Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Estoppel : absence de contradiction en cas d’allégations contraires

Pour caractériser une violation du principe selon lequel nul ne peut se contredire, le juge du fond ne peut prendre en compte les allégations développées au cours d’une procédure antérieure, dès lors que les parties n’ont pas changé leurs prétentions.

par Mehdi Kebirle 5 juillet 2017

Par cet arrêt du 22 juin 2017, la Cour de cassation fournit une nouvelle illustration des limites qu’elle impose à la règle selon laquelle « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui », plus communément appelée principe d’estoppel. Ce principe, qui existe depuis longtemps en droit anglais ou en droit du commerce international, impose une exigence de cohérence des plaideurs au cours de la discussion judiciaire, laquelle cohérence est souvent associée à l’impératif de loyauté de la conduite des débats. Pour autant, son domaine est des plus restreints. Tout en réaffirmant, à chaque fois que l’occasion lui en est donnée, l’existence même du principe, la Cour de cassation tend le plus souvent à l’exclure en insistant sur sa portée pratique limitée.

C’est précisément ce qu’elle fait dans l’arrêt commenté.

Dans cette affaire, un juge des référés avait été saisi par un musée pour obtenir la désignation d’un expert. Il s’agissait d’examiner une coupe Nautile que les défenderesses souhaitaient présenter à un commissaire priseur dans l’optique de sa vente. Or le musée en revendiquait la propriété, invoquant le fait que cette coupe lui avait été volée dans le passé. Le juge des référés a accédé à cette demande mais une cour d’appel fut saisie d’un recours. Les appelantes sollicitaient leurs mises hors de cause en prétendant qu’elles étaient étrangères aux opérations d’expertise sollicitées par le musée. La cour d’appel a conclu à l’irrecevabilité de cette prétention sur le fondement d’une violation du principe selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ». Selon elle, les appelantes s’étaient contredites au préjudice du musée et avaient violé le principe de loyauté des débats en soutenant devant la cour que le Nautile était la propriété de leur mère alors qu’elles avaient affirmé, en première instance, qu’elles étaient elles-mêmes propriétaires.

La Cour de cassation fut saisie d’un pourvoi au terme duquel elle a censuré la décision au visa du principe selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ». Selon la haute juridiction, les demanderesses n’avaient pas modifié leurs prétentions au cours du débat judiciaire. Il ne pouvait tout simplement pas être tenu compte des allégations antérieures à la procédure de référé pour considérer qu’elles s’étaient contredites au détriment d’autrui. Il n’y avait donc pas, en l’occurrence, de violation du principe d’estoppel.

La solution est laconique mais elle n’en est pas moins riche d’enseignements sur la portée du principe visé par la Cour de cassation. D’une part, la simple référence au principe témoigne de l’existence du principe d’estoppel, ce qui est en soi remarquable. La haute juridiction en a reconnu l’existence par touches successives. Elle a commencé par viser « la règle de l’estoppel » (Civ. 1re, 6 juill. 2005, n° 01-15.912, Bull. civ. I, n° 302 ; D. 2006. 1424 , note E. Agostini ; ibid. 2005. 3050, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 602, note H. Muir Watt ; RTD com. 2006. 309, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2005. 993, note Pinsolle ; JDI 2006. 608, note Béhar-Touchais ; pour une autre application en matière d’arbitrage, v. Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 03-20.802, Bull. civ. I, n° 369 ; D. 2006. 2052, obs. X. Delpech ) puis s’y est référée solennellement, en assemblée plénière (Cass., ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19.841, Dalloz actualité, 5 mars 2009, obs. X. Delpech , note D. Houtcieff ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2010. 459, étude N. Dupont ), en indiquant que la sanction qui y était attachée était purement procédurale : l’irrecevabilité de la prétention qui doit être relevée par une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 122). Mais, comme pour mieux maîtriser ce principe venu d’ailleurs, la haute juridiction a été amenée à en circonscrire les limites pour montrer qu’elle souhaitait en maîtriser les conditions d’application (v. le communiqué de presse de la Cour de cassation...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :