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Interview

« Plus de 50 % des avocats aux Conseils ont prêté serment depuis moins de 15 ans » - Entretien avec Maître François Molinié

Notre environnement juridique connaît de profondes mutations. De même, les professions juridiques et judiciaires sont en pleine transformation. L’automatisation, l’accès facilité à l’information, les outils de communication en ligne et l’intelligence artificielle bouleversent leur quotidien. Percevoir ces changements comme une menace ou une opportunité dépendra de la façon dont les juristes les abordent et s’y adaptent. Pour nous aider à mieux comprendre ces évolutions et leurs implications, sur les professionnels du droit en général, et la profession d’avocat en particulier, Krys Pagani, avocat, co-pilote du Comité stratégique avocats Lefebvre Dalloz et co-créateur du Cercle K2, nous propose une série de grands entretiens avec des universitaires, avocats, magistrats, notaires, administrateurs et mandataires judiciaires, commissaires de justice, experts comptables, … qui ont démontré au cours de leur carrière professionnelle une forte capacité d’anticipation et d’adaptation pour naviguer avec succès dans des univers complexes et incertains.

le 15 novembre 2023

Cette série d’entretiens est réalisée en partenariat avec le Comité stratégique avocats Lefebvre Dalloz

 

Me François Molinié est avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Ancien premier secrétaire de la conférence du stage des avocats aux Conseils, il est, jusqu’à la fin de l’année, le président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Il est également vice-président de la Société de législation comparée. De 2020 à 2021, il a été membre de la Commission de réflexion sur la « Cour de cassation 2030 ».

 

Krys Pagani : L’activité de l’avocat aux Conseils a cette particularité de le placer au cœur de la fabrique de la jurisprudence et ainsi d’en faire tout à la fois un acteur et un observateur privilégié. Quelles sont pour vous les principaux mouvements à l’œuvre dans la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation ; des tendances lourdes se dégagent-elles tant dans la méthode que dans les solutions adoptées ?

François Molinié : La jurisprudence n’est pas figée. Elle évolue au gré de l’inflation assez spectaculaire des normes et du droit souple qui irrigue désormais toutes les branches du droit. Le renforcement des droits fondamentaux et des contrôles, notamment de conventionnalité et de constitutionnalité, crée un contexte favorable à des évolutions, voire des revirements de jurisprudence.

Comme vous le savez, l’essentiel des questions préjudicielles et des questions prioritaires de constitutionnalité sont imaginées à l’occasion de pourvois formés devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Toutes ces évolutions s’inscrivent également dans le cadre de réformes très importantes comme le passage en style direct et la motivation enrichie ou développée qui permettent aux juges de cassation de mieux révéler le sens et la portée de leurs décisions. Si le nombre de pourvois devant les juridictions suprêmes françaises baisse structurellement, j’observe que les dossiers sont souvent complexes et nécessitent des instructions approfondies. Il suffit de lire les nouvelles lettres des différentes chambres de la Cour de cassation ou bien encore la revue de l’actualité de la jurisprudence du Conseil d’État ainsi que son rapport annuel pour mesurer l’intensité des contrôles exercés et les nombreuses évolutions de jurisprudence, par exemple le développement du contrôle dynamique du juge administratif de l’excès de pouvoir.

Krys Pagani : Le positionnement particulier des avocats aux Conseils les amène-t-ils à être sollicités par les pouvoirs publics dans le cadre de projets de réforme ?

François Molinié : La vision transversale que peuvent avoir les avocats aux conseils conduit les pouvoirs publics (Chancellerie, Parlement …) à interroger fréquemment l’Ordre sur certains projets de réforme. Et pas seulement sur celles qui peuvent concerner la profession et les procédures devant les juridictions suprêmes mais aussi les réformes sur le fond du droit.

À titre d’illustration, nous avons récemment été interrogés sur la possibilité de créer un code du droit international privé ou bien encore sur l’audience de règlement amiable et la césure du procès devant les juridictions du fond.

