Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Interview

Code de déontologie des avocats aux conseils : entre adaptation et transparence

Pris en application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels, un décret n° 2023-146 du 1er mars 2023 édicte le code de déontologie des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. François Molinié, président de l’ordre, revient sur sa genèse, sa préparation, son contenu et les étapes à venir.

le 17 mars 2023

La rédaction : Quelle a été la genèse du code ?

François Molinié : Les avocats aux conseils sont les premiers professionnels du droit à disposer d’un code de déontologie édicté par le décret du 1er mars pris en application de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Je m’en réjouis. Ce code est l’un des deux piliers de la réforme de la déontologie et à la discipline des officiers ministériels mise en place par l’ordonnance du 13 avril 2022. La réforme s’inspire des recommandations de l’Inspection générale de la Justice dans son rapport d’octobre 2020 consacré à la discipline des professions du droit qui elles-mêmes étaient favorables à des évolutions notamment concernant la procédure disciplinaire qui avait besoin d’être modernisée.

Les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ne découvrent pas la déontologie avec ce code. C’est tout le contraire ! Ils ont toujours été gouvernés par des règles déontologiques particulièrement rigoureuses, largement inspirées de celles que connaissent mes confrères des cours et tribunaux, mais renforcées dans leur portée et complétées dans les domaines qui relèvent du caractère propre de la profession. En 2011, la profession s’était dotée d’un règlement général de déontologie qui regroupait l’ensemble des délibérations du conseil de l’ordre en matière déontologique. Le temps est venu de les faire évoluer à nouveau dans un souci d’adaptation et de transparence.

Le code, qui prendra le relais du règlement général dès le 2 mai prochain, présente plusieurs caractéristiques. Il a d’abord été préparé par la profession. C’est le conseil de l’ordre des avocats aux conseils qui a proposé au garde des Sceaux, ministre de la Justice, un projet de texte complet avec le souci de rendre les règles déontologiques plus accessibles notamment pour les particuliers. Les règles essentielles sont déclinées dans les 65 articles du code de déontologie. Pas de révolution bien sûr mais des évolutions destinées à renforcer la portée et la compréhension des principes et devoirs de la profession.

La rédaction : Quel a été le cheminement du projet de code ?

François Molinié : Une fois le travail préparatoire de la profession achevée, le code qui avait vocation à devenir un décret en Conseil d’État a bénéficié d’un examen attentif par trois acteurs essentiels.

La Chancellerie tout d’abord qui a accompagné l’ordre des avocats aux conseils à toutes les étapes du processus : respect des règles de la légistique, améliorations rédactionnelles, plan d’ensemble, portée des règles, clarification, simplification, compatibilité avec les autres normes … Plusieurs séances de travail ont été organisées pour parvenir au texte le plus conforme à l’intention du législateur. C’est l’occasion pour moi de saluer l’implication déterminante des équipes de la Direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice et en particulier de la sous-direction des professions judiciaires et juridiques pour l’accompagnement constant et constructif de la profession à toutes les étapes de la procédure d’adoption du décret. Le dialogue a été permanent.

Le deuxième acteur est le collège de déontologie placé auprès de la profession. C’est une innovation de la loi confiance dans l’institution judicaire issue d’un amendement déposé par la députée Cécile Untermaier qui avait dirigé une mission parlementaire sur ce thème. Présidé par le président de l’ordre en exercice, ce collège de déontologie est composé de deux avocats aux conseils et de deux personnalités extérieures qualifiées proposées par le vice-président du Conseil d’État et pour la Cour de cassation par le premier président et le procureur général. L’ancien président de la section du contentieux Bernard Stirn et la présidente de chambre Marie-Noëlle Teiller et les anciens présidents de l’ordre Jean Barthélemy et Louis Boré ont ainsi fait bénéficier les travaux du collège d’une expertise assez déterminante qui a contribué à améliorer le projet de code sur plusieurs points en lien avec la spécificité qu’est la représentation devant les juridictions suprêmes.

Enfin, l’Autorité de la concurrence, après un travail interministériel propre à l’édiction d’un décret en Conseil d’État, a été saisi pour avis par le gouvernement. L’exercice était, à ma connaissance, inédit. Pour la première fois, l’Autorité s’est prononcée ex-ante sur un code professionnel d’une profession du droit avant son entrée en vigueur. L’Autorité connait bien la profession et sa déontologie pour avoir déjà rendu trois avis dans le cadre de la loi de 2015 et fait plusieurs recommandations qui ont conduit à plusieurs révisions majeures du règlement général de déontologie, en dernier lieu fin 2020. Dans la mesure où le projet de code reprend pour l’essentiel les règles et principes issus de ce règlement général, l’Autorité était donc en terrain connu. Après une phase d’instruction et de dialogue avec la Chancellerie et la profession, l’avis rendu le 10 février a formulé plusieurs recommandations au gouvernement qui ont contribué à l’amélioration du code notamment sur la communication et l’absence de spécialisation. Je remercie le président Benoît Coeuré pour le dialogue constructif entre l’Autorité ainsi que ses services d’instruction et l’ordre des avocats aux conseils.

La rédaction : Dans cet avis, l’Autorité de la concurrence indique que ses recommandations destinées à préciser la rédaction de certains articles du code ont vocation a être prises en compte dans d’autres textes. Pourriez-vous nous dire lesquels ?

