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Dispositions pénales de la loi d’adaptation au droit de l’Union européenne : une bombe à retardement ?

Pour mettre en conformité le droit français avec plusieurs instruments européens, la loi du 22 avril 2024 modifie différentes dispositions du code de procédure pénale. Celles relatives à la transmission d’informations entre États membres ou au mandat d’arrêt européen ont été adoptées sans réelles contestations, tandis que celles relatives à la garde à vue ont provoqué de vifs débats. 

Tic-tac… C’est le son des délais qui courent, qu’ils soient de transposition, de mise en conformité ou d’entrée en vigueur. Il y en a beaucoup dans cette loi, adoptée sous la pression européenne. C’est aussi celui du minuteur d’une bombe à retardement. Il n’est pas rare de voir une loi comparée à cet outil de destruction. Tel est le cas lorsque l’on craint, à tort ou à raison, qu’une réforme entraîne des conséquences graves et non anticipées par le législateur. Les dispositions de la loi du 22 avril 2024 qui prévoient que les salariés en arrêt maladie continuent d’acquérir des droits à congés payés ont pu recevoir cette qualification, même si la déflagration avait déjà été amorcée par des arrêts de la chambre sociale (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.638, n° 22-17.340 et n° 22-10.529, Dalloz actualité, 28 sept. 2023, obs. C. Martin ; D. 2023. 1936 , note R. Tinière ; ibid. 2024. 373, chron. S. Ala, M.-P. Lanoue et M.-A. Valéry ; JA 2023, n° 686, p. 11, obs. A. Kras ; ibid. 2024, n° 696, p. 40, étude F. Mananga ; RDT 2023. 639, chron. M. Miné ).

La loi du 22 avril 2024 est une loi fourre-tout, dont la cohérence ne tient qu’à la nécessité de mettre en conformité le droit national avec le droit de l’Union européenne. Elle contient ainsi des dispositions relatives au droit social, au droit des sociétés, au droit de la consommation, au droit bancaire… Si l’on se concentre sur les seules dispositions pénales et que l’on tend l’oreille, on entend toujours cet inquiétant tic-tac. Quelle bombe menace la procédure pénale française ? Si l’on en croit les mots d’un rapporteur devant la commission mixte paritaire, c’est « l’essentiel » qui était en péril, c’est-à-dire, « la capacité, pour nos officiers de police judiciaire et nos magistrats, de continuer à mener sereinement des enquêtes » (Ass. nat., Rapp. n° 2439 et Sénat, Rapp. n° 512, 4 avr. 2024, p. 4). Il convient donc de rechercher quelles sont les dispositions explosives, susceptibles de réduire à néant l’efficacité des investigations, ce qui implique de revenir sur les principaux apports de la loi en matière pénale. Ceux-ci découlent de la nécessaire mise en conformité avec plusieurs instruments européens : la directive du 10 mai 2023 relative à l’échange d’informations entre les services répressifs, le règlement du 4 octobre 2023 relatif aux échanges d’informations numériques dans les affaires de terrorisme, la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et la directive du 22 octobre 2013 relative à la communication avec les tiers et l’assistance par un avocat.

Transposition de la directive du 10 mai 2023 relative à l’échange d’informations entre les services répressifs

La loi française doit régulièrement être modifiée pour tenir compte de l’entrée de vigueur de directives européennes. Bien que ces instruments laissent une marge de manœuvre aux États membres, ils n’en requièrent pas moins l’adoption de normes nécessaires à leur mise en œuvre. Pour cela, il est laissé un laps de temps aux législateurs nationaux. Pour la directive de 10 mai 2023, le terme de la période de transposition est fixé au 12 décembre 2024 (Dir. [UE] n° 2023/977, art. 22). C’est donc avec un peu d’avance que la loi française s’est adaptée à ses exigences, relatives à l’échange d’informations entre les États membres aux fins de la prévention ou de la détection des infractions pénales. En l’espèce, la transposition était facilitée par le fait que la directive succède à une décision-cadre de 2006 (Décision-cadre 2006/960/JAI du Conseil du 18 déc. 2006 relative à la simplification de l’échange d’informations et de renseignements entre les services répressifs des États membres de l’UE) à laquelle s’était déjà conformé le droit français. Par conséquent, le législateur n’a pas œuvré ex nihilo, mais a ajusté les articles 695-9-31 et suivants du code de procédure pénale pour les mettre en conformité à la nouvelle directive.

L’étape la plus évidente a été de remplacer les différentes mentions de la décision-cadre de 2006 par une référence à la directive du 10 mai 2023. Il a ensuite fallu repérer les différents changements opérés par cet instrument. Un nouvel article 695-9-31-1 a été créé dans le code de procédure pénale pour instaurer un point de contact unique, une institution chargée de transmettre les demandes d’information des services français et de recevoir les demandes provenant des points de contact uniques des autres États membres ainsi que des services étrangers spécialement habilités. Le point de contact français aura également pour attribution de désigner les services et unités françaises habilités à transmettre des demandes d’informations aux points de contact étrangers (C. pr. pén., art. 695-9-31-1, al. 2) ou aux services étrangers compétents (C. pr. pén., art. 695-9-33), sans passer par son intermédiaire. L’administration jouant le rôle de point de contact unique en France devra être désignée par arrêté interministériel ; jusqu’à présent, cette fonction était attribuée à la section centrale de coopération opérationnelle de police, qui relève de la direction centrale de la police judiciaire, et au bureau de la communication et des relations extérieures (Arr. du  27 sept. 2012 désignant les points de contact habilités à recevoir les demandes d’informations provenant de services d’enquête des États membres de l’UE).

Les données transmises aux fins de prévention ou de détection des infractions pénales sont sensibles. Il faut donc éviter que trop de personnes y aient accès, ce qui implique parfois de ne pas suivre le circuit normal de transmission d’informations. Ainsi, pour la communication directe de service à service, le principe est d’envoyer une copie de la demande (quand la demande est émise par les services français, C. pr. pén., art. 695-9-33) et une copie des informations transmises (quand la demande est reçue par les services français, C. pr. pén., art. 695-9-37) aux points de...

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