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Position de la CJUE en matière de congés payés et d’arrêt maladie : un nouveau signal adressé au législateur français !

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) confirme, le droit français doit s’adapter ! Le 9 novembre 2023, la CJUE a rendu un arrêt particulièrement attendu dans le contexte brûlant résultant des décisions de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 amplement commentées (v. Soc. 13 sept. 2023, nos 22-17.340, 22-17.638, 22-14.043, 22-11.106, Dalloz actualité, 28 sept. 2023, obs. C. Martin, D. Dellome et F. Didier-Cherpitel). Elle clarifie certaines incertitudes, si elles demeuraient, et confirme un certain nombre de projections spécifiquement s’agissant du droit au report des congés payés annuels pour les salariés en arrêt maladie ainsi que son encadrement.

Il convient, pour bien comprendre l’impact de la décision objet de nos quelques observations, de rappeler rapidement le contexte. Alors que le code du travail ne reconnaît pas l’accumulation de droits à congé payé durant un arrêt de travail d’origine non professionnelle, le 13 septembre 2023 par plusieurs décisions la Cour de cassation a étendu ce droit à différentes situations non visées par le texte afin de se mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne. Les magistrats se sont ainsi appuyés sur l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux et l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003. S’agissant des arrêts maladie, il n’existe donc plus de distinction entre maladie d’origine professionnelle ou non professionnelle. En ce sens, la chambre sociale a fait preuve d’« audace » en écartant partiellement les dispositions nationales contraires au droit de l’Union européenne. Elle a, en effet, mélangé les techniques de substitution et d’interprétation conforme, « innovant, le schéma présente une vertu indéniable : il permet d’uniformiser le régime des congés payés du salarié malade et d’éviter des traitements différenciés susceptibles d’être qualifiés de discriminatoires. À ce titre, la référence de la Haute Juridiction à la règle de non-discrimination fondée sur l’état de santé mobilisée dans les deux arrêts trouve tout son sens » (v. sur cette analyse, A. Gardin, Congés payés et droit de l’Union européenne : le big bang de la mise en conformité, RJS 15/11, 2023). Les arrêts concernent l’acquisition de droits à congés payés par le salarié malade, le report des congés payés acquis, et la prescription de l’indemnité de congés payés.

Or, à la suite de ces décisions, au-delà du principe même de l’acquisition des droits à congés annuels, plusieurs questions restaient en suspens spécifiquement concernant leurs reports notamment pour les salariés atteints d’une maladie de longue durée dans la mesure où peu importe la durée et la nature de l’absence. Quel impact en cas de cumul sur plusieurs périodes d’acquisition consécutives ? La durée du report est-elle illimitée ? Est-il possible d’encadrer le droit au report ? Si oui, comment le faire ? C’est dans ce contexte qu’intervient la décision rendue par la CJUE le 9 novembre dernier répondant à des questions préjudicielles posées par le Conseil de prud’hommes d’Agen.

Au cas particulier, la société Keolis située à Agen, entreprise privée du secteur des transports, avait refusé d’accorder à ses employés les congés payés accumulés pendant leurs arrêts maladie de plus d’un an. Les salariés, soutenant que ce refus était contraire au droit de l’Union européenne, ont saisi le Conseil de prud’hommes d’Agen. La juridiction a donc demandé à la CJUE si le droit au congé annuel payé est applicable directement dans le cadre de la relation de travail avec Keolis. Elle a, par ailleurs, interrogé la Cour sur la durée raisonnable de report des congés payés ainsi que la conformité d’un report illimité avec la directive européenne.

La solution dégagée, nous le constaterons, n’est pas surprenante et demeure extrêmement classique. La Cour n’apporte pas de grande nouveauté et ne fait que reprendre sa position antérieure sur le sujet. Toutefois, elle a pour effet de lancer un nouveau signal à l’État français sur l’urgence de prendre des mesures concrètes et de modifier les dispositions du code du travail afin que le droit français soit, enfin, parfaitement conforme au droit de l’Union dans un objectif de prévisibilité et de sécurité juridique.

Des signaux ignorés par le législateur français

Ces décisions, qui ont fait couler beaucoup d’encre et provoqué des inquiétudes chez de nombreux employeurs, étaient pourtant attendues de longue date en l’absence de modifications législatives. La doctrine et la Cour de cassation alertaient de sorte qu’il était cependant difficile de savoir quelle occasion allait être saisie pour opérer cette mise en conformité avec le droit de l’Union européenne. Pour mémoire, rappelons que la directive 2003/88/CE a fait l’objet d’une transposition maladroite.

Aussi, c’est seulement en 2012 (loi n° 2012-387 du 22 mars 2012) que le législateur a supprimé toute condition de présence minimale pour la naissance du droit à congés payés. Jusqu’à cette date le droit français n’était pas non plus en conformité avec le droit de l’Union européenne. De plus, la Cour de cassation, depuis son rapport de 2013, recommande régulièrement au législateur de réécrire l’article L. 3141-5 du code du travail pour le rendre conforme au droit de l’Union. Faute de réforme, la France s’exposait, dans ce contexte, à un recours pour manquement devant la CJUE. L’affaire Keolis était en ce sens attendue de longue date.

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