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Avocat écouté, avocat filé : la chambre de l’instruction prononce l’annulation des pièces du dossier

L’avocat qui avait retrouvé, dans un dossier concernant l’un de ses clients, une trentaine de photos de lui et plusieurs retranscriptions de conversations téléphoniques, a obtenu l’annulation de ces pièces.

par Marine Babonneaule 16 octobre 2015

Me Stéphane Sebag est satisfait : la chambre de l’instruction a annulé, le 13 octobre, tous les procès-verbaux le concernant. Et ce n’était pas rien. L’avocat parisien découvre au printemps 2015 dans un dossier de stups concernant l’un de ses clients pas moins de trente photos de lui et au moins trois conversations téléphoniques retranscrites (V. Dalloz actualité, 25 sept. 2015, obs. M. Babonneau isset(node/174652) ? node/174652 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>174652). C’est la stupeur. Les clichés ont notamment été pris à la sortie de la gare de Châteauroux alors qu’il allait assister l’un de ses clients. Il est filé jusqu’au tribunal. « 14h02.26. Un individu (âge indéterminé : 30 à 50 ans) corpulence moyenne, portant un manteau marron et un sac de voyage sort du hall de la gare en compagnie d’autre voyageurs suite à l’arrivée du train. L’individu se positionne sur le parking et scrute les alentours semblant attendre la venue d’un véhicule devant le récupérer ». À cela s’ajoutent des conversations téléphoniques dont la retranscription montre clairement que la police l’a parfaitement identifié comme un avocat parlant à son client : la conversation, précisait l’enquête, « portait sur la défense et sur les montants des honoraires ». Mieux, « Maître Stéphane Sebag indiquait à son client qu’il arriverait vers 14 heures à la gare de Châteauroux ». Stéphane Sebag n’obtient aucune explication de la juge d’instruction qui a ordonné les mesures. À peine lui souffle-t-elle qu’il est l’avocat de deux dealers qui ont l’air proches… « Quel intérêt de mettre toutes ces photos dans le dossier ? Est-ce qu’ils considèrent qu’il n’y a pas de différence entre l’avocat et son client, entre l’avocat et un délinquant ? », avait demandé Stéphane Sebag, interrogé en septembre par Dalloz actualité. Le 30 juin 2015, l’avocat dépose une requête en annulation car, selon lui, le secret professionnel a été manifestement violé. Le parquet requiert l’annulation de tous les PV visés. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bourges avait-elle le choix ?

Dans l’arrêt, les juges rappellent qu’« à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat, relevant de l’exercice des droits de la défense ». D’ailleurs, « selon un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 18 janvier 2006, « il résulte des articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, 100-5 du code de procédure pénale et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme que, même si elle est surprise à l’occasion d’une mesure d’instruction régulière, la conversation entre un avocat et son client ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure que s’il apparaît que son contenu est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction. La violation de ce principe doit être relevée, même d’office, par la chambre de l’instruction, statuant en application de l’article 206 du code de procédure pénale ». Or, dans cette affaire, l’un des PV de synthèse indiquait que le suspect « prenait contact avec un inconnu. De toute évidence, il s’agissait d’un avocat et la conversation portait à mots couverts, sur l’assistance de X lors de son déferrement et sur le tarif de la prestation ». Un autre PV d’écoutes identifie « l’avocat Stéphane Sebag qui est venu assister X lors de sa présentation devant le juge d’instruction ». D’autres PV suivent, aussi éloquents. Celui qui était désigné d’abord comme « X » puis comme « Sebag » est bien, selon la chambre de l’instruction, Me Stéphane Sebag. La cour d’appel estime que « l’étude de ces trois conversations, si elle met en évidence, outre l’utilisation de formules elliptiques par deux personnes qui se tutoient et font preuve d’une particulière familiarité, le fait que Me Stéphane Sebag accepte un rendez-vous à Châteauroux avec Y [autre client de l’avocat, qui a mis en relation X avec le conseil, ndlr] sachant pertinemment qu’une ordonnance de placement sous contrôle judiciaire interdit à son client de fréquenter le département de l’Indre [une bizarrerie dans cet arrêt, l’enquête ayant démontré que l’avocat, justement, refuse tout contact avec son client à Châteauroux, ndlr], ne met pas pour autant en évidence la participation de l’avocat à une infraction ». Les pièces sont annulées.

Quant aux clichés, « la réquisition aux fins de mise sous surveillance du parking de la gare de Châteauroux de l’entrée de celle-ci ainsi que de détecter le nommé X a été manifestement établie sur la base de l’exploitation de la conversation téléphonique », estime la chambre de l’instruction. Bref, « il y a donc lieu de prononcer l’annulation » des pièces relatives à l’exploitation vidéo, du PV de réquisition, des clichés photographiques « issus de l’exploitation des enregistrements des caméras de vidéo protection », les PV de surveillance dont la source est l’exploitation téléphonique, les PV de synthèse. Nullités en cascade. « L’avocat est devenu un suspect. Si j’en crois l’arrêt de la chambre de l’instruction, je parle de manière elliptique et manière familière. Il y a encore une forme de jugement », conclut Stéphane Sebag.