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Loi pour le plein emploi et réforme du RSA : le triomphe patient du workfare

La triple crise de l’État-providence en termes de financement, d’efficacité et de légitimité, déjà mise en évidence par les travaux de Pierre Rosanvallon au début des années 1980, est aujourd’hui source de velléités réformatrices divergentes. Au risque de la simplification, deux lignes de force s’affrontent quant aux évolutions du modèle d’assistance sociale.

La première ligne de force prône une consolidation de la citoyenneté sociale. De ce point de vue, l’individu est réputé titulaire d’un droit véritable à l’assistance, celui-ci ayant pour corollaire l’existence d’une dette sociale de la puissance publique à son égard. Partant de ce postulat, le constat d’un taux de pauvreté structurellement élevé et corrélé, paradoxalement, à un phénomène de non-recours à l’aide social massif implique une réforme du système en direction de l’extension et de l’effectivité des droits du citoyen. À des degrés divers, les propositions relatives à la création d’un « RSA jeunes » ou d’un « revenu de base » – parfois qualifié de « revenu universel » – se situent dans cette perspective.

À cette heure, nonobstant l’existence d’initiatives en ce sens émanant de diverses collectivités territoriales ou de parlementaires, ces propositions n’ont cependant pas trouvé de concrétisation législative. Au contraire, il y a quelques mois de cela, un recours gracieux formé par le préfet de Haute-Garonne a conduit au retrait de la délibération du conseil départemental instaurant, à titre expérimental, un « revenu de base jeunes » au motif, au demeurant contestable, que la compétence du département en matière de solidarité et d’action sociale se trouverait circonscrite à l’instauration « d’aides dédiées à un public spécifique » (extrait du courrier adressé par le préfet de Haute-Garonne au président du conseil départemental publié par l’AFP) et donc définies en fonction des ressources des bénéficiaires. 

La seconde famille de propositions s’appuie, quant à elle, sur une dialectique des droits et devoirs. Partant du principe qu’un État social dit passif est susceptible d’encourager les logiques d’assistanat sans favoriser un retour vers l’emploi des bénéficiaires, ces mesures entendent reposer sur un principe de responsabilisation des allocataires sociaux. En ce sens, elles supposent le conditionnement des aides sociales à l’existence de contreparties. Cette seconde ligne de force s’inscrit donc pleinement dans le cadre des politiques dites d’activation des prestations sociales et de la philosophie du workfare (contraction de work [travailler] et de welfare, l’État-providence, dont elle entend se distinguer). Autrement dit, la perception d’aides de la collectivité ne saurait résulter uniquement de la qualité de citoyen mais également de l’attitude du bénéficiaire à qui il revient de démontrer qu’il s’engage pleinement dans une dynamique de réinsertion par, et vers, le travail.

C’est cette seconde approche qui a, sans conteste, triomphé avec l’adoption du projet de loi pour le plein emploi, le 14 novembre dernier. L’une des mesures phares du texte consiste, en effet, à conditionner le versement du revenu de solidarité active (RSA) à la réalisation par le bénéficiaire d’une activité hebdomadaire d’au moins quinze heures.

L’insertion de ce dispositif n’est en réalité qu’une demi-surprise. À l’occasion de la campagne pour l’élection présidentielle de 2022, Emmanuel Macron, alors en lice pour sa réélection, avait, en effet, plaidé pour « un meilleur équilibre des droits et devoirs » et annoncé son souhait de voir inscrite dans la loi « l’obligation de consacrer quinze à vingt heures par semaine pour une activité permettant d’aller vers l’insertion professionnelle, soit de formation en insertion soit d’emploi » (conférence de presse du 17 mars). Curieusement, la mesure ne figurait cependant pas au sein du projet initial déposé par le gouvernement et c’est à la faveur d’un amendement porté par la droite sénatoriale qu’elle fut intégrée au texte puis validée dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire.

Aussi, si le vote du 14 novembre dernier marque bien la consécration d’une conception des politiques sociales résolument ancrée dans la philosophie du workfare, il s’agit, dans les faits, de la concrétisation d’un triomphe qui s’est patiemment construit au fil des années.

La lente infusion des logiques de workfare au sein des politiques d’aide sociale

Alors que l’absence de contrepartie demandée au bénéficiaire constituait...

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