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Le budget 2017 « insincère » : un faux en écriture publique ?

L’établissement volontairement insincère et erroné du budget pour l’année 2017 caractérise des délits de faux et de faux en écriture publique selon le président (LR) de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur. 

par Laura Sadoun-Jarinle 15 septembre 2017

Le président de la région PACA Renaud Muselier est peut-être en recherche de « médiatisation », c’est ce que dénonce notamment le député de gauche Olivier Dussopt. Sa plainte déposée auprès du procureur de la République, près le tribunal de grande instance de Marseille, à l’accent de l’agitation médiatique, tout comme le serait toute plainte qui s’attaquerait aux conséquences du fonctionnement même du pouvoir politique ou juridictionnelle, telle l’irresponsabilité du président de la République pour les actes accomplis pendant son mandat ou encore l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel.

Que cherche à dénoncer alors Renaud Muselier ? Il considère que les pouvoirs publics compétents à l’époque auraient volontairement établi un budget insincère. Le budget de l’État, dispositif de structuration des finances publique, est voté chaque année par le Parlement dans une loi de finances. En somme, pas vraiment, le Fait du Prince.

Pour autant, Renaud Muselier a étayé sa plainte contre le dernier budget du quinquennat de François Hollande : il porte plainte contre X pour les délits de faux et de faux en écriture publique.

En effet, il considère que les pouvoirs publics compétents à l’époque auraient volontairement établi un budget insincère.

Ainsi, c’est par une lettre du 22 mai 2017, que le Premier Ministre a demandé à la Cour des comptes de procéder à un audit en vue d’évaluer la situation actuelle des comptes publics du pays et de donner les perspectives et les risques pour l’année 2017 mais également 2018 à 2020.

L’audit sur « La situation et les perspectives des finances publiques » a ainsi été remis le 29 juin 2017. Il en ressort que la France serait en décalage par rapport à ses partenaires européens et risquerait de connaître un déficit supérieur à 3 points de PIB (étant ainsi supérieurs aux 2,8 points annoncés par le précédent Gouvernement).

Dès lors, les problèmes isolés par l’audit sont les suivants :

  • la prévision des recettes apparaît surestimée ;
  • les dépenses sont manifestement sous-évaluées : la prévision de l’ensemble des recettes publiques, fiscales et non fiscales, serait ainsi surévaluée de l’ordre de 2 Md€.

Ainsi, au titre des postes de dépenses sous-évalués on trouve des budgets tels que ceux de l’agriculture, alimentation, forêt et aires rurales ; du travail et de l’emploi ; de la défense ou encore de la solidarité, de l’insertion et de l’égalité des chances.

Au total, le risque net de dépassement sur les dépenses de l’État par rapport au Programme de stabilité pourrait être évalué à 5,9 Md€. La Cour des comptes relève que le risque de dérapage du déficit public résulte en 2017 quasi exclusivement d’une sous-estimation des dépenses de l’État.

Des omissions intentionnelles

Selon Renaud Muselier, la Cour des comptes aurait identifié une situation où les pouvoirs publics compétents à l’époque auraient volontairement établi un budget insincère, en omettant d’y inscrire des dépenses qu’ils connaissaient et en y inscrivant des recettes surévaluées ; donnant par là une image d’un pays peu rigoureux, méprisant les engagements budgétaires pris auprès de ses partenaires européens, et accroissant le déficit du pays.

Juridiquement, le principe de sincérité des comptes publics ressort d’une combinaison de textes.

Ainsi, l’article 42-7 de la Constitution associé aux articles 14 et 15 de la décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973 dite « taxation d’office » dispose que : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».

Le principe de sincérité des comptes publics a, également été prévu par l’article 32 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, en son titre III, Chapitre 1er : Du principe de sincérité : « Les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».

Il est, enfin, posé par l’article 1.4.2. du code de transparence des finances publiques du fond monétaire international, auquel la France a adhéré. Cet article prévoit, en effet : « Il existe une Cour des comptes, indépendante de l’exécutif, qui vérifie les états financiers annuels et rend compte de ses résultats au Parlement et au public sur la question de savoir s’ils présentent une “image fidèle et sincère” de l’état des finances publiques ».

C’est sur le fondement de l’audit de la Cour des comptes, associé aux principes de sincérité, que le président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur porte plainte contre X.

L’établissement volontairement insincère et erroné du budget pour l’année 2017 et du Programme de stabilité remis à la Commission européenne en avril 2017, constituent, selon lui, des faux et particulièrement des faux en écriture publique réprimés par les articles 441-1 et 441-4 du code pénal.

Un grief écarté par le Conseil constitutionnel

Ainsi, l’article 441-1 du code pénal définit le faux comme « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ». Toutefois, l’infraction est plus ou moins grave selon l’auteur de celle-ci. En effet, lorsqu’un faux est commis dans une écriture publique ou authentique et par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission cela constitue deux éléments aggravants. L’inscription de chiffres insincères dans le budget de l’État par une personne publique pourrait-elle être une altération frauduleuse de la vérité, susceptible de donner lieu à condamnation aux titres des articles 441-1 et 441-4 du code pénal ? N’oublions pas que le Conseil constitutionnel a écarté les griefs portant sur la sincérité des prévisions budgétaires pour 2017 (Cons. const. 29 déc. 2016, n° 2016-744 DC, AJDA 2017. 9 ; AJCT 2017. 37, Pratique M. Houser : « si plusieurs dispositions de la loi de finances ont pour effet d’augmenter les recettes de 2017 en avançant d’une année certaines rentrées fiscales […], ces différents éléments ressortaient bien des documents budgétaires soumis aux assemblées. Par ailleurs, ils avaient fait l’objet de commentaires du Haut conseil des finances publiques et avaient donné lieu à de larges débats au Parlement. Ce faisant, ils n’étaient pas de nature à rendre insincère la présentation des ressources et des charges de l’État pour 2017, au sens de l’article 32 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ».