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Chronique d’arbitrage : le juge anglais, juge universel de l’arbitrage ?

Une fois n’est pas coutume, la présente chronique mettra en avant une décision étrangère, avec un arrêt rendu par la Court of Appeal of England and Wales dans une affaire UniCredit Bank c/ RusChemAlliance. Pourquoi un tel intérêt ? En l’espèce, la cour décide d’accorder une anti-suit injunction au soutien d’une clause compromissoire prévoyant un arbitrage avec un siège à Paris. Le droit français de l’arbitrage est-il si fébrile au point que le juge britannique ait besoin de voler à son secours ?

Au-delà de cette intéressante décision, il convient de signaler le revirement de jurisprudence – attendu et espéré – opéré par la Cour de cassation dans l’arrêt Hémisphère (Civ. 1re, 28 févr. 2024, n° 22-16.151, D. 2024. 482 ). Après avoir, dans la même affaire, reconnu la compétence du juge du recours pour statuer sur le retrait litigieux, elle se dédit et revient à une interprétation stricte des textes. On signalera aussi un intéressant arrêt sur le préjudice indemnisable dans le cadre d’une action en responsabilité de l’arbitre (Civ. 1re, 14 févr. 2024, n° 22-22.469) et on fera enfin état des nouveaux développements à propos de l’arbitrage devant la Cour de justice, avec le déroutant arrêt Mytilinaios (CJUE 22 févr. 2024, aff. C-701/21).

L’anti-suit injunction au soutien d’une clause compromissoire avec siège à Paris

L’affaire UniCredit Bank c/ RusChemAlliance est intéressante, tant en ce qu’elle illustre les difficultés à coordonner harmonieusement les différents ordres juridiques qu’en ce qu’elle révèle l’incapacité du juge anglais à comprendre le droit français de l’arbitrage.

Le litige oppose RusChemAlliance (RCA), société russe, à UniCredit, une banque allemande. À l’origine, on trouve un contrat à propos de la construction d’infrastructures gazières, pour un montant qui se chiffre en milliards. L’engagement d’UniCredit est donné en garantie (on demand bonds) de l’exécution par les contractants de RCA de leurs obligations. Une partie du prix de construction a été payée en avance par RCA. Cependant, la guerre en Ukraine a interrompu l’exécution des contrats, notamment en raison des sanctions infligées par l’Union européenne à la Russie. Face à la rupture des contrats, RCA a demandé le remboursement de l’avance, d’une part aux contractants, d’autre part à UniCredit (et à d’autres banques, ce qui a d’ailleurs conduit à d’autres décisions des juges anglais, visées dans l’arrêt). C’est cette demande de mise en œuvre des garanties qui est au cœur du différend.

Chacune des garanties accordées par Unicredit présente deux caractéristiques : d’une part, elle est soumise au droit anglais et, d’autre part, elle prévoit un arbitrage CCI à Paris.

Malgré cette clause compromissoire, RCA saisit les juridictions russes en vue d’obtenir le paiement de la garantie. De son côté, UniCredit saisit les juridictions anglaises afin d’obtenir une injonction contre RCA de ne pas poursuivre la procédure devant les juridictions russes. Évidemment, personne n’a jugé opportun de saisir le tribunal arbitral voire les juridictions françaises.

Dans le cadre de la procédure anglaise, l’anti-suit a d’abord été refusée par une décision rendue par un juge unique le 22 septembre 2023. Elle a néanmoins été accordée en appel, par l’arrêt du 2 février 2024 qui nous intéresse (Court of Appeal of England and Wales, 2 févr. 2024, UniCredit c/ RusChemAlliance, case n° CA-2023-001933). 

La décision est intéressante à plusieurs titres. Elle l’est déjà pour tous ceux qui s’intéressent à la question de la loi applicable à la clause compromissoire. La cour offre une mise en application stimulante de la jurisprudence Enka de la Cour Suprême (UKSC, 9 oct. 2020, Enka Insaat Ve Sanayi AS v. OOO Insurance Company Chubb, [2020] UKSC 38). On sait que, de ce point de vue, les perceptions des juges anglais et français sont irréconciliables. Faut-il pour autant s’en désoler ? À notre estime, les voies empruntées par l’un et l’autre sont compréhensibles. Le juge français privilégie le recours aux règles matérielles depuis l’arrêt Dalico (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer ; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin  ; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard). Le juge anglais quant à lui préfère le recours à la méthode conflictuelle et recherche la volonté des parties. L’une et l’autre ont leurs mérites et leurs limites (sur le sujet, J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, Rev. arb. 2021. 1049). Cette divergence d’appréciation ne soulève pas, en elle-même, de difficulté insurmontable, dès lors qu’elle ne présuppose pas à elle seule une différence de solution. Certes, l’affaire Kout Food a montré que les solutions peuvent être divergentes (UKSC, 27 oct. 2021, Kabab-Ji SAL v. Kout Food Group, [2021] UKSC 48 ; comp., Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 20-20.260, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 157 , note D. Mainguy ; ibid. 2022. 2330, obs. T. Clay ; ibid. 2023. 1812, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel ; Gaz. Pal. 2022, n° 36, p. 5, obs. L. Larribère ; ibid., n° 36, p. 22, obs. J. Clavel-Thoraval ; Rev. arb. 2022. 1367, note F.-X. Train ; Procédures 2022. Comm. 277, obs. L. Weiller ; JCP 2023. 221, obs. C. Seraglini ; ibid. Doctr. 143, obs. C. Nourissat). Ceci étant, il est indifférent aux yeux du juge français que les arbitres aient appliqué des règles différentes à la résolution de la question de la compétence. Pour cette raison, il est tout aussi indifférent qu’un juge étranger – plus encore s’il n’est pas le juge du siège – retienne une autre conception. Dans tous les cas, rien n’interdit que la solution relative à la compétence soit identique, nonobstant le droit appliqué.

Suivant sa propre logique, la juridiction londonienne retient que la loi applicable à la clause compromissoire figurant dans les garanties est le droit anglais. Il ne nous appartient pas d’apprécier son analyse sur ce point. En revanche, il est savoureux de voir le juge anglais donner son interprétation du droit français. Celui-ci retient que « Thus the principle of French law is not that a choice of Paris as the seat of arbitration means ipso facto that French law is to govern the arbitration agreement, but that the law governing the arbitration agreement depends on the parties’ common intention ». Il ajoute immédiatement : « It contains only a provision that the law governing an arbitration agreement is to be determined in accordance with the parties’ common intention, but that, ultimately, is no different from the principle which applies in English law ».

Au mieux, on fronce les sourcils, au pire, on hurle face à ce contresens de la jurisprudence française. La volonté des parties est au cœur du raisonnement français en matière de compétence. Néanmoins, elle ne l’est pas pour identifier la loi applicable à la clause, mais pour caractériser l’accord sur le recours à l’arbitrage. La règle sur laquelle se fonde cette recherche de la volonté des parties dans l’acceptation de la clause est une règle matérielle qui n’est jamais rien d’autre qu’une règle française. D’ailleurs, le juge français ne s’embarrasse pas de détails, puisqu’il applique sa règle matérielle française, que le siège soit situé en France ou à l’étranger. Autrement dit, il est inexact de dire que le droit français juge que la loi applicable à la clause dépend de la volonté des parties. Et il est inélégant, même de la part d’un juge anglais, de prétendre que les solutions des deux côtés de la Manche sont identiques.

Quid, toutefois, de l’arrêt Kout Food de la Cour de cassation ? Ne prévoit-il pas une faculté pour les parties de choisir la loi applicable à la convention d’arbitrage, donnant ainsi raison à la Cour d’appel de Londres ? L’attendu doit être relu, pour ne pas commettre d’impair. La Cour de cassation précise que la règle matérielle s’applique « à moins que les parties aient expressément soumis la validité et les effets de la convention d’arbitrage elle-même à une telle loi ». C’est donc un rapport de principe à exception : la règle matérielle s’applique, à moins qu’un accord exprès puisse être caractérisé. Accord exprès qui, depuis trente ans, n’a jamais été aperçu dans une seule affaire. Mais il est vrai que la Cour d’appel de Paris ne connaît que d’une petite centaine d’affaires par an. Sans doute, l’échantillon est-il insuffisant.