Krys Pagani : On constate ces dernières années une augmentation du nombre d’arrêts dans lesquels les questions de conformité du droit national aux droits européen et international sont centrales. Comment cette évolution se traduit-elle dans votre pratique professionnelle ?

François Molinié : C’est exact. Nos pourvois invitent souvent le juge de cassation à exercer un contrôle de conventionnalité au regard notamment du droit de l’Union européenne. Cette évolution est normale. D’une part, le droit de l’Union irrigue l’ensemble des branches du droit. Certaines sont fortement « communautarisées », d’autre part, nos juridictions suprêmes sont les premiers juges du droit de l’Union et nous ne nous privons pas dans nos mémoires de le rappeler pour les inviter à faire application du droit européen. Nous n’hésitons pas non plus à suggérer un renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne lorsqu’une difficulté d’interprétation pourrait conduire le juge de cassation à s’adresser à la Cour de Luxembourg. Il n’est d’ailleurs pas rare que nous intervenions devant la Cour de justice. Une fois que la Cour s’est prononcée, il reste à tirer les conséquences de sa décision devant le juge de cassation. Tout dépend de la précision de la réponse du juge européen.

Krys Pagani : Au-delà, la connaissance des droits étrangers, le droit comparé ont-ils leur importance dans l’exercice même de la profession ?

François Molinié : Absolument. Lorsque le pourvoi en cassation le justifie, nos mémoires contiennent des développements de droit comparé. Nous présentons les législations étrangères et citons les décisions pertinentes de juridictions suprêmes.

Lorsque la chambre sociale de la Cour de cassation a examiné pour la première fois la question des conditions de la requalification en contrat de travail du lien unissant une plateforme numérique à ses livreurs, il a fallu s’interroger sur le point de savoir si le sujet était ou non inédit dans la jurisprudence d’autres cours étrangères.

Krys Pagani : Vous avez fait partie de la Commission « Cour de cassation 2030 », sous la direction d’André Potocki. L’ambition de cette Commission était d’anticiper les changements à venir pour la Cour tout en optimisant son efficacité. Vous avez à ce titre publié un rapport en juillet 2021 dans lequel figurent trente-sept propositions concrètes. Pouvez-vous nous dire quelles en ont été les principales conclusions ?

François Molinié : Je crois que la boussole de la Commission a été de ne pas tenter de porter atteinte à l’ADN de notre Cour de cassation mais de réfléchir à tout ce qui pourrait être fait pour en renforcer la légitimité.

Certaines recommandations sont relatives à la confiance dans le processus d’élaboration des décisions : développement de la motivation enrichie, publication plus systématique des travaux préparatoires, audiences filmées, interactivité, mise en place de circuits différenciés permettant de traiter rapidement les dossiers simples, instruction approfondie pour les dossiers plus complexes.

Certaines propositions s’adressent aux magistrats de la Cour (dialogue des juges, équipe autour du juge…) mais aussi aux avocats aux Conseils. Je songe notamment au circuit court qui peut conduire la Cour de cassation à rendre une décision non motivée. Le rapport invite les avocats aux Conseils à être particulièrement vigilants sur deux points principaux. Le premier est relatif à l’information du justiciable qui doit pouvoir comprendre les raisons pour lesquelles la Cour de cassation envisage dans son affaire un rejet non spécialement motivé. Le second est relatif à la faculté reconnue aux avocats aux Conseils de contester, par des observations écrites, l’orientation du dossier vers une formation de jugement en vue d’un rejet non motivé.

Le rapport comporte d’autres propositions importantes mais ce que je tiens à souligner c’est que plusieurs d’entre elles ont d’ores et déjà été mises en œuvre depuis la remise du rapport. Certaines impliquent le barreau de la Cour de cassation.

