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Sort des contrats de travail en cas de transfert d’activité à une personne publique gérant un service public administratif : précisions sur l’article L. 1224-3 du code du travail

À la suite du transfert d’une entité économique employant des salariés de droit privé, à une personne publique dans le cadre d’un service public administratif, les contrats de travail subsistent entre le personnel et le nouvel employeur qui est tenu dès la reprise de l’activité de continuer à rémunérer les salariés transférés jusqu’à ce que ceux-ci acceptent le contrat de droit public qui leur sera proposé, ou jusqu’à leur licenciement, s’ils le refusent ou s’il n’est pas possible pour la personne publique, au regard des dispositions législatives ou réglementaires dont relève son personnel, de maintenir le contrat de travail de droit privé en cours ou d’offrir à l’intéressé un emploi reprenant les conditions de ce contrat.

par Sonia Norval-Grivet, Magistratele 12 mars 2024

Les hypothèses de transfert d’activité du secteur privé vers le secteur public sont nombreuses : il en va ainsi, par exemple, de la reprise « en régie », par une collectivité publique, d’activités telles que la restauration scolaire, l’accueil périscolaire ou la gestion d’une crèche, précédemment confiées à une association ou à une société.

Dans un tel cas, la question du sort des salariés jusqu’alors employés par l’entreprise privée et de leur transfert auprès de la personne publique a évolué, sous l’influence des exigences communautaires.

Jusqu’à l’impulsion donnée par la Cour de Luxembourg, les particularismes du droit public ont longtemps fait obstacle à l’extension, en cette hypothèse, du principe du maintien obligatoire du contrat de travail avec le nouvel employeur, qui vise à prémunir les salariés des aléas de la vie économique de leur employeur et leur éviter de perdre leur emploi en cas de cession d’activité.

Estimant qu’un tel transfert faisait perdre son identité à l’entité employeur et ne pouvait donc relever du dispositif protecteur de maintien des contrats de travail prévu par l’article L. 1224-1 du code du travail, les juges nationaux refusaient en effet d’appliquer ces dispositions, jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne juge, par un arrêt du 26 septembre 2000 (CJCE 26 sept. 2000, aff. C-175/99, Mayer D. 2000. 260 ; Dr. soc. 2003. 859, chron. S. Van Raepenbusch ; RDSS 2001. 120, obs. E. Alfandari ), que le « seul fait que le cessionnaire de l’activité est un organisme de droit public » ne permettait pas d’exclure ce mécanisme, incitant la Cour de cassation (Soc. 25 juin 2002, nos 01-43.477 s. P, RJS 10/2002 n° 1078), le Tribunal des conflits (T. confl. 19 janv. 2004, Commune de Saint-Chamond, n° 3393, Mme Devun c/ Commune de Saint-Chamond, Lebon ; AJDA 2004. 432 , chron. F. Donnat et D. Casas ; D. 2004. 397, et les obs. ; AJFP 2004. 118 , obs. P. Journé ; Dr. soc. 2004. 433, obs. A. Mazeaud ; RTD eur. 2005. 839, chron. D. Ritleng ; RJS 4/2004 n° 506) puis le Conseil d’État (CE 22 oct. 2004, Lamblin, n° 245154, Lamblin, Lebon ; AJDA 2004. 2153 , chron. C. Landais et F. Lenica ; ibid. 2241, édito. M.-C. Montecler ; D. 2004. 3036, et les obs. ; AJFP 2005. 20, et les obs. ; Dr. soc. 2005. 37, concl. E. Glaser ; RFDA 2005. 187, concl. E. Glaser ; ibid. 1205, étude G. Clamour ; RTD com. 2005. 269, obs. G. Orsoni ; RTD eur. 2005. 839, chron. D. Ritleng ; RJS 1/2005 n° 12, chron. C. Landais et F. Lénica) à en tirer des conséquences de principe, dans l’attente d’une intervention législative.

Le législateur est intervenu pour consacrer, par la loi du 26 juillet 2005, la règle désormais inscrite à l’article L. 1224-3 du code du travail, selon laquelle il appartient à la personne publique cessionnaire qui gère un service public administratif (SPA) de proposer un contrat de travail de droit public aux salariés jusqu’alors affectés à l’activité transférée. Le dispositif laissait toutefois persister des incertitudes, auxquelles remédie l’arrêt rendu par la chambre sociale le 6 mars 2024.

Le mécanisme original de l’article L. 1224-3 du code du travail

Obligation de la personne publique de proposer un contrat de droit public

L’article L. 1224-3, complété à deux reprises en 2009 (Loi n° 2009-972 du 3 août 2009) puis en 2016 (Loi n° 2016-483 du 20 avr. 2016, art. 40-IV), prévoit que « lorsque l’activité d’une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d’un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires », le contrat proposé devant en principe reprendre les « clauses substantielles » du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération.

En prévoyant l’obligation de la personne publique de proposer un seul contrat de droit public, la loi a ainsi mis fin à la position transitoire adoptée par le Conseil d’État en 2004 (à la suite des exigences posées par la CJUE), qui considérait que la personne publique avait la possibilité soit de maintenir le contrat de droit privé des intéressés, soit de leur proposer un contrat de droit public et qui se heurtait notamment au principe selon lequel les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un SPA sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi (T. confl. 25 mars 1996, Berkani, n° 03000, Berkani, Lebon ; AJDA 1996. 399 ; ibid. 355, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; D. 1996. 598 , note Y. Saint-Jours ; AJFP 1996. 4 ; ibid. 5, note P. Boutelet ; Dr. soc. 1996. 735, obs. X. Prétot ; RFDA 1996. 819, concl. P. Martin ).

Précisions jurisprudentielles

La jurisprudence, judiciaire mais également administrative, a eu l’occasion d’adapter et préciser le mécanisme de la poursuite de la relation de travail sous la forme d’un contrat de droit public, en conciliant au mieux les règles du droit du travail, du droit public, et les exigences européennes.

À cet égard, il est à noter que demeure en la matière le partage de compétences juridictionnelles, non remis en cause par la loi, tel que consacré en 2004 par...

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