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Le droit en débats

L’audience de règlement amiable et la césure. Le point de vue du magistrat

Procès et modes amiables ne se concurrencent pas mais coexistent ; et la question est souvent pour le justiciable de savoir comment passer de l’un à l’autre, tout en se réservant le droit de revenir au procès. Ils se renforcent mutuellement par ces liens à toute étape de la procédure, à l’image des barreaux d’une échelle qui en maintiennent les deux montants. La césure et l’audience de règlement amiable en sont de bons exemples

Par Malik Chapuis le 06 Mai 2024

Les propos de ce texte ne sont que les opinions personnelles de leur auteur.

 

« Ce jugement n’en crée pas moins du droit, non pas une règle générale mais une solution individuelle. Solution d’un litige, apaisement d’un conflit : faire régner la paix entre les hommes est la fin suprême du droit, et la pacification, les accommodements, les transactions sont du droit, bien plus certainement que tant de normes ambitieuses ».

Ces quelques mots du doyen Carbonnier précèdent une thèse sur l’office du juge, dans lequel les modes amiables sont aujourd’hui pleinement introduits1. Dans le respect du principe dispositif et sous le contrôle du juge, ils apportent une solution à un différend, par l’application du droit, en laissant aux parties le choix des modalités de leur accord. Économiques, ils réduisent la défiance entre les acteurs, limitent l’inflation normative et favorisent l’activité2.

Souvent décrits comme « extra-judiciaires », de nouvelles dispositions légales et réglementaires, à l’issue du rapport des États généraux de la justice et de la politique nationale de l’amiable, ont fait des modes amiables de règlement des différends un instrument ordinaire du procès civil, répondant aux attentes de célérité et de qualité adressées aux juridictions.

Audience de règlement amiable (ARA) et césure du procès s’inscrivent dans cette dynamique. D’apparence nouvelle, ce sont des mécanismes en réalité traditionnels. La comparution personnelle des parties et le juge conciliateur (C. pr. civ., art. 21, 184 et 127) existaient avant l’audience de règlement amiable, tout comme le jugement avant dire-droit ne statuant que sur une partie des prétentions (C. pr. civ., art. 482 et 483) précédait la césure3.

Les changements pratiques induits dans les juridictions sont pourtant manifestes : politique juridictionnelle active, création d’audiences dédiées, présence de médiateurs aux audiences, formation des acteurs du procès. Rappelons à ce titre que le Tribunal de Paris mène, depuis plusieurs années, sous l’impulsion de son président Stéphane Noël, une politique juridictionnelle en faveur des modes amiables.

Il s’agit là d’un savoir-faire. Soulignons que contrairement à d’autres systèmes juridiques, en particulier les modes de prévention et de règlement des différends (PRD) canadiens, qui sont un modèle, les juges et avocats français sont confrontés à une culture judiciaire qui valorise le conflit et parviennent, pourtant, à développer l’amiable de façon significative en donnant satisfaction aux justiciables.

Au risque d’une opinion, le changement que ces textes nouveaux apporte ne vise donc pas à modifier les règles, mais à déterminer la pratique des juridictions.

Cet équilibre est délicat, car il consiste, par ce qu’il convient de nommer une « procédure incitative », à acculturer les acteurs du procès pour favoriser une solution amiable, en utilisant effectivement des instruments que la loi et le règlement rendent pourtant facultatifs. Son moyen semble, paradoxalement, d’encadrer les pouvoirs du juge, afin qu’il les utilise de lui-même ou à la demande des parties selon des formes et limites plus claires, et donc plus rassurantes, que par le passé.

L’ambition n’est pas seulement pratique mais tend à diffuser aux modes amiables et aux relations juridiques en général les principes du procès civil, en particulier la loyauté des échanges et la contradiction, qui en font un idéal de démocratie délibérative.

La condition d’un développement fidèle des modes amiables à ces valeurs processuelles est donc, pour les acteurs du procès, de les incarner, en se parlant, et de faire ainsi précéder chaque décision4 rendue dans ce cadre d’un échange contradictoire, idéalement lors de rendez-vous de mise en état. Cette précaution donne du sens et légitime les décisions prises alors qu’elles relèvent essentiellement du régime des mesures d’administration judiciaire5.

Le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 qui introduit la césure et l’audience de règlement amiable partage ainsi efficacement l’initiative de ces mesures, qui appartient aussi aux parties et à leurs avocats, et préserve le pouvoir de décision du juge.

Ces instruments ne transforment donc pas l’équilibre du procès ni l’office du juge, qui applique la loi dont il tient sa légitimité, y compris lorsqu’elle l’invite à proposer un règlement amiable de l’affaire6. S’il devient, plus qu’avant peut-être, conciliateur ou même médiateur, ce n’est que la part de souveraineté qui lui est déléguée et l’application de la règle de droit qui fonde ses décisions et la confiance que lui attribuent les justiciables, qu’il doit préserver.

Ainsi, procès et modes amiables ne se concurrencent pas mais coexistent ; et la question est souvent pour le justiciable de savoir comment passer de l’un à l’autre, tout en se réservant le droit de revenir au procès. On relèvera qu’ils se renforcent mutuellement par ces liens à toute étape de la procédure, à l’image des barreaux d’une échelle qui en maintiennent les deux montants. La césure et l’audience de règlement amiable en sont de bons exemples7.

L’audience de règlement amiable

L’ARA, prévue aux articles 774-1 et suivants du code de procédure civile, permet au juge saisi d’un litige de convoquer personnellement les parties, accompagnées de leurs avocats, devant un autre juge, avec pour finalité la « résolution amiable du différend ». L’ARA est confidentielle sauf accord des parties (C. pr. civ., art. 774-4).

Elle est un instrument de la procédure incitative. Le juge pouvait déjà convoquer les parties, et les accords portant désistement ou homologation font partie du quotidien des juridictions, en particulier des tribunaux de proximité et juges aux affaires familiales.

L’office du juge est toutefois quelque peu modifié par rapport à celui, classique, du juge civil :

  • le juge de l’ARA ne peut plus statuer dans l’affaire, et devra se déporter du dossier en le transférant à un autre juge (C. pr. civ., art. 774-1). Il est tentant de voir dans cette règle et dans la « compréhension des principes juridiques applicables au litige » (C. pr. civ., art. 774-2) une invitation pour le juge à donner son avis sur l’affaire, à tout le moins faire connaître l’état de la jurisprudence dans le respect du principe d’impartialité, alors même qu’il peut prendre connaissance des écritures et pièces des parties et réaliser des mesures d’investigations ;
  • le juge de l’ARA n’est saisi que si le litige porte sur « des droits dont les parties ont la libre disposition » (C. pr. civ., art. 774-1) ce qui exclut a priori les questions d’ordre public auxquelles il devra être vigilant lors des échanges, qui peuvent dépasser le litige, pour atteindre l’entier différend (C. pr. civ., art. 774-2) ;
  • le juge de l’ARA réalise enfin pour les parties une « confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs ». Contrairement à l’office conciliateur du juge, ce vocabulaire emprunte à la médiation ce qui peut inviter à une évolution du rôle du juge devenant un facilitateur des échanges, laissant alors aux parties et à leurs avocats l’initiative des solutions concrètes.

L’École nationale de la magistrature et plusieurs juridictions ont initié des formations de qualité8 afin de donner aux juges les compétences nécessaires à ce positionnement qui, s’il est nouveau en procédure écrite, rejoint assez classiquement les compétences de fonctions juridictionnelles spécialisées, supposant une écoute active, acquises lors de la formation initiale des magistrats.

Le métier de médiateur demeure indispensable pour les affaires nécessitant un temps d’écoute important et des compétences spécialisées. Le juge doit ainsi choisir finement le mode amiable le plus adapