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Le droit en débats

La réforme territoriale, acte II, scène 1 : la querelle des anciens et des modernes

Par Guillaume Protière le 12 Juillet 2013

Trente et un ans après la réforme Deferre, la gauche gouvernementale se confronte à nouveau à la réforme territoriale (elle semble en effet avoir abandonné la décentralisation…). Forte, contrairement à 1982, de la majorité au Sénat, on pouvait s’attendre à une réforme d’ampleur, cohérente et novatrice. Las, les espoirs semblent s’être évanouis dès le premier examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles par le Sénat (dont le conservatisme n’est décidément jamais aussi fort qu’en matière territoriale), d’aucuns évoquant déjà un « acte manqué » (La Tribune, 10 avr. 2013). Sans aller aussi loin (la procédure législative est encore longue), la réforme en cours se heurte, sans parvenir à les surmonter, aux deux écueils classiques rencontrés par les réformes territoriales en France : l’impossibilité de réformer la structure institutionnelle territoriale et son corollaire, la difficulté d’affirmer des principes clairs de pilotage des politiques publiques.

Cette incapacité à apporter une réponse claire aux défis contemporains de la réforme territoriale réside dans la difficulté persistante des gouvernants à faire émerger un paradigme cohérent de la décentralisation. Alors que le projet du gouvernement retenait une perspective fonctionnelle en phase avec les pratiques constatées dans les autres États européens (paradigme régulateur de décentralisation), le Sénat a défendu une vision beaucoup plus classique de l’administration territoriale destinée à défendre les structures existantes (paradigme administratif de décentralisation), posant les bases d’une nouvelle querelle des anciens et des modernes. Celle-ci transparaît nettement dans le débat sur l’affirmation des métropoles, dont les caractéristiques (taille, exercice de compétences en lieu et place des collectivités territoriales, etc.) impliquent un aménagement conséquent du système administratif local. N’hésitant pas à jouer de la souplesse du droit et à affaiblir les communes membres, le gouvernement avait ainsi retenu une conception volontariste des métropoles afin de promouvoir une vision ad hoc des territoires urbains intégrés. À cela, les Sénateurs ont opposé une vision beaucoup plus traditionnelle, pour ne pas dire passéiste, du territoire, insérant dans le texte le principe selon lequel « la commune occupe une place fondamentale dans l’architecture locale de notre République » et qu’en conséquence, « l’intercommunalité doit être un outil de coopération et de développement au service des communes ». Cette disposition, dont on peut souhaiter qu’elle soit supprimée par l’Assemblée nationale en raison de son évident manque de normativité et du risque de censure constitutionnelle qu’elle encourt, illustre l’incapacité du Sénat à aller au bout de la politique intercommunale comme réponse au morcellement communal et sa difficulté à différencier le traitement administratif des espaces urbains et ruraux (ce que confirment tant sa position sur l’intercommunalité en Île-de-France ou celle sur les départements). Comme lors des précédentes réformes, le Sénat se pose en gardien du temple, peu importe le besoin de rénovation de celui-ci.

La suppression du pacte de gouvernance figurant dans le projet de loi initial s’inscrit dans cette veine. Certes, le schéma imaginé par le gouvernement était bien trop complexe (il entraînait la multiplication des schémas de répartition de compétences et serait sans doute devenu ingérable en peu de temps) ; il avait toutefois le mérite d’intégrer, pour la première fois dans le droit national, la notion de gouvernance territoriale, marquant ainsi l’acceptation d’un nouveau paradigme de décentralisation dans le cadre duquel la mise en œuvre des politiques publiques était véritablement pensée à plusieurs niveaux et les collectivités territoriales appréhendées comme des partenaires responsables d’un État régulant l’ensemble. S’appuyant sur les défauts (réels) du dispositif proposé, le Sénat a tout bonnement supprimé le pacte de gouvernance, ne maintenant que le chef de filât comme modalité de régulation des compétences, sous réserve, d’ailleurs, de la réaffirmation de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. Ce faisant, le Sénat se borne à reproduire dans la loi l’équilibre normatif inséré dans la Constitution en 2003 (art. 72C, al. 5), l’apport n’a donc rien de substantiel (le dispositif de 2003 ayant depuis largement montré son inefficacité…). La volonté de maintenir le statu quo institutionnel obère ainsi toute clarification de la mise en œuvre des politiques publiques et toute évolution vers une conception plus moderne de l’administration publique territoriale. En fait, le rejet du pacte de gouvernance fait la part belle aux élus et prolonge le système de « régulation croisée » du préfet et de ses notables (J.-P. Worms). En ces temps de défiance à l’égard de la classe politique, le maintien d’un tel système paraît contradictoire avec la nécessité de renouveler les fondements de la légitimé de l’action publique. Nul doute que l’affirmation de nouveaux principes et moyens de gouvernance territoriale soit souhaitable et constitue une manière plus convaincante de rentrer dans le XXIe siècle territorial.

Si l’on ne doit pas tout céder à l’appel de la modernité, le statu quo ne sert bien souvent qu’à masquer le manque d’audace et d’imagination. Voilà un message que les députés doivent entendre avant que s’ouvre la scène 2…