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Interview

Comment nos Parlements ont fait face à la crise sanitaire

La Fondation Robert Schuman, en partenariat avec un réseau d’universitaires, a publié une étude sur l’impact de la crise sanitaire sur le fonctionnement des parlements en Europe, sous la direction d’Emmanuel Cartier, de Basile Ridard et de Gilles Toulemonde. Nous avons pu interroger Gilles Toulemonde. Si le Parlement français a fait face, il est moins armé que d’autres pour exercer ses missions de contrôle.

le 18 janvier 2021

La rédaction : Comment notre Parlement a-t-il vécu le choc du confinement en mars dernier ?

Gilles Toulemonde : Assez mal. D’autant que l’Assemblée était devenue un cluster de l’épidémie et qu’elle avait suspendu ses travaux pour les municipales. Il a fallu reconvoquer les parlementaires et tenir compte de ce cluster. Il y avait la nécessité de prendre des mesures législatives d’urgence, ce qui a rendu les choses très complexes.

Mais pour ce premier train de mesure, cela ne s’est pas forcément mieux passé ailleurs. Les mécanismes d’urgence étaient souvent inadaptés à cette pandémie. Pour y répondre, chaque pays s’est appuyé sur des solutions préexistantes, qui souvent échappaient au Parlement. Et la plupart ont alors légiféré dans l’urgence. S’il a fallu cinq jours pour notre loi du 23 mars (Dalloz actualité, 23 mars 2020, art. P. Januel), il en fallu deux en Roumanie, trois en Allemagne et six au Royaume-Uni, pour le Coronavirus Act qui fait 329 pages.

La rédaction : Le Parlement français a ensuite peu siégé. Comme cela s’est passé ailleurs ?

Gilles Toulemonde : En France, comme d’ailleurs en Italie ou en Espagne, il y a une délégation législative considérable. Le Parlement a donc peu siégé et adopté peu de texte. Dans d’autres pays, le Parlement a maintenu une activité législative beaucoup plus forte, notamment en Allemagne ou en Lettonie.

Le Parlement Letton est d’ailleurs un exemple intéressant : il a d’abord fermé pendant un mois mais il s’est adapté pour pouvoir travailler en distance. Il a notamment mis en place des procédures de vote à distance, comme très peu de Parlement l’ont fait (Bulgarie, Parlement européen). Ils ont aussi mis en place un système de séance intégralement à distance, via une plateforme. Notons que beaucoup de pays ont toutefois mis en place des systèmes hybrides, distanciel/présentiel, chaque pays ayant sa propre plateforme.

La rédaction : Qu’en est-il des pouvoirs de contrôle ?

Gilles Toulemonde : Sur le contrôle des délégations législatives opérées, la France n’est pas la plus performante : le gouvernement n’a que l’obligation de déposer un projet de loi de ratification, alors qu’en Espagne ou en Italie, il faut une véritable ratification.

Le contrôle passe aussi par la présence des parlementaires. Tous les Parlements ont dû abaisser leur jauge. Dans certains États, elle était proportionnelle. En France, au départ, il a été fait le choix d’avoir trois députés par groupe. Cela présumait une unité des groupes et a fait que le président de groupe majoritaire avait, à lui seul, la majorité dans l’hémicycle. Nous avons eu des séances de questions au gouvernement qui étaient des parodies de contrôle. La jauge trop stricte a fait perdre du sérieux et de l’intensité au contrôle parlementaire.

Enfin, le contrôle passe par des outils spécifiques. En 2015, au déclenchement de l’état d’urgence, la commission des lois s’était dotée immédiatement des pouvoirs d’une commission d’enquête et faisait un suivi quotidien des mesures. Ce n’est pas ce qui s’est passé ici et le contrôle n’a pas été aussi approfondi. Au Sénat, les choses ont été différentes. Chaque commission a fait un suivi spécifique : cette diversification thématique a permis d’aller un plus loin dans le contrôle.

La rédaction : Les choses ont-elles évoluées avec le temps ?

Gilles Toulemonde : Le Parlement a compris l’erreur d’une limitation aussi drastique du nombre de parlementaires. Mais je ne vois pas beaucoup d’évolution dans le contrôle. En France, il est vu un peu comme un crime de lèse-majesté, et non comme l’évaluation des politiques publiques. D’où la difficulté de travailler sur le manque de masque ou la stratégie vaccinale.

La logique majoritaire pénalise le contrôle. Quand une coalition est au pouvoir, il y a beaucoup plus de négociations entre les organes, ce qui favorise le contrôle. Il faudrait peut-être qu’en France, en cas de déclenchement d’un état de crise, les commissions permanentes soient automatiquement dotées des pouvoirs d’enquête : cela favoriserait l’idée même du contrôle.

 

 

Propos recueilli par Pierre Januel

Gilles Toulemonde

Gilles Toulemonde est Maître de conférences en droit public à l'Université de Lille