Plusieurs chantiers sont en cours, notamment en ce qui concerne la présentation et la structuration de nos mémoires ou bien encore la refonte majeure de la communication électronique entre la Cour de cassation et les cabinets d’avocats aux Conseils. Nous y travaillons activement avec une équipe très motivée dirigée par mon confrère Géraud Mégret.

Krys Pagani : Nous observons que de certains clients s’interrogent sur la nécessité de mandater un avocat aux Conseils lorsque leur client est défendeur au pourvoi devant la Cour de cassation, en particulier quand l’enjeu du litige est faible. Comment évaluez-vous l’importance et l’impact de recourir à un avocat aux Conseils ? Quels conseils donneriez-vous à un client ou à un confrère qui pèse les bénéfices et les contraintes d’une telle décision ?

François Molinié : Le défendeur au pourvoi n’est jamais tenu de constituer un avocat aux Conseils. Il est libre de ne se pas se manifester dans le procès de cassation mais il prend le risque de voir la Cour de cassation statuer au vu des seuls arguments du demandeur au pourvoi. Il convient également de rappeler que, même dans l’hypothèse d’une orientation du pourvoi vers un circuit court dans le cadre de la réforme récente des méthodes de travail à la Cour de cassation, la procédure est toujours contradictoire. Le mémoire en défense est utile au travail d’instruction du conseiller rapporteur qui en fait état dans son rapport ainsi que de l’avocat général.

En pratique, l’avocat aux Conseils est souvent saisi dès la formation du pourvoi mais il peut l’être également au stade du dépôt du mémoire ampliatif adverse. Dans cette dernière hypothèse, il ne faut pas hésiter trop longtemps car le délai de remise du mémoire en défense a commencé à courir et les deux mois passent rapidement.

Dans tous les cas, l’avocat à la Cour de cassation donnera son avis sur l’éventuel risque de cassation, avec ou sans renvoi.

Krys Pagani : Certains confrères se demandent aussi s’il est préférable de faire appel à des avocats aux Conseils spécialisés dans le domaine concerné par l’affaire.

François Molinié : La particularité des avocats aux Conseils est d’être pluridisciplinaire. Ils sont les spécialistes du contrôle de légalité qui s’exerce devant le Conseil d’État et à la Cour de cassation et qui mobilise le droit constitutionnel, le droit interne, le droit de l’Union européenne et les droits fondamentaux issus de la Convention européenne des droits de l’homme. L’ADN de la profession est la transversalité. Ils sont spécialistes des formes du procès devant les juges de cassation et peuvent intervenir en droit privé, en droit pénal et en droit public. Ils ont été formés à cette pratique décloisonnée du droit particulièrement adaptée à l’instruction des affaires devant nos juridictions suprêmes, spécialement dans le contexte de l’hybridation du droit, du développement des droits fondamentaux, de la mise en œuvre des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité ou bien encore de l’acclimatation en droit français du contrôle de proportionnalité. Je suis persuadé qu’à côté des juristes hyperspécialisés, il est utile d’avoir des praticiens avec une focale plus large.

Nous sommes d’ailleurs souvent sollicités par nos confrères des barreaux pour ce regard transversal qui apporte un supplément de réflexion par la comparaison interne, européenne ou de droit comparé. Si les avocats aux Conseils sont donc des généralistes du droit, cela n’empêche pas mes consœurs et confrères d’intervenir plus fréquemment dans tel ou tel domaine du droit.

Krys Pagani : Dans le traitement des pourvois en cassation, quel est selon vous le bon équilibre des rôles entre l’avocat qui a suivi le dossier devant la cour d’appel et l’avocat aux Conseils ?

François Molinié : À plusieurs moments clés de la vie d’un dossier en cassation devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, l’avocat à la cour, l’avocat aux Conseils et leur client sont amenés à échanger de façon étroite. À l’ouverture du dossier, une fois la décision rendue par la cour d’appel, l’avocat à la cour qui a suivi le dossier fait part de son sentiment sur l’arrêt et plus généralement la procédure, appelle l’attention sur les difficultés de l’affaire et interroge l’avocat aux Conseils sur la possibilité de soutenir telle ou telle critique devant le juge de cassation.

À l’issue de l’examen des chances de succès du pourvoi par l’avocat aux Conseils, c’est l’heure de vérité. Le pourvoi mérite-t-il d’être soutenu devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation ? La question n’est pas toujours simple à trancher notamment lorsque les problèmes juridiques suscitent des controverses doctrinales ou bien encore des réponses en sens opposé par les juridictions du fond. De ce point de vue, l’open data des arrêts de cour d’appel permettra davantage d’appeler l’attention des juridictions suprêmes sur des divergences de jurisprudence au niveau des cours d’appel. Si le pourvoi mérite d’être soutenu, il appartient à l’avocat aux Conseils de définir le périmètre des critiques utiles. Il le fait en échangeant avec son correspondant et son client avec le souci de ne pas soulever de critiques vouées à un rejet certain mais aussi celui de ne pas passer à côté d’un moyen de cassation qui pourrait conduire à une cassation. Ce n’est pas une science exacte ! De nouveaux échanges ont lieu au moment du dépôt du rapport du conseiller-rapporteur ainsi que de l’avis de l’avocat général qui sont transmis au client et à son avocat.

Ces actes préparatoires de la procédure sont commentés et de temps en temps donnent lieu à des observations complémentaires, notamment lorsqu’il s’agit de contester l’orientation d’un dossier vers un circuit court pouvant conduire à un rejet non spécialement motivé. L’utilité de ces nouvelles écritures fait, elle aussi, l’objet d’une concertation. Il en est de même pour l’orientation en non-admission d’un pourvoi formé devant le Conseil d’État.

Enfin, lorsque l’arrêt du juge de cassation est rendu, il s’agit de le comprendre ensemble et d’en apprécier la portée. L’avocat aux Conseils doit à ses clients et correspondants les explications utiles sur le sens de la décision, l’opportunité de saisir ou non la cour d’appel de renvoi ainsi que sur la marge de manœuvre dont les parties disposent devant la juridiction d’appel. On le voit, les échanges sont nombreux entre l’avocat aux Conseils et son correspondant avocat à la cour.

Krys Pagani : Comment la profession d’avocat aux Conseils a-t-elle évolué au cours des dernières années ? Quels changements anticipez-vous à l’avenir ?

François Molinié : Avant d’évoquer les évolutions récentes, je souhaite dire que la profession d’avocats aux Conseils est restée fidèle à ses fondamentaux. Non seulement la transversalité que j’ai précédemment évoquée mais aussi son office. Les avocats aux Conseils sont des spécialistes du contrôle de légalité. Ils sont centrés sur cet office qui consiste à conseiller, assister et représenter les justiciables devant le Conseil d’État et la Cour de cassation.

Au cours des dernières années, la profession s’est modernisée, notamment avec le renforcement de notre Institut de formation (l’IFRAC), qui forme les futurs avocats aux Conseils. Désormais dirigé par la professeure Cécile Chainais, il forme à la technique de cassation approfondie mais aussi à l’ensemble des procédures dans lesquelles l’expertise des avocats aux Conseils peut être recherchée (question prioritaire de constitutionnalité, question préjudicielle…). La profession s’est aussi beaucoup rajeunie. Plus de 50 % des avocats aux Conseils ont prêté serment depuis moins de quinze ans. Leur nombre a augmenté puisque nous sommes désormais 132 exerçant dans 70 offices. La féminisation de la profession se poursuit. Les avocats aux Conseils répondent à un besoin, celui des justiciables et de nos juridictions suprêmes d’avoir des avocats tout à la fois spécialisés dans les formes du procès de cassation mais généralistes du droit, aptes à sélectionner les pourvois, structurer des écritures de qualité et contribuer au bon fonctionnement de nos deux Hautes juridictions.