Ce qui est tout de même marquant, c’est que le droit anglais connaît lui aussi cette articulation du principe et de l’exception avec sa solution Enka. Or le juge anglais passe un long moment – particulièrement instructif – à expliquer en quoi le principe, la loi applicable à la convention d’arbitrage est celle applicable au contrat, ne doit pas céder trop facilement face à l’exception, la loi applicable à la convention d’arbitrage est susceptible d’être la loi du siège. En revanche, il aura fallu trois coups de cuiller à pot pour inverser le principe et l’exception du droit français. En somme, il est dommage que la solution se fonde sur une appréciation si fragile du droit français.

Ce débat sur le droit applicable à la convention d’arbitrage a un but. Contrairement au cas classique, il ne s’agit pas ici de statuer sur la validité ou l’applicabilité de la clause. Cette détermination du droit applicable sert de marchepied à la compétence pour prononcer l’anti-suit. La Court of Appeal l’affirme explicitement : « The fact that the contract, including the agreement to arbitrate, is governed by English law, together with the policy of English law that those who agree to arbitrate should adhere to their bargain, provides a sufficient interest or connection in this case ». La compétence anglaise est donc purement et simplement fondée sur la loi applicable, ce qui ne manque pas de surprendre.

Encore faut-il savoir si la situation mérite d’accorder une anti-suit. Sur ce point, le raisonnement du juge anglais se fait en deux temps. Premièrement, il note qu’aucun autre juge n’est disponible pour statuer. En particulier, le tribunal arbitral, s’il peut accorder une anti-suit, ne peut pas, aux yeux du juge anglais, être constitué avant plusieurs mois et rendre une décision susceptible d’être reconnue en Russie.

Deuxièmement, il note le risque que la procédure arbitrale n’ait jamais lieu, en raison d’une anti-suit croisée demandée au juge russe. Pour cette raison, il conclut que le juge anglais est le forum adéquat pour statuer sur la demande d’anti-suit injunction d’UniCredit.

Ce faisant, le juge anglais se présente comme le juge du « déni de justice arbitrale ». À première vue, cela n’a rien d’impressionnant pour un arbitragiste français. L’article 1505, 4°, du code de procédure civile propose une logique équivalente. Reste que la démarche qui sous-tend cette compétence est différente. Pour le juge français, il s’agit de permettre la constitution du tribunal arbitral ; pour le juge anglais, il s’agit de s’opposer à une procédure menée devant un juge étatique. En l’espèce, rien ne permet de garantir que l’arbitrage est en danger. Certes, la Cour note que « more fundamentally, it seems highly unlikely that an arbitration in Paris would be allowed to proceed ». Pour autant, l’affirmation est dénuée d’arguments solides. Comment savoir si un arbitrage est insusceptible d’avoir lieu, alors même que ni le demandeur ni le défendeur n’ont, à ce stade, tenté de le saisir ? Il y a tout lieu de penser, bien au contraire, que l’arbitrage est disponible et susceptible d’être mis en œuvre, grâce au soutien tant de l’institution que du juge d’appui français.

En réalité, on voit en creux se dessiner une conception différente. Pour le juge français, ce qui importe, c’est que l’arbitrage ait lieu. Il reste, en revanche, indifférent aux procédures parallèles. À l’inverse, pour le juge anglais, les procédures parallèles sont plus importantes que le déroulement de l’arbitrage. C’est donc contre elles qu’il faut lutter, sans se préoccuper réellement de l’arbitrage.

