloir ; Dr. soc. 2014. 137, chron. R. Salomon ; RSC 2013. 827, chron. ; ibid. 912, obs. B. de Lamy ).

L’application de la jurisprudence constitutionnelle du 28 juin 2013 aurait donc pu conduire le Conseil à se saisir d’office et à censurer purement et simplement l’article 1736 du code général des impôts en ce qu’il prévoit des sanctions d’une sévérité sans commune mesure avec celles prévues par le code monétaire et financier pour les faits de non-déclaration de comptes bancaires ouverts à l’étranger.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision remarquée sur les sanctions des délits et manquements d’initié, a procédé à la censure de sanctions administratives et pénales de quantum différents concernant les mêmes faits.

L’application des critères retenus par le Conseil dans sa décision sur le cumul des poursuites pour délit d’initié et des poursuites pour manquement d’initié (décis. nos 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, AJDA 2015. 1191, étude P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; D. 2015. 894, et les obs. , note A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; ibid. 874, point de vue O. Décima ; ibid. 1506, obs. C. Mascala ; ibid. 1738, obs. J. Pradel ; Rev. sociétés 2015. 380, note H. Matsopoulou ; RSC 2015. 374, obs. F. Stasiak ; RTD com. 2015. 317, obs. N. Rontchevsky ) au cas des poursuites pour non-déclaration de comptes bancaires à l’étranger est éclairante.

Le Conseil devrait tout d’abord comparer les deux définitions des infractions ce qui, au cas d’espèce, est très simple puisqu’elles sont identiques et que les articles de répression du code monétaire et financier et du code général des impôts renvoient tous les deux expressément au même texte de base établissant l’obligation déclarative, en l’espèce l’article 1649 A du code général des impôts.

Le Conseil devrait ensuite examiner la finalité des deux textes de répression, qui protègent évidemment les mêmes intérêts sociaux et visent le même objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Le juge constitutionnel devrait ensuite mettre en balance les niveaux de répression prévus par les deux textes et ne pourrait que constater le déséquilibre existant entre le texte du code général des impôts qui n’est pas plafonné et qui prévoit un double plancher de 1 500 € ou 10 000 € et le texte du code monétaire et financier qui établit une amende fixe de 750 €, les sanctions étant de nature identique.

Enfin, le Conseil constitutionnel examinerait de quel ordre de juridiction relèvent les deux sanctions. L’amende fiscale prévue à l’article 1736 du code général des impôts est une amende administrative dont le contentieux relève du juge administratif. Il faut donc déterminer la nature de l’amende prévue au code monétaire et financier : la codification du texte fixant le montant de l’amende dans un code différent du code général des impôts retire-t-elle sa nature d’amende administrative fiscale à la sanction établie par l’article L. 152-5 du code monétaire et financier, la transformant en contravention de quatrième classe, ce qui serait étonnant eu égard au caractère de texte législatif de l’article d’incrimination ? Ou bien le fait que le texte combiné de ces articles L. 152-2 et L. 152-5 réprime un manquement à une obligation déclarative fiscale confère-t-il à l’amende fixe prévue le caractère d’amende administrative fiscale – comme celle prévue à l’article 1736 du code général des impôts – dont le contentieux relèverait dès lors du juge administratif ?

C’est l’histoire qui donne la solution. En effet, avant la loi de finances rectificative pour 2008, l’article 1736 du code général des impôts prévoyait que l’amende encourue était de 750 €, comme le texte du code monétaire et financier. Dans le respect de ses principes légistiques habituels, l’administration fiscale faisait voter un « texte miroir » dans « ses » codes (le code général des impôts ou le Livre des procédures fiscales), même quand cela était superfétatoire. L’article L.152-5 du code monétaire et financier était donc le parfait « doublon » de l’article 1736 du code général des impôts, les deux textes instaurant donc la même amende fiscale administrative pour la même violation des dispositions de l’article 1649 A du code général des impôts.

Mais, lorsque ont débuté les grandes affaires de fraude fiscale internationale à la fin de l’année 2008, l’administration fiscale a voulu se doter d’un texte plus répressif sanctionnant les comptes bancaires non déclarés à l’étranger. Le « listing HSBC » était déjà dans ses mains comme le rapport Eckert nous l’a appris et le fisc a fait inscrire dans la loi de finances rectificative l’aggravation de l’amende fiscale encourue… en omettant de faire modifier le texte miroir du code monétaire et financier. Oubli de coordination qui peut aujourd’hui avoir des conséquences contentieuses importantes.

L’amende prévue à l’article L.152-5 du code monétaire et financier a, dès lors, selon nous, la même nature administrative que l’amende de l’article 1736 du code général des impôts. Pour le confirmer, il suffit de constater qu’aucune référence pénale « NATINF » n’existe pour cette infraction et que le texte de l’article L.152-2 du code monétaire et financier renvoie directement à l’article 1649 A du code général des impôts.

Les quatre critères étant réunis, la constitutionnalité des dispositions de l’article 1736 du code général des impôts fait donc débat…

Il est étonnant que les requérants n’aient pas soulevé ce grief de l’égalité devant la loi répressive et que le Conseil constitutionnel n’ait pas examiné d’office ce moyen, ce qui laisse le juriste dans l’incertitude, d’autant plus que le Conseil a décidé que les dispositions contestées n’étaient contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit et semble avoir fermé la porte à une contestation constitutionnelle de la sanction fiscale de la non-déclaration de comptes bancaires à l’étranger, bien que sa décision ne valide que le texte issu de la loi de finances rectificative pour 2008, laissant la porte ouverte à la contestation des dispositions ultérieurement instaurées, notamment l’amende fiscale proportionnelle de 5 %. Néanmoins, le juge administratif, saisi des contestations des amendes fiscales infligées en application de l’article 1736 du code général des impôts, devra le cas échéant trancher si le moyen de l’existence d’une limitation de la sanction à 750 € du fait des dispositions de l’article L.152-5 du code monétaire et financier est soulevé devant lui.

La morale de cette histoire est qu’il faut toujours faire attention à la coordination en matière de légistique. La suite à la prochaine question prioritaire de constitutionnalité ?…