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Interview

Saisies et confiscations pénales : un droit encore en construction

À l’occasion de la sortie de la troisème édition de son ouvrage Droit et pratique des saisies et confiscations pénales aux éditions Dalloz, Lionel Ascensi, conseiller référendaire à la chambre criminelle de la Cour de cassation, revient, pour Dalloz actualité, sur les évolutions passées et à venir de la matière.

le 22 septembre 2023

La rédaction : La troisième édition du Droit et pratique des saisies et confiscations pénales vient de paraître. Quelles ont été les évolutions les plus notables depuis la précédente édition ?

Lionel Ascensi : À vrai dire les évolutions ont été nombreuses, car la matière est encore en construction. Si l’on pourrait évoquer le développement croissant de la saisie des actifs numériques, sans doute l’évolution la plus marquante pour les juridictions réside-t-elle dans l’instauration, pour les tiers propriétaires des biens confiscables, de davantage de droits lors de l’audience de jugement, par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 qui a ajouté à l’article 131-21 du code pénal un nouvel alinéa disposant qu’en principe, lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels toute personne autre que le condamné dispose d’un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si cette personne dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n’a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu’elle revendique et sa bonne foi. C’est une évolution très importante, non seulement parce qu’elle était très attendue par les praticiens, mais aussi car elle était nécessaire pour mettre le droit français en conformité avec le droit de l’Union européenne et le droit européen des droits de l’homme. Il faut songer que, jusqu’à ce texte, les « droits du propriétaire de bonne foi » faisaient obstacle à la confiscation des biens étant à la libre disposition de la personne condamnée – c’est-à-dire des biens dont il était le propriétaire économique réel. Pour autant, cette protection des intérêts des tiers propriétaires sur le fond du droit n’avait aucune traduction procédurale : la confiscation d’un bien appartenant à un tiers non condamné ni même poursuivi pénalement pouvait fort bien être prononcée, sans que l’intéressé ne soit entendu ni appelé… Cette anomalie avait donc conduit la chambre criminelle à lui reconnaître la faculté de saisir le juge pénal d’une requête en difficulté d’exécution afin que soit rétabli, mais alors a posteriori seulement, le caractère contradictoire de la procédure (Crim. 20 mai 2015, n° 14-81.741 P, D. 2015. 1210 ; AJ pénal 2015. 441, obs. L. Ascensi  ; 4 nov. 2021, n° 21-80.487). Cet état du droit paraissait difficilement admissible, et en tous les cas il était assurément contraire à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 21 oct. 2021, aff. C-845/19 et C-863/19, D. 2021. 1965 ), ainsi qu’à celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 16 avr. 2019, n° 27879/13 ; 10 avr. 2012, n° 20496/02), dont il ressort en substance que les personnes dont les biens sont susceptibles d’être confisqués doivent se voir conférer le statut de partie au procès dans le cadre duquel la confiscation peut être ordonnée. C’est dans ce contexte que, courant 2021, la chambre criminelle a évidemment transmis au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité qui ont conduit à l’abrogation de l’essentiel des dispositions de l’article 131-21 du code pénal, en ce que ce texte ne prévoyait aucune disposition procédurale pour les tiers propriétaires des biens confiscables, et provoqué l’adoption de cet aspect de la loi du 22 décembre 2021 (Cons. const. 23 avr. 2021, n° 2021-899 QPC, D. 2021. 801 ; ibid. 1509, obs. Y. Strickler et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2109, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire  ; 23 sept. 2021, n° 2021-932 QPC, AJDA 2022. 39 , note J. Roux ; D. 2021. 1721 ; ibid. 2109, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ fam. 2021. 514, obs. L. Mary  ; 24 nov. 2021, n° 2021-949/950 QPC, AJ fam. 2022. 6, obs. L. Mary ; D. 2022. 528, obs. M. Douchy-Oudot ).

Il reste que les dispositions législatives qui ont été ainsi adoptées étaient en-deçà de ce qui aurait été souhaitable. Outre le fait qu’il est en soi surprenant que l’essentiel des droits dont sont désormais titulaires les tiers propriétaires des biens confiscables figurent non pas dans la loi, mais dans les dispositions réglementaires des articles D. 45-1-4 et D. 45-2-1 du code de procédure pénale issues du décret n° 2021-1794 du 23 décembre 2021, l’on peut surtout regretter le caractère insuffisant des droits reconnus aux intéressés, en particulier l’absence de droit de recours, comme cela avait pourtant été suggéré par la chambre criminelle dans ses décisions de transmission des questions prioritaires de constitutionnalité. L’autorité réglementaire s’est en effet bornée à prévoir que l’intéressé peut, lorsque confiscation est définitive, solliciter la restitution du bien en application de l’article 710 du code de procédure pénale, conformément à la jurisprudence de la chambre criminelle qui a admis depuis quelques années déjà cet usage du texte. La...

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Lionel Ascensi

Docteur en droit, Lionel Ascensi est magistrat et actuellement conseiller référendaire à la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il est par ailleurs professeur associé à l'Université d'Angers, où il est membre du Centre Jean-Bodin Recherche juridique et politique (UPRES EA 4337).