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Innovations et avocats : le temps de faire ! - Épisode 5 : Pas d’innovation sans leader et sans vision ?!

Développer une activité juridique ambitieuse, comme pour une entreprise, nécessite de mobiliser des moyens. Un capital humain exigeant, des moyens financiers pour investir, des choix, des arbitrages pour permettre de combiner innovations qui pourraient générer des revenus futurs et revenus immédiats nécessaires pour entretenir l’enthousiasme ou répondre aux réalités de marché. Le rôle du management est donc indispensable pour animer cette communauté exigeante car fortement engagée. La vision, la capacité à accepter l’erreur, le charisme seront autant d’éléments qui permettront de rester unis face à l’expérimentation, voire l’échec inhérent au processus d’innovation afin de préserver l’intelligence collective qui fait le succès d’une organisation. Alors quelles pistes explorer pour permettre d’intégrer dans le management l’indispensable évolution face à un monde qui bouge en permanence ?

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« L’innovation c’est ce qui distingue un leader d’un suiveur » déclarait Steve Jobs et même si des stratégies de suiveur « fast second » peuvent s’appliquer avec succès, la promesse contenue dans l’ADN de cette caractéristique pour un cabinet d’avocat semble indispensable en ces temps de crise.

De la transformation digitale au management par l’innovation

L’innovation repose sur trois piliers que sont la créativité, la valeur d’estime, d’usage et d’échanges et la socialisation. Qu’elle soit incrémentale ou de rupture, « techno push » ou d’usage, produit, procédé, commercialisation, business model, organisationnelle ou sociale, elle permet à l’entreprise d’acquérir un avantage compétitif, d’exprimer sa différence, tout en répondant aux demandes d’un marché. Il en est de même pour un cabinet d’avocats mais, pour que l’idée nouvelle rencontre son marché, elle doit être alignée avec sa stratégie, correspondre à ses valeurs, s’intégrer dans celles de la profession. Une première question se pose alors sur la vision stratégique et la raison d’être du cabinet qui, pour innover, deviendrait une entreprise de droit. On ne parle plus de digitalisation du cabinet, mais bien de sa transformation.

Car si le digital représente une révolution technologique qui augmente les possibles et pousse à la transformation des processus de production et d’interaction, il n’est pas une fin en soi. En revanche, l’augmentation des possibles et les nouveaux parcours d’expérience clients/ utilisateurs vont obliger à faire différemment et innover. Le digital entraîne dans son usage la désintermédiation des acteurs de référence du marché – avocats, notaires, huissiers… directions juridiques ? –, renforce l’exigence de transparence et de rapidité – savoir où en est mon dossier en temps réel ? –, permet la prise de pouvoir des clients– à terme la notation ? –, pousse à l’économie du partage – accéder aux bases de données du cabinet pour plus travailler ensemble ? – et entraîne l’hybridation des marchés en combinant plusieurs usages puisque l’accès au marché est facilité – avocat + alternative business services + legaltech + legal process outsourcing + management de transition + formation … + compétences internes à l’entreprise ? –, ce qui doit entraîner pour les cabinets de revisiter leur mode de fonctionnement avec leurs clients, un premier sujet d’innovation.

Les défis du management par l’innovation

Certes, l’un des avantages offerts par une structure innovante est de permettre aux individus une plus grande autonomie grâce à la confiance, la flexibilité, la progression dans la maîtrise technique, l’expertise reconnue et le développement d’une vision qui pousse à l’action, ce qui ressemble aux caractéristiques d’un avocat d’affaires.

Mais la démarche de management par l’innovation apporte aussi une informalité qui transforme les codes de légitimité, comme on le voit sur les réseaux sociaux qui permettent une communication informelle et transversale. La valeur du faire ensemble, de développer une intelligence collective, la liberté, la simplicité, l’efficacité dans l’action peuvent contraster avec le temps long de réflexion, de planification, de budgétisation, d’expression de la hiérarchie et du contrôle que l’on observe dans certaines organisations. L’apprentissage par une expérimentation frugale et la possibilité de prendre des risques à impact limité permet pourtant de répondre aux nouvelles exigences sociales qui émergent avec le développement de nouveaux usages et l’utilisation des nouvelles technologies, comme nous l’observons sur le marché du droit. Certains d’entre nous répondent déjà à un impératif d’innovation rapide et à faible coût, tout en recherchant la différenciation par le meilleur design.

Naturellement les organisations matures par leur taille et leurs succès ont construit une histoire sur la fiabilité, l’excellence opérationnelle, le zéro défaut et veulent garantir leurs résultats et leurs rémunérations. Elles deviennent souvent frileuses et ont déployé des politiques internes coûteuses pour anticiper les risques, peser chaque décision, rendre des comptes à tout niveau, ajuster leurs personnels… pour obtenir la plus forte prédictibilité et la meilleure lisibilité de leurs résultats futurs. L’art de la gestion et des arbitrages pour maximiser les profits en organisant les ressources en travail et en capital a parfois pris le pas sur le risque originel assumé par l’entrepreneur qui exploite les opportunités et évite les erreurs. Sauf nécessité de survie, pourquoi faire évoluer ce modèle qui a réussi ? Surtout que la période actuelle post- covid pousse à la réduction de la dette, au recentrage sur les métiers les plus lucratifs, à l’amélioration des processus de performance, tout en continuant à se protéger contre les risques par des processus et des procédures qui peuvent décourager l’initiative en poussant les avocats à devenir des employés exécutants. Et lorsque la réussite n’est pas – ou ne peux pas – être récompensée et que le manque d’initiative reste impuni, le système d’encouragement à prendre des risques ne fonctionne plus. On peut donc se poser la question de l’opportunité et/ ou de la faisabilité d’une telle démarche pour les cabinets d’une certaine taille et/ou member intégrés d’un réseau international, qui conservent un flux d’affaires significatif venant de l’étranger ou une récurrence de leur revenu qui les protège de cette nécessité de changement. De même, les acteurs de « petite » taille a priori conservent l’aspect entrepreneurial et le goût de la prise de risque indispensable pour permettre une démarche d’innovation frugale.

L’enjeu stratégique est donc pour les équipes de management des structures intermédiaires qui peuvent profiter de cette période. Que l’on parle d’amélioration, de déclinaison, de développement croisé ou de disruption, l’innovation doit s’intégrer dans la stratégie et demande du temps, un effort constant, une cohérence entre ambitions et actions du quotidien pour permettre l’alignement entre culture d’innovation et ambition managériale pour véritablement construire une image différenciante pour le cabinet, impacter la marque employeur et apporter de nouveaux projets.

Dans la guerre des compétences et l’attractivité des talents rendue nécessaire dans nos métiers du droit pour séduire les générations Y et Z, le management par l’innovation est l’occasion de proposer un travail collaboratif, avec un fort aspect entrepreneurial, stimulé par la créativité qui, si elle ne peut s’exprimer dans le droit en début de carrière, – il faut d’abord apprendre son métier -, pourra exister dans le cadre des projets innovants auxquels ces jeunes actifs pourront contribuer. Pour les plus expérimentés que l’on souhaite retenir, l’innovation – en entreprise de droit ? – peut permettre une sorte d’intrapreneuriat pour tester l’attitude de partage, la capacité à se réinventer en environnement incertain, de travailler en partage avec la structure, de tester l’empathie vis-à-vis des clients, des associés comme des collaborateurs ou des supports. C’est aussi une alternative aux structures pyramidales pour maintenir et promouvoir les talents internes, tout en recrutant une nouvelle communauté. Le fonctionnement en communautés agiles, apprenantes, autonomes, ouvertes – vous pouvez être membre de plusieurs communautés à condition de prendre le temps d’y contribuer – plutôt qu’en spécialités est induit par la mise en place d’un management par l’innovation. Il permet de limiter l’impact d’une entrée dont le sens ne serait compris que par le management et pourrait faire naître un sentiment de déclassement. Dans un monde où certaines compétences, même en droit, vont devenir pour partie obsolètes dans les années à venir, il est difficile de justifier autre chose qu’une arrivée avec un chiffre d’affaires, dont la certitude peut être remise en cause par le comportement libre des clients. La capacité à contribuer à l’innovation et au projet du cabinet, au-delà de la production et du partage des coûts, pourrait alors être un plus en démontrant la capacité d’entraînement et d’inventivité des équipes intégrées.

Enfin, à terme, ce mode de management devrait permettre de répondre aux recherches de sens et non de statut des nouvelles générations, mais aussi de certains anciens, en proposant un véritable projet au service des clients par les avocats, ce qui pose la question de revoir les systèmes de formation des filières d’expertise, de management et de gestion de projet des spécialistes du droit pour demain, s’adapter à une organisation innovante.

Pas que de l’argent, du management !

« L’innovation n’a rien à voir avec la somme que vous êtes en mesure de dépenser en matière de recherche et développement. C’est une affaire de personnes, de comment vous êtes dirigés et de quelle énergie vous y mettez », toujours Steve Jobs ! Car si l’on peut faire confiance à la sérendipité pour qu’une organisation managée par l’innovation puisse conquérir de nouveaux marchés ou maintenir sa position, les dirigeants des cabinets peuvent se poser la question du coût d’une telle transformation, qui suppose d’avoir les moyens, tout en restant frugal.

L’exemple de Google organisé par Éric Schmidt son ancien CEO peut donner une idée de l’investissement en temps nécessaire pour commencer : 70 % passés sur le cœur de métier avec son équipe pour améliorer sa performance et exécuter le business plan ; 20 % d’innovation proche, incrémentale, avec une autre équipe ou interdisciplinaire et 10 % de travail sur des concepts de rupture, la recherche d’un nouveau business model qui, certes, offre un grand potentiel, mais est aussi incertains et ne doivent pas être mis en concurrence avec les autres innovations. De plus, une partie de ces temps dans la pratique est masquée, c’est-à-dire prise sur les temps « morts » de l’activité de l’entreprise, ou, avec l’effet d’entraînement, en améliorant la productivité des tâches individuelles assignées pour dégager du temps pour contribuer aux équipes des projets innovants, voire volontairement sur le temps libre quand travail et amusement deviennent synonymes. Il a certes fallu quinze ans pour faire Google, mais le modèle de management a fait ses preuves.

L’autre élément de management important, parfois difficile à intégrer dans la culture d’un cabinet et même d’une entreprise de droit, est la priorité à donner à la promotion des valeurs et du comportement, plus qu’aux résultats économiques pour les activités d’innovation. Le management, pour répondre aux nouveaux défis du cabinet, crée ainsi une culture d’engagement des avocats comme des « non-avocats », de prise de risque, de créativité, de décloisonnement entre les spécialités et les niveaux hiérarchiques, ce qui permet une meilleure connaissance des compétences de chacun, de révéler des talents au-delà de leur réputation, autant de facteurs préalables à la génération de nouveaux revenus. C’est en plus la démonstration de la confiance dans la bonne volonté des individus motivés par un projet, et la surprise de voir le temps masqué révélé, avant de pouvoir mesurer la contribution des innovations dans les résultats à plusieurs niveaux : engagement et rétention des personnels ; amélioration de l’expérience client ; image du cabinet ; marges améliorées ; nouveaux revenus générés.

Quels véhicules pour conduire le changement ?

Avant de parler véhicules, il faut apprendre à les conduire. L’innovation en continu attendue par le marché suppose de la connaissance technique irréprochable – le prérequis –, puis de l’agilité, du bon sens, de la remise en question permanente, de l’expérimentation, de la foire aux idées, un retour d’expérience rapide, l’expression d’une intuition, l’apprentissage et le partage des échecs… pour aller vite, avoir des cycles de développement courts pour accélérer le time to market, avec des budgets raisonnables en temps comme en euros.

Il est donc nécessaire de former l’ensemble de la structure – à l’innovation et à la gestion de projets innovants en utilisant les logiciels du marché qui facilitent ces démarches1. La formation au design thinking, au design to cost, au mindmapping par exemple, l’amélioration des soft skills qui permettent d’interagir ou d’animer des groupes, y compris la connaissance de soi avec le MBTI™, conduiront aussi à renforcer l’esprit d’équipe, et développer un langage et des méthodes de travail communs. Cet investissement sur les collaborateurs démontre votre confiance sur leur engagement et leur capacité d’innovation à venir. C’est aussi un autre canal pour identifier les talents et détecter ou confirmer les hauts potentiels, dans un cadre plus large que celui des dossiers. C’est aussi un projet inclusif car les fonctions support peuvent aussi innover dans leurs pratiques, pour certaines elles sont en contact avec les clients, d’autres au service des avocats, voire, comme le marketing, doivent contribuer à la compréhension du client, du marché, de la concurrence. Enfin, c’est apprendre à travailler sur le customer journey et ses interactions avec le marché, pour comprendre ce que les clients font – y compris les clients internes – et dépasser ce qu’ils disent ou que nous leur faisons dire à travers des enquêtes de satisfaction qui devraient être aujourd’hui des questionnaires d’expérience client.

Si vous en avez les moyens, l’étude de la prospective et de l’intelligence économique pour décrypter les tendances et rechercher les nouvelles opportunités de marchés, combinée avec un minimum de marketing et de construction d’un budget Canva2 sera un plus.

Ensuite deux démarches frugales3 peuvent s’exprimer : l’une à l’intérieur du cabinet pour favoriser l’émergence, le partage, le mûrissement et la hiérarchisation des idées de gain de productivité, de confort de travail ou de nouveaux marchés, services, offres sans créer de frustration ; l’autre, ouverte, permettra d’associer les acteurs du marché afin d’accélérer le time to market des idées nouvelles du cabinet et renforcer son positionnement.

Quel cadre pour penser hors cadre ?

Pour animer, catalyser, amplifier la démarche tout en contournant les rigidités des cabinets souvent gérés en spécialités, il est important d’identifier une infrastructure qui va créer l’espace d’éducation, d’autonomie, de support, de bienveillance pour exprimer l’innovation collaborative : une sorte d’incubateur interne. L’identité de cette cellule et son autonomie affirmées permettent d’une part de suivre un modèle différent de la logique annuelle de production valorisée aux standards internes, facturation, recouvrement, rémunération, pour un modèle inscrit dans le temps de l’innovation – deux à cinq ans – qui permet d’étaler les temps d’investissement. D’autre part, son identité propre, « détachée » du cabinet, permet de limiter l’impact que certains pourraient imaginer négatif sur la marque.

À la fois accélérateur et protecteur, ce véhicule doit être piloté au plus haut niveau pour permettre une prise de décision rapide et protéger des conséquences du contournement des règles ou des codes habituels, pour donner la priorité à l’accélération des idées et éviter qu’elles soient tuées ou « récupérées » par l’organisation. C’est cette autorité qui va garantir l’absence d’interdits, la liberté de penser différemment, l’alignement avec la stratégie poursuivie, l’acceptation de l’informel dans les relations d’innovation, le test ou la commercialisation de services non finalisés, le droit à l’erreur, s’il est partagé et apprenant pour l’individu et l’organisation. Au moment des choix des solutions qui seront développées, c’est aussi l’autorité qui arbitrera les risques de cannibalisation d’un service ancien.

