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Le récit de l’assaut contre Mohamed Merah, par celui qui le dirigea

Au procès d’Abdelkader Merah et Fettah Malki, devant la cour d’assises de Paris, l’ancien directeur du RAID a fait le récit de l’opération menée par ses hommes les 21 et 22 mars 2012, qui a conduit à la mort de Mohamed Merah.

par Julien Mucchiellile 6 octobre 2017

Après que deux militaires, qui commandaient Imad Ibn Ziaten pour l’un, Abel Chennouf et Mohamed Legouad pour l’autre, eurent évoqué les hommes passionnés et compétents qu’ils eurent l’honneur de mener, et après que Sabrina, 30 ans, eut récité un saisissant hommage à son meilleur ami Mohamed Legouad, le président de la cour d’assises spécialement composée de Paris, qui juge Abdelkader Merah pour la complicité qu’on lui prête dans les assassinats terroristes perpétrés par son frère, annonça : « Faites entrez le témoin. »

 

Amaury de Hauteclocque, 51 ans, dirigeait en 2012 l’unité d’intervention du RAID. Il fait à la cour d’assises, le récit scrupuleux de l’opération menée contre Mohamed Merah qu’il eut à mener, de son arrivée à Toulouse à l’exécution du terroriste. Le 19 mars 2012, il rejoint à Toulouse les autres responsables de la police, qui cherchent le tueur au scooter. La piste, à ce moment, était celle d’un terroriste d’extrême droite. « Mais un enquêteur a l’intuition géniale de penser que le tueur, plutôt que de raisonner par rapport à la religion des victimes, musulmans et juifs, a pensé en fonction de leur statut », militaires et juifs. La piste islamiste est ouverte et, rapidement, neuf adresses IP sont isolées, comme s’étant connectées à l’annonce de la vente du scooter d’Imad Ibn Ziaten. L’une correspond à la mère de la famille Merah. 24 heures plus tard, le 20 mars au soir, un enquêteur de la police judiciaire de Toulouse présente des clichés au gérant du magasin de scooter « YAM 31 », qui reconnaît formellement l’un des deux frères.

Le dispositif d’intervention est mis en place à 3h du matin, devant le domicile de Mohamed Merah, pour le surprendre dans son sommeil. Mais il ne dormait pas : on apprendra plus tard que, échappant à un dispositif de surveillance de la police toulousaine, il était parti revendiquer ses assassinats par l’envoi d’un courrier à la chaîne Al Jazeera et par un appel à France 24.

« Nous progressons de manière silencieuse, comme nous avons l’habitude de le faire dans ce genre d’opérations. » L’équipe est dans le couloir. « Nous procédons à l’ouverture de la porte à l’aide d’un vérin hydraulique, mais immédiatement une main passe par la porte entrouverte et ouvre le feu en notre direction. » Un homme prend deux balles à bout portant, sauvé par son gilet par balles. « Nous nous replions en bas de l’escalier, au niveau de la volée, tout en gardant un œil sur l’ouverture de la porte. »

Mohamed Merah proclame : « Vous avez vu ce que j’ai fait à vos militaires, ce que j’ai fait aux juifs ! » Il continue à tirer sur les policiers, qui, à 3h15, déplorent un premier blessé, atteint au genou. « Nous établissons un dispositif de protection avec un bouclier lourd au niveau de la volée de l’escalier, tandis qu’un autre policier, sous le feu du forcené, est touché au casque et à l’épaule par des éclats de balle ». Deuxième blessé.

« Je ne me rendrai pas, venez tous, je vous prendrai un par un ! »

Le RAID, alors, s’organise. Un appartement est réquisitionné à 6 h du matin, afin d’y établir un « poste de contrôle opérationnel ». Le RAID et le terroriste communiquent de vive voix, Mohamed Merah demande un portable, « je refuse pour ne pas lui laisser la possibilité d’appeler un tiers, dit Amaury de Hauteclocque, et je lui demande de manifester sa bonne volonté par la remise d’une arme, ce qu’il fait en balançant, je crois que c’était un 357 Magnum, par la fenêtre. » Les négociations sont très longues, car Merah a beaucoup de choses à dire. « Il a commencé à faire une espèce de testament politico-religieux. Il a raconté tout son parcours, ses récits étaient absolument incroyables. Il nous a dit avoir été en Afghanistan en touriste, pour se faire capturer par des Talibans et ainsi suivre leur enseignement, puis être passé au Pakistan, où il parvient à entrer en contact avec des hommes d’Al-Qaïda, où il reçoit une formation sur mesure », poursuit le policier.