Reste à déterminer si une telle anti-suit injunction est susceptible de reconnaissance en France. Le juge anglais le dit sans frémir : il s’en moque. Il énonce ainsi : « The first was that the French courts would not recognise or enforce an English order. However, this is irrelevant in circumstances where it is most unlikely that UniCredit would ever seek recognition or enforcement of an English anti-suit injunction in France. What matters, as in Deutsche Bank, is that a French court would not regard an English anti-suit injunction as an interference with its own jurisdiction, which is a different point ». Il est vrai que le juge français est sans doute bien trop poli – ou désarmé – pour réagir à cette décision. La seule chose qu’il est susceptible de faire est d’en refuser la reconnaissance et l’exequatur, notamment après avoir constaté, conformément à la jurisprudence Munzer (Civ. 1re, 7 janv. 1964, Rev. crit. DIP 1964. 344, note H. Batiffol ; JDI 1964. 302, note B. Goldman ; JCP 1964. II. 13590, note B. Ancel), que le juge anglais est dépourvu de compétence pour la prononcer.

Insuffisant pour dissuader ce dernier de se prononcer.

En somme, ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que c’est l’absence de pouvoir du juge français d’accorder une anti-suit injunction qui donne au juge anglais le mobile pour retenir sa compétence. Faut-il y voir un handicap dont souffre le juge français dans la compétition mondiale ? D’un point de vue pragmatique, peut-être.

Pour autant, d’un point de vue plus théorique, on peut douter de l’opportunité pour le juge français de participer à ce combat de coqs, dont l’arbitrage est le dernier bénéficiaire.

Le principe compétence-compétence

La transmission de la clause

L’arrêt Hager concerne une question de transmission de la clause compromissoire (Civ. 1re, 14 févr. 2024, n° 22-19.385). Dans cette affaire, la société Hager produit des boîtiers de commande électronique contenant des cartes d’alimentation fabriquées par la société Asteel, dont les composants sont fournis par les sociétés Rutronik, lesquelles les acquièrent auprès de la société Infineon en vertu d’un contrat de distribution, stipulant une clause compromissoire. Autrement dit, trois contrats translatifs de propriété s’enchaînent et seul le premier d’entre eux contient une clause compromissoire. À la suite de dysfonctionnements affectant les cartes d’alimentation, la société Hager assigne la société Asteel en garantie des vices cachés. Cette dernière appelle en garantie les sociétés Rutronik et Infineon qui soulèvent devant le juge de la mise en état une exception d’incompétence tirée de la clause compromissoire et sollicitent le renvoi devant un tribunal arbitral pour connaître de l’ensemble du litige. La cour d’appel se déclare incompétente pour connaître de l’action intentée par Hager contre Asteel et pour connaître de l’appel en garantie formé par Asteel contre Rutronik et Infineon.

La Cour rejette le pourvoi, d’un seul bloc pour les deux questions. Sans rappeler l’attendu issu de l’arrêt ABS (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhe ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur), ce qui ne doit pas être négligé, la Cour énonce qu’« ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que selon le rapport d’expertise judiciaire, les défaillances des cartes d’alimentation livrées à la société Hager par la société Asteel étaient imputables aux défauts affectant les composants vendus à ces sociétés par les sociétés Rutronik et acquis par ces dernières auprès du fabricant, la société Infineon, en vertu d’un contrat de distribution stipulant une clause compromissoire, la cour d’appel a pu en déduire qu’il n’était pas établi que cette clause fût manifestement inapplicable dans les relations entre l’ensemble des parties liées par des contrats translatifs de propriété, qu’elles aient ou non assigné le fabricant du composant défectueux ».

L’arrêt est doublement intéressant. D’une part, il révèle que la clause compromissoire est susceptible de jouer dans les relations entre l’ensemble des parties liées par des contrats translatifs de propriété. Elle produit ses effets tant dans l’action entre deux parties liées par un contrat dépourvu de toute clause que dans celle entre deux parties qui ne sont liées par aucun contrat. D’autre part, la Cour de cassation se garde bien de trancher positivement la question de la compétence arbitrale. Alors que dans des décisions comme ABS, la Cour de cassation a pris pour habitude de ne laisser aucun doute sur l’applicabilité de la clause compromissoire au litige, elle adopte une position bien plus réservée dans cette décision. Cette approche doit être saluée.

Si la présence d’une clause compromissoire impose un renvoi aux arbitres, il ne faut pas immédiatement en déduire son applicabilité au litige. Ce travail de recherche de la volonté des parties doit être réalisé par les arbitres sous le contrôle du juge du recours. Il peut conduire à retenir la compétence étatique pour trancher certains des litiges, si l’examen des contrats laisse apparaître une volonté particulière (sur la question, J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 685).

L’opposabilité de la clause aux tiers

On dira simplement un mot – car l’arrêt est très bref sur ce point – du nouvel épisode de l’affaire Sucrerie de Bois Rouge, qui revient en appel (Saint-Denis de la Réunion, 23 févr. 2024, n° 20/00235) après un célèbre arrêt d’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; ibid., 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 416, et les obs. , note J.-S. Borghetti ; ibid. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 394, point de vue M. Bacache ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJ contrat 2020. 80 , obs. M. Latina ; RFDA 2020. 443, note J. Bousquet ; Rev. crit. DIP 2020. 711, étude D. Sindres ; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier ; ibid. 395, obs. P. Jourdain  ; Gaz. Pal. 2020, n° 5, p. 15, obs. D. Houtcieff).

Pour mémoire, l’action est exercée par le tiers à un contrat, lequel se prévaut d’une faute contractuelle au soutien de son action extracontractuelle. Pourtant, le contrat utilisé au soutien de l’action contient une clause compromissoire. La cour d’appel l’écarte d’un revers de main, sur le fondement de l’article 1165 (ancien) du code civil. Elle écrit que « la compagnie QBE agit en qualité de tiers au protocole invoqué du 16 novembre 1989, dont elle n’a récupéré aucun droit par l’effet de l’indemnité versée à son assurée, laquelle est aussi étrangère à ce protocole d’accord. Ainsi, la clause d’arbitrage préalable alléguée ne peut lui être opposée ».

Du point de vue du droit de l’arbitrage, l’erreur de raisonnement est évidente. C’est une violation frontale de l’effet négatif du principe compétence-compétence. Quand bien même la clause ne serait pas opposable aux tiers – ce qui est très discutable (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc.) – cette circonstance ne remet pas en cause la priorité de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence. La solution est d’autant moins cohérente que la cour d’appel juge par ailleurs que la clause limitative de responsabilité est susceptible d’être opposée au tiers. Voilà donc les clauses du contrat qui, selon le bon vouloir de la cour, sont ou ne sont pas opposables. Tout cela n’a guère de sens, mais rend d’autant plus intéressante cette affaire, dont on attend avec beaucoup d’espoir un nouveau pourvoi.

La renonciation à la clause

La question de la renonciation à la clause compromissoire fait l’objet d’un traitement un peu particulier lorsqu’elle est confrontée à l’effet négatif du principe compétence-compétence. Là où, en principe, les prérogatives du juge sont limitées au contrôle du manifeste, le juge n’hésite pas à s’offrir certaines largesses en la matière, comme on a pu le voir à l’occasion de l’affaire Tagli’apau (Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 21-11.253, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 358 ; ibid. 2330, obs. T. Clay ; RTD com. 2022. 487, obs. E. Loquin  ; JCP 2022. 553, note M. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2022, n° 11, p. 23, note J. Clavel-Thoraval ; ibid., n° 15, p. 1, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. Comm. 100, obs. L. Weiller ; JCP 2022. Doctr. 724, obs. L. Jandard ; JCP E 2022. 1307, note P. Casson). Cela s’explique, sans doute, en partie par la nature de cet argument, qui touche à la recevabilité de l’exception d’incompétence, ce qui offre au juge une plus grande liberté dans son examen.

Dans une affaire EuroDisney, la question de la renonciation se pose sous l’angle intéressant de deux litiges parallèles (Paris, 16 janv. 2024, n° 23/09079). À la suite de travaux de réhabilitation d’un hôtel, la société EuroDisney est assignée par l’entrepreneur. Elle lui oppose une clause compromissoire figurant dans le contrat. Pour tenter d’y faire échec, l’entrepreneur se prévaut de la renonciation d’EuroDisney à la clause. La raison à cela tient dans une action intentée par un sous-traitant. À l’occasion de celle-ci, Eurodisney a, d’une part, appelé en garantie l’entrepreneur et, d’autre part, opposé au sous-traitant une clause attributive de juridiction figurant dans le contrat de sous-traitance. La question est donc de savoir si ce comportement caractérise une renonciation à la clause compromissoire.

Pour l’écarter, la cour d’appel souligne que « la Cour de cassation retient une conception restrictive de l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, et juge que la renonciation au droit de se prévaloir d’une clause compromissoire ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ». Elle retient ensuite trois arguments : premièrement, EuroDisney n’est pas à l’initiative de la procédure contre le sous-traitant ; deuxièmement, EuroDisney n’est pas lié contractuellement avec le sous-traitant ; troisièmement, le sous-traitant n’a pas connaissance de la clause compromissoire. À dire vrai, aucun de ces arguments n’est décisif. La cour d’appel part du principe que la clause compromissoire n’est pas applicable à l’action directe du sous-traitant. Pourtant, au moins en matière d’assurance, la jurisprudence a déjà statué en sens inverse (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-18.292, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay  ; 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; DMF 2019, n° 810, note P. Delebecque). Il n’y a donc rien d’évident à cette exclusion. Reste que la véritable question est de savoir si le fait de ne pas se prévaloir de la clause dans le cadre d’un litige interdit d’agir différemment dans un autre litige, plus encore lorsqu’il oppose des parties différentes. À notre estime, c’est sous cet angle que la question doit être débattue.

Le juge d’appui

Avec la mise en place de l’open data étendu aux décisions de première instance, les mois à venir vont permettre de prendre connaissance d’intéressantes décisions rendues par le juge d’appui. C’est déjà le cas, avec un jugement du 1er février 2024 rendu dans une affaire BZ Grains (TJ Paris, 1er févr. 2024, n° 23/59274). L’affaire est connue pour avoir donné lieu à un arrêt récent en matière de compétence (Paris, 4 avr. 2023, n° 22/07777, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2023, n° 35, p. 9, obs. L. Larribère). Néanmoins, après la sentence sur la compétence, l’institution arbitrale a sollicité le paiement d’une provision complémentaire puis a prononcé le retrait des demandes. Le juge d’appui est saisi afin de voir prononcer une injonction visant à la poursuite de l’arbitrage.

La situation présente de très nombreuses similitudes avec l’affaire Garoubé (Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). Pour cette raison, on n’est guère étonné de voir la demande subir le même sort. La question se subdivise en deux. Premièrement, elle est celle de la compétence du juge d’appui. Ici, elle ne pose pas de difficulté, puisqu’elle peut se fonder sur l’article 1505, 1°, du code de procédure civile. Deuxièmement, elle est celle des pouvoirs du juge d’appui. Le juge, après avoir écarté les articles 1457 et 1463 du code de procédure civile, rappelle à propos de l’article 1505, 4°, que la Cour de cassation « a ainsi écarté la thèse selon laquelle le 4° de l’article 1505 précité pouvait être lu autrement que comme une clause de forum necessitatis définissant la compétence internationale du président du Tribunal de Paris statuant comme juge d’appui, nonobstant l’opinion d’une partie de la doctrine selon laquelle la notion de déni de justice devrait emporter une compétence plus large du juge d’appui ». Autrement dit, les pouvoirs du juge d’appui ne sont pas illimités et se heurtent, notamment, au choix par les parties d’une institution d’arbitrage. C’est là aussi ce que rappelle le juge d’appui, qui souligne que « la demande d’injonction ne tend en réalité qu’à une remise en cause, devant le juge d’appui, de décisions d’organisation de l’arbitrage adoptées par la chambre sur le fondement de son règlement ». Or, selon lui, « une telle injonction excéderait les pouvoirs du juge d’appui, dont l’intervention dans le cours...

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