Krys Pagani : Utilisez-vous des outils numériques ou de l’intelligence artificielle pour améliorer votre pratique ? La profession s’organise-t-elle de ce point de vue ?

François Molinié : Dans le monde des juristes, ce sont des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui ont les premiers bénéficier de la numérisation des décisions de justice. Légifrance a été créé en 1998 et dès le début des années 2000 a mis à disposition l’open data des arrêts du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Si nous sommes habitués depuis longtemps à la recherche en texte intégral, nous ne négligeons pas la recherche par mot-clé du Lebon ou du Bulletin désormais électroniques.

Un bon juriste c’est d’abord et avant tout celui qui sait qualifier juridiquement son problème. La recherche du précédent n’est pas l’alpha et l’oméga de l’avocat aux Conseils qui sait que devant le juge du droit, l’interprétation de la règle peut évoluer à la faveur de considérations sur lesquelles l’approche statistique ou bien encore l’intelligence artificielle ont une prise très limitée aujourd’hui. Si l’intelligence artificielle permet, dans une certaine mesure, d’opérer des classements, des recoupements ou bien encore de faciliter des orientations dans des circuits procéduraux, elle ne sait pas rédiger un moyen de cassation ou un arrêt ! Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’intéresser à ces nouvelles technologies. Bien au contraire, et l’ordre est attentif et impliqué. J’ai cru comprendre que nos mémoires très structurés sont un terrain privilégié d’entrainement pour ces nouveaux outils. À suivre donc.

Krys Pagani : Le décret n° 2023-146 du 1er mars 2023 a introduit le code de déontologie des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. En quoi ce code était-il important pour vous et que va t-il changer dans votre exercice ?

François Molinié : Ce code de déontologie a été voulu par le législateur. Il s’agit de la mise en œuvre de la réforme majeure de la déontologie et de la discipline des officiers ministériels décidée par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Il va de soi que les avocats aux Conseils n’ont pas découvert la déontologie avec cette réforme qui est l’aboutissement d’une réflexion commune entre le ministère de la Justice et l’ensemble des professions concernées.

L’une des grandes nouveautés est effectivement la publication d’un code de déontologie préparé par la profession mais édicté par décret en Conseil d’État. Ce code prend la suite du règlement général de déontologie des avocats aux Conseils édité en 2010 par le conseil de l’Ordre.

Pour répondre à votre question, l’édiction de ce code par un décret en Conseil d’État permet de donner à nos règles déontologiques une meilleure visibilité notamment pour le justiciable. Le code est donc de nature à renforcer la confiance dans le sérieux des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. S’il ne va pas bouleverser notre exercice professionnel, il me semble possible de discerner deux évolutions. Une meilleure connaissance par le public des règles déontologiques spécifiques de la profession et notamment de notre mission fondamentale qui consiste à conseiller les justiciables sur les chances de succès des pourvois qu’ils envisagent de formaliser et que nous appelons l’obligation de « déconseil ».

La seconde évolution est relative à l’encadrement procédural, là aussi voulu par le législateur, qui permet aux justiciables d’adresser des réclamations. Il y a d’ailleurs un enjeu pour le président de l’Ordre qui doit s’efforcer d’orienter l’auteur d’une réclamation dans la bonne direction. Tout ne doit pas devenir disciplinaire. S’il s’agit d’une question relative aux honoraires, le justiciable doit pouvoir s’adresser au médiateur de la consommation qui trouve une solution dans la quasi-totalité des situations rencontrées. S’il s’agit de reproches liés à la conduite d’un procès qui s’est mal terminé devant les Hautes juridictions et qui peut nécessiter une indemnisation en cas de faute, la voie de l’action en responsabilité civile professionnelle doit être privilégiée. Le traitement des réclamations doit être adapté et le président de l’Ordre, sous le contrôle de la nouvelle juridiction disciplinaire, doit s’efforcer d’orienter les justiciables dans la bonne direction. L’action disciplinaire n’a pas vocation à devenir l’alpha et l’oméga de la mise en cause d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. C’est un point essentiel sur lequel je souhaite faire beaucoup de pédagogie.

Krys Pagani : Dans son dernier avis du 7 avril 2023, l’Autorité de la concurrence a encore recommandé la création de deux nouveaux offices d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Que pensez-vous de ces préconisations d’évolution du nombre des offices ?

François Molinié : Depuis l’entrée en vigueur de la loi croissance, l’Autorité de la concurrence a déjà rendu quatre avis qui ont permis la création de onze offices d’avocats aux Conseils supplémentaires sur une période de moins de dix ans. Je crois que l’objectif poursuivi par cette loi est atteint. Permettre à tous les titulaires de notre certificat d’aptitude à la profession d’avocats aux Conseils de rentrer dans la profession au moment où ils le souhaitent. Il n’y a pas de problème d’accès des jeunes à la profession.

Le garde des Sceaux en a fait le constat dans son dernier arrêté puisqu’il a créé un seul office supplémentaire en considération de la baisse structurelle des pourvois devant nos juridictions suprêmes, du nombre désormais limité de candidats en attente d’une opportunité pour embrasser la profession et de la nécessité de favoriser le renouvellement des générations ainsi que la possibilité pour les nouvelles structures d’accueillir de nouveaux confrères et consœurs. Ces structures doivent pouvoir se développer.

J’ajoute enfin que se pose désormais la question de la périodicité du cycle d’examen de la profession. Je suis convaincu que nous sommes passés dans une seconde phase où il n’est plus nécessaire de voir l’Autorité se prononcer impérativement tous les deux ans. Nous avons fait des propositions très concrètes en ce sens et l’Autorité en dit quelques mots dans son dernier avis.

Krys Pagani : Vous êtes à la tête du Haut conseil des professions du droit (HCPD) qui a été fondé en 2010 dans la continuité des recommandations du rapport de notre confrère Jean-Michel Darrois remis au président de la République, Nicolas Sarkozy, sur « les professions du droit ». Pouvez-vous nous dire quel est le rôle et les sujets traités par ce Conseil ?

François Molinié : Le Haut conseil des professions du droit a été créé en 2010 à la suite du rapport remis au président de la République par le groupe présidé par Jean-Michel Darrois. Ce rapport préconisait la création d’un espace commun aux professions du droit leur permettant de structurer une coopération et une réflexion en commun. La structure a regroupé, dans un premier temps l’Ordre des avocats aux Conseils, la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires, la Chambre nationale des huissiers de justice, la Conférence des bâtonniers, le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, les greffiers des tribunaux de commerce et les notaires. Il s’est élargi cette année puisqu’il regroupe toutes les professions du droit. Il intègre désormais le Conseil national des barreaux, la Chambre nationale des commissaires de justice, et le Barreau de Paris. La famille est au complet !

Le Haut conseil travaille sur deux grands axes cette année : la mise en œuvre de la réforme de la déontologie et de la discipline de la loi du 22 décembre 2021 ainsi que les travaux liés à la mise en œuvre de l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées. Il se réunit périodiquement en assemblée générale.

Krys Pagani : Que pensez-vous de la grande profession du droit que certains appellent de leurs vœux ?

François Molinié : Je crois que le sujet est aujourd’hui celui de la coopération et des synergies entre les professions au bénéfice des clients. Chaque profession, chaque service rendu au consommateur a ses spécificités. L’Ordre des avocats aux Conseils a d’ailleurs travaillé avec les autres professions à l’élaboration d’un guide pratique sur ce thème.

J’observe enfin que l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées consacre cette approche. 

François Molinié

Me François Molinié est président de l'ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.