La cellule doit ainsi être entrepreneuriale, compacte, autonome et pluridisciplinaire pour s’assurer du mélange des talents et de la confrontation des points de vue, tout en s’inscrivant dans la stratégie du cabinet. Les collaborateurs pendant leurs temps consacrés à l’innovation restent bien entendu rattachés hiérarchiquement à leur unité de management, mais vivent une expérience différente marquée par le caractère horizontal du management de l’équipe en mode « commando » innovation.

Enfin, mieux vaut inscrire cette démarche dans un processus d’innovation frugale pour concevoir des solutions suffisantes, à bas coût ou utilisant des technologies alternatives dans un premier temps pour convaincre les sceptiques, permettre de dégager un budget de récompense et investir sur la meilleure solution pour la stratégie du cabinet. Cette contrainte oblige à l’ingéniosité, à la recherche de partenaires pour tenir dans l’enveloppe budgétaire définie à l’avance, et de se mettre en posture de start-up qui en général démarrent avec de la love money, avant de pouvoir faire appel au marché.

Son mode de fonctionnement doit d’abord permettre le partage de la connaissance, puis le foisonnement d’idées, ce que l’on appelle l’idéation, qui doit être encouragée par équipe avec un libre choix dans la constitution des équipes, facilité par la connaissance développée dans la phase d’enseignement préalable.

L’idéation doit permettre une rapide formalisation de l’idée, de son marché, de son modèle économique et une saine mise en compétition pour permettre de ne développer en prototype que les projets alignés par avec la stratégie. L’explication du choix/non-choix des projets par le management sur la base de la réalité des besoins, des usages ou des contraintes sera aussi importante pour limiter les frustrations, et surtout améliorer la courbe d’apprentissage des équipes pour le prochain « concours » d’innovation tout en maintenant l’enthousiasme. Si la dynamique fonctionne, certains talents rejoindront en renfort les projets déjà sélectionnés, sachant que l’équipe projet doit rester ramassée, autour de trois à quatre personnes, pour fonctionner au mieux.

La construction du prototype de solution doit immédiatement amener au test client pour apprendre et améliorer le plus vite possible ce qui était une ébauche de solution il y a quelques semaines et en faire un proof of concept (POC). C’est aussi le moment de commencer à intégrer des éléments financiers comme si l’on devait financer le minimum viable project (MVP) avant la mise en œuvre opérationnelle. À chaque phase, un comité de validation, si possible intégrant des personnalités externes au cabinet, validera les évolutions et pourra stopper l’investissement ou valider un pivot en challengeant avec bienveillance le projet de manière indépendante. La gouvernance de ce type de projet, comme le support et l’implication du management, sont donc essentiels pour sa réussite. Car la mise sous innovation de l’organisation ne passe par la nomination d’un responsable de la transformation, mais par la diffusion à travers des relais de messages qui embarquent l’ensemble de l’organisation. Le management peut d’ailleurs imposer la mesure de la compétence, de la motivation, à travers un index de créativité issu de l’ensemble du processus en suivant le nombre de collaborateurs impliqués, le nombre de projets, leur qualité, leur impact… et le revenu généré. Ce véhicule doit permettre à terme pour l’organisation une meilleure réactivité, une stimulation par l’innovation, une motivation et un décloisonnement salutaires. Pour les avocats, comme pour l’ensemble des personnels, ils peuvent exprimer leurs capacités de générosité, de créativité, d’autonomie, de ténacité, d’informalité, de gestion des interfaces, de transparence, de confiance dans l’autre et dans le management, du résultat par l’action… autant d’éléments propres aux entreprises de droit qui réussissent.

Pousser jusqu’à l’innovation ouverte ?

Pour aller plus loin, il est nécessaire de combiner écosystème externe – clients, fournisseurs, universités, éditeurs, legaltech … – et ressources internes, musclées par l’approche ci-dessus pour cocréer et co-entreprendre en enrichissant les expériences, les usages et les idées par les pratiques de chacun. C’est une opportunité de mieux piloter le time to market, de partager les coûts de développement, d’avoir accès à des techniques et des informations que le cabinet ne peut mobiliser seul ou amortir à son échelle, et de s’obliger à être à la hauteur de ses partenaires. Si cette démarche est effectuée avec les clients, elle démontre l’innovation par l’action, une différence, une force de proposition, un engagement et peut permettre de résoudre en direct son problème, tout en garantissant le développement de solutions qui auront des clients !

Certaines difficultés doivent cependant être anticipées, à commencer par le choix des « bons » partenaires qui doivent avoir des intérêts convergents aux vôtres sur la question mise en commun. De même, la capacité à mobiliser les ressources et les moyens expérimentés pour gérer le projet sur une période de quatre à six mois maximum ne doit pas être sous-estimée, tout comme le partage ou la gestion de la propriété intellectuelle.

C’est cette démarche qui permettra souvent de valider les « océans bleus » identifiés par le cabinet, d’accélérer son développement pour prendre le marché en étant le premier entrant et de convertir ses clients en ambassadeurs de la marque d’avocat qui aura su investir pour eux autrement.

L’innovation comme test du management ?

Ces deux dispositifs devraient permettre à un cabinet d’avocat, au-delà de ses compétences, de se préparer au monde de demain qui sera fait de marchés et de consommateurs du droit hybrides, surtout en entreprise. Nos clefs passées étaient le marché et les études marketing, voire les enquêtes de satisfaction pour réaliser des améliorations. Face à cette complexité accentuée, la clef d’entrée, même en droit,  devient l’humain et son éducation sur les marchés à valeur ajoutée. L’excellence opérationnelle et les processus industrialisés et/ou automatisés avec une forte intensité capitalistique ne sont accessibles que pour quelques acteurs du marché qui peuvent assumer l’investissement nécessaire.

La connaissance de l’utilisateur, de ses usages, de ses envies, de ses besoins au-delà de la technologie, doit nous permettre d’apprendre à le servir au mieux et améliorer le design de nos services. Ce défi de transformation pour atteindre cet objectif rappelle le rôle du CEO d’une entreprise de droit et donc d’un managing partner ou d’une équipe de direction d’un cabinet d’importance significative : « Permettre aux gens d’exceller, les aider à découvrir leur propre sagesse, à s’engager entièrement dans leur travail et à accepter de faire des changements »4. Enfin, ne pourrait-on pas faire nôtre la citation de Fred Luthans qui paraît particulièrement adaptée aux organisations du droit : « La vraie valeur de l’entreprise n’est plus dans ses actifs corporels, ni même dans ses procédés technologiques. Elle réside dans son capital humain et dans le capital psychologique qui le sous-tend et qui est inimitable. N’importe qui peut acheter la technologie, le savoir ou obtenir de l’argent sur les marchés financiers, mais on ne peut acheter la motivation, l’engagement, la confiance, la résilience, l’espoir et l’optimisme » qui s’expriment par la capacité d’innovation encouragée par le management.

À ce stade du Livre Blanc nous avons construit la communauté qui permet d’innover dans la durée. Mais nous opérons dans une profession règlementée et les règles de déontologie peuvent favoriser ce développement… ou pas. Avec une profession aux multiples facettes derrière le statut et le titre d’avocat se multiplient les modes d’exercice et les modèles économiques. De plus , l’ouverture à la concurrence souhaitée par le législateur européen contribue à bousculer les monopoles de professions règlementées. Alors comment conjuguer évolutions de marché et règles professionnelles ? C’est le propos du chapitre 7 de ce Livre Blanc Innovations & Avocats.

 

1. Par ex., Miro, Mural ou Slack.
2. Méthodologie et outil facilitant la compréhension de la construction budgétaire.
3. Nous n’aborderons pas la prise de participation dans des projets ou la construction d’un fonds mentionnés dans le premier article de la série en déc. 2019.
4. V. Nayar, Employees first, customers second, Harvard Business Press, 2011.