François Molinié : Le souhait du législateur est de voir les professions se doter de codes de déontologie synthétiques et accessibles, aussi courts que possible. Il n’était donc pas question de mettre dans le code des avocats aux conseils l’ensemble des règles professionnelles, ni même leur interprétation. Dans ce code, on trouve donc les principes et devoirs déontologiques essentiels de la profession. C’est le Titre Ier. Ces principes sont ensuite déclinés de façon générale dans les différents compartiments de l’activité professionnelle de l’avocat aux conseils (indépendance, secret professionnel, conflits d’intérêts, relations avec les juridictions, les clients, nos confrères des barreaux, l’exigence de qualité, le domicile professionnel, la communication…).

Le code sera complété dans les prochaines semaines par un règlement professionnel. Prévu par l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817, ce règlement aura pour objet de préciser « les règles professionnelles propres à assurer le respect [du code de déontologie] ». Il contiendra les règles les plus techniques ou accessoires. Le code, ce sont donc les règles qui sont tournées « vers l’extérieur ». Le règlement professionnel contiendra des règles qui concernent davantage les relations internes de la profession. Chacun de ces deux textes a son rôle et son utilité.

Pour assurer la cohérence d’ensemble, le règlement a été préparé par la profession en parallèle du projet de code et a bénéficié des recommandations du collège de déontologie. Spécificité des avocats aux conseils découlant du principe essentiel d’indépendance, ce règlement professionnel est une compétence en propre du conseil de l’ordre. Il n’est pas édicté par arrêté. Cette répartition des compétences entre l’État pour le code et l’ordre pour les règles d’application est une spécificité importante. Un barreau d’avocats doit conserver une compétence en propre en matière de déontologie.

Votre question est aussi l’occasion pour moi de rappeler qu’un code de déontologie ne peut pas tout prévoir ou tout anticiper. Il doit fixer les règles essentielles et les décliner avec suffisamment de précision pour que ses différents destinataires puissent la comprendre et la mettre en œuvre facilement. La déontologie est vivante. Ce qui fait la force d’une règle déontologique bien faite est surtout sa capacité d’adaptation permanente aux situations rencontrées et à l’évolution des pratiques professionnelles.

La rédaction : Avez-vous prévu de compléter le code et le règlement professionnel ?

François Molinié : Certaines questions récurrentes sont posées par les confrères par exemple en matière de communication sur les sites internet. J’ai donc décidé de saisir régulièrement le collège de déontologie de la profession. L’objectif est de lui demander d’émettre des avis sous la forme de droit souple et donc de lignes directrices concrètes sur ces sujets. Ces avis seront ensuite diffusés à l’ensemble des confrères par voie électronique et seront publiés sur les sites intranet mais aussi sur le site public de l’ordre. Tout sera donc fait pour favoriser la compréhension des règles déontologiques. Le collège se réunira dès le mois d’avril prochain et déterminera les thèmes prioritaires. Les premiers avis sont attendus dès cette année.

La rédaction : Le nouveau régime de la discipline voulu par le législateur est-il en place pour les avocats aux conseils ?

François Molinié : L’aspect discipline est en place depuis l’été 2022. Le service d’enquête et la juridiction disciplinaire échevinée sont désormais opérationnels ainsi que les mécanismes infra-disciplinaires permettant de faire cesser d’éventuels manquements avant l’engagement de poursuites. Vous savez que l’une des principales innovations de la loi du 22 décembre 2021 est le traitement systématique des réclamations. Le secrétariat général de l’ordre a mis en place les procédures prévues par les textes et notamment la procédure de conciliation qui a déjà donné des résultats positifs dans plusieurs dossiers.

Cette réforme majeure est aussi pour moi l’occasion d’évoquer un point d’attention. Tout ne doit pas devenir disciplinaire ! L’existence d’une réclamation fondée sur la méconnaissance de tel ou tel article du code de déontologie ne doit surtout pas impliquer mécaniquement une mise en cause disciplinaire. En tant qu’autorité désignée par la loi pour recevoir et instruire ces réclamations, je m’efforce d’orienter l’auteur d’une plainte dans la bonne direction. Ma boussole est la suivante. S’il s’agit d’une question relative aux honoraires, je propose au justiciable de s’adresser au médiateur de la consommation de la profession qui trouve une solution dans la quasi-totalité des situations rencontrées. S’il s’agit de reproches liés à la conduite d’un procès qui s’est mal terminé devant les Hautes juridictions et qui peut nécessiter une indemnisation en cas de faute, je privilégie la voie de l’action en responsabilité civile professionnelle. Le conseil de l’ordre émet un avis sur la responsabilité civile du confrère et propose, le cas échéant, une indemnisation. Là aussi, dans la grande majorité des cas, l’avis est accepté par le justiciable et ne donne ensuite pas lieu à un contentieux devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État.

Le traitement des réclamations est donc adapté et je veille, sous le contrôle de notre juridiction disciplinaire, à orienter les justiciables. L’action disciplinaire n’a pas vocation à devenir l’alpha et l’omega de la mise en cause d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. C’est un point essentiel sur lequel il conviendra de faire beaucoup de pédagogie.

 

Propos recueillis par Laurent Dargent, rédacteur en chef

François Molinié

François Molinié est président de l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation