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Suicide au cours d’une garde à vue : pas de faute lourde imputable à l’État

Le suicide d’une personne placée en garde à vue donne lieu à une appréciation par les juges de l’existence d’une faute lourde imputable à l’État et du respect du droit à la vie. Pour cela, ils doivent tenir compte notamment de l’état de fragilité de la personne, des mesures de précaution adoptées par les services de police, du mode opératoire utilisé et du laps de temps au cours duquel le geste fatal se produit.

L’équilibre entre la surveillance par les forces de l’ordre ou l’administration pénitentiaire afin d’éviter les tentatives d’évasion ou de suicide et le respect d’un certain nombre de droits et libertés fondamentales des personnes placées en garde à vue ou en détention n’est pas toujours aisé à trouver. Le 21 septembre 2021, Madame Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a rendu publiques les recommandations relatives aux conditions matérielles de garde à vue dans les services de police qu’elle préconisait et que l’arrêt du 18 janvier 2023 rendu par la première chambre civile invite à consulter.

En l’espèce, un homme placé en garde à vue dans les locaux d’un commissariat s’est suicidé par pendaison, dans la cellule qu’il occupait, à l’aide d’une bande de tissu découpée d’un matelas et nouée par l’intermédiaire de deux trous creusés dans l’un des murs.

Ses ayants droit ont assigné l’État en la personne de l’Agent judiciaire de l’État en réparation des préjudices subis sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

La cour d’appel de Lyon a retenu qu’aucune faute lourde n’était caractérisée et imputable à l’État. Précisément, celle-ci a estimé que les précautions prises par les policiers à l’origine de la garde à vue avaient été suffisantes notamment le retrait du cordon du survêtement de la victime et le visionnage régulier des images de la vidéosurveillance de la cellule. En outre, elle a considéré que la victime ne présentait pas de fragilité particulière et que le mode opératoire pour mettre fin à ses jours était difficilement prévisible, en plus de s’être déroulé dans un court laps de temps.

Les ayants droits du défunt ont formé un pourvoi en cassation reprochant à la cour d’appel d’avoir violé l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire et l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH).

Selon le pourvoi, le seul fait de placer un individu en garde à vue dans une cellule dont l’état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue constitue une faute lourde. S’ajoute à cela la défaillance d’un système de vidéo-surveillance qui transmet une image floue de l’intérieur de la cellule.

Le pourvoi reproche également à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, comme il lui était demandé, si la présence d’angles morts n’empêchait pas toute surveillance effective du gardé à vue et si le fait, pour le chef de poste de l’après-midi, d’avoir insisté auprès de l’adjoint de sécurité sur une vigilance accrue concernant le défunt en raison de l’incident du matin relatif au cordon de son survêtement, ne révélait pas la particulière vulnérabilité de ce dernier.

La cour d’appel aurait par ailleurs méconnu l’article 2 de la Conv. EDH en écartant l’existence d’une faute lourde alors que même s’il n’est pas établi que les forces de l’ordre avaient ou auraient dû avoir connaissance du risque réel et immédiat que le défunt, considéré en situation de vulnérabilité, mette fin à ses jours, celles-ci n’ont pas pris les mesures préventives nécessaires pour l’éviter et le prévenir.

La première chambre civile était donc invitée à s’interroger sur l’existence d’une faute lourde imputable à l’État dans le cadre de sa mission de service public de la justice et sur le respect du droit à la vie garanti par l’article 2 de la Conv. EDH.

Elle a rejeté le pourvoi considérant que la responsabilité de l’état ne pouvait pas être engagée à défaut de faute lourde caractérisée et que le respect au droit à la vie n’avait pas été méconnu.

La responsabilité de l’État pour service de la justice défectueux

La responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service de la justice est prévue par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire qui dispose que « l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

Depuis l’arrêt de l’Assemblée plénière du 23 février 2001, la faute lourde répond à une définition objective. Il s’agit de « toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi » (Cass., ass. plén., 23 févr. 2001, n° 99-16.165 P, AJDA 2001. 788 , note S. Petit ; D. 2001. 1752, et les obs. , note C. Debbasch ).

Pour engager la responsabilité de l’État, il revient donc à la victime ou à ses héritiers de démontrer l’existence d’une faute qualifiée.

Le contrôle opéré par la Cour de cassation sur la motivation des juges du fond en...

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