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Compensation de créances connexes dans les coopératives d’utilisation de matériel agricole : le ver est-il dans le fruit ?

La contribution au capital social donne le droit d’utiliser un matériel déterminé et la facturation rémunère son temps d’utilisation, de sorte que la dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l’utilisation du matériel sont connexes.

Une agricultrice, adhérente de la coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon, est placée en liquidation judiciaire. La coopérative devait à l’adhérente le remboursement de ses parts sociales, et l’adhérente devait à la coopérative le paiement des prestations réalisées par cette dernière. Par ordonnance du 24 juillet 2020, le juge-commissaire retient que la connexité n’était pas établie entre ces deux créances, et rejette la demande de compensation formée à ce titre.

Dans un arrêt du 16 novembre 2021, la Cour d’appel de Poitiers confirme l’ordonnance du juge-commissaire. Nous reviendrons sur son raisonnement. Devant la Cour de cassation, la coopérative fait valoir que la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 622-7 du code de commerce, faute d’avoir recherché, ainsi qu’elle y était invitée, si la nature des créances réciproques des parties, ayant trait au remboursement de parts sociales afférentes à du matériel agricole et dans la dépendance de la facturation de l’utilisation de ce même matériel, ne révélait pas leur lien de connexité.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel. Elle retient qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que la contribution au capital social donne le droit d’utiliser un matériel déterminé et que la facturation rémunère son temps d’utilisation, de sorte que la dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l’utilisation du matériel sont connexes, la cour d’appel a violé les articles L. 622-7 du code de commerce et L. 521-3 du code rural et de la pêche maritime. Cet arrêt met donc en scène la rencontre improbable entre une coopérative agricole et la connexité des créances, qui révèlera finalement un lien de famille un peu suspect.

La rencontre improbable entre une coopérative agricole et la connexité des créances

La connexité des créances est un débat qui occupe régulièrement les plaideurs. Il faut dire que les textes – du code civil comme du code de commerce – ne définissent pas cette notion (M. Houssin, Une analyse de la compensation de créances en procédure collective, RTD com. 2021. 231 ). On sait simplement que « Le juge ne peut refuser la compensation de dettes connexes au seul motif que l’une des obligations ne serait pas liquide ou exigible », et que, dans ce cas, « la compensation est réputée s’être produite au jour de l’exigibilité de la première d’entre elles » (C. civ., art. 1348-1). En outre, le jugement ouvrant la procédure collective (quelle qu’elle soit) emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, « à l’exception du paiement par compensation de créances connexes » (C. com., art. L. 622-7). Rien de plus… On ne sait même pas vraiment si la compensation est un paiement, un double paiement, ou pas de paiement du tout !

La jurisprudence a naturellement apporté d’utiles précisions. On sait en effet que sont connexes les créances (ou les dettes, suivant le point de vue, sachant que les codes ne s’accordent pas sur la terminologie) qui sont issues d’un même contrat, ou d’un contrat-cadre commun, ou encore celles qui sont liées entre elles et qui constituent « les deux volets d’un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations d’affaires des parties » (Com. 9 mai 1995, n° 93-11.724 P, D. 1996. 322 , note G. Loiseau ; RTD civ. 1996. 163, obs. J. Mestre ; RTD com. 1996. 66, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 342, obs. A. Martin-Serf ). On tente d’expliquer cette dernière formule en affirmant que chaque créance trouve sa cause dans l’autre créance (v. par ex., F. Danos, La connexité en matière de compensation, D. 2015. 1655 ), ce qui ferait de la connexité une notion voisine de l’interdépendance des contrats.

Progressivement, la jurisprudence a exigé que les créances à compenser soient de même nature, qu’elles soient contractuelles ou délictuelles (Com. 18 sept. 2007, n° 06-16.070 P, Dalloz actualité, 5 oct. 2007, obs. A. Lienhard ; D. 2007. 2476 ; RTD civ....

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