À une formation aux explosifs, il préfère le maniement des armes, plutôt qu’un attentat au Pakistan ou à Paris, il dit se sentir plus à l’aise dans sa région toulousaine. Puis, on le renvoie chez lui avec l’idée qu’il devra essayer de tuer le plus de Français possible. Dans ses discussions avec le RAID, Mohamed Merah a à cœur de montrer qu’il est réfléchi. « Il fait des phrases construites et justifie ses actions par l’existence d’un conflit préexistant, en faisant des raccourcis géopolitiques », sur la situation en Israël et les interventions occidentales en Afghanistan. Mais le temps passe et l’espoir de l’interpeller vivant s’amenuise. Un voisin l’a entendu crié : « Je ne me rendrai pas, venez tous, je vous prendrai un par un ! » Mohamed Merah a dit aussi : « La mort je la crains pas, je la souhaite », et encore : « J’ai beaucoup étudié le RAID, je suis très fier de vous affronter, je veux mourir les armes à la main ». « Il avait un sentiment de toute puissance, sa foi le poussait à se sentir protégé par Dieu. »

L’immeuble est évacué de ses habitants, le gaz est coupé. Depuis des heures, Merah, réfugié dans la salle de bain, baigne dans 20 cm d’eau – dû aux dégâts causés par les policiers. « La reddition ne viendra pas. » Le terroriste a coupé la radio à 22h45, le 21 mars. « Je donne l’ordre d’ouvrir les volets, et des grenades offensives sont tirées pour faire des ouvertures. » Une derrière rafale du terroriste balaye la rue, puis plus rien. Une partie de la nuit, des grenades de diversion sont tirées dans l’appartement, pour l’empêcher de se reposer, le fragiliser avant l’intervention. Puis, à 10h30, le 22 mars, l’intervention débute. « Ce n’est pas un assaut, il n’y a pas d’otage, notre progression est très lente. » Ils passent un amoncellement de meubles érigés en barricade. À 11h15, ils percent le bloc WC, pour vérifier que Merah ne s’y trouve pas, « ce qui provoque sa réaction immédiate : il sort de la salle de bain et nous tire dessus, se dirige vers la zone du balcon et tire sur les effectifs restés à l’extérieur, il effectue des va-et-vient pendant une à deux minutes », poursuit Amaury de Hauteclocque. « Un troisième opérateur est blessé et tombe du balcon, un quatrième prend une balle, alors qu’il porte secours au blessé », par Mohamed Merah qui a passé le bras par la fenêtre et arrose la chaussée. « Les snipers ont donc opéré un tir létal, qui l’a fait bousculer par dessus le balcon. Il était 11h30 du matin. » Mohamed Merah a été tué de 18 balles.

« Il voulait mourir face aux policiers »

Les avocats de la partie civile n’ont pas de question sur l’intervention en elle-même, mais demande au policier, en quelque sorte de purger les questions qui taraudent leurs clients depuis cinq ans. « Il y a des zones d’ombres », entame une avocate. « A-t-il manifesté sa volonté de contacter quelqu’un en particulier ? », comme son frère Abdelkader, comprend-on. Ce n’est pas le cas.

L’avocate poursuit : « Certains ont avancé la thèse qu’il n’y avait aucune urgence pour intervenir, ou qu’il existait une autre façon de le neutraliser – Oui, les experts ne manquent pas », fait-il remarquer d’un ton à peine agacé. « Jusqu’au bout, je cherche la reddition, en tentant de faire descendre la pression. Mais c’est lui, Mohamed Merah, qui est monté à l’assaut ». Les grenades paralysantes, souvent évoquées ? « Je vais vous décevoir, elles n’existent pas. Mais nous avons des grenades qui par leur souffle ont un effet incapacitant, et elles ont été utilisées, mais ça n’a pas entamé sa détermination ». L’ancien patron du RAID évoque un « suicide cop » : « Il voulait mourir face aux policiers. » Sur questions de l’avocate générale, Amaury de Hauteclocque précise que ce fut la plus longue opération sous son commandement, et celle qui fit le plus de blessés.

Tout ce temps, Abdelkader Merah, qui avait chaussé ses lunettes, a écouté le récit de la mort de son frère avec une attention manifeste. Me Antoine Vey, pour sa défense, a enfin demandé : « A-t-il évoqué un complice ? A-t-il dit avoir partagé ses projets avec quelqu’un ? – Absolument pas », dit le policier, avant de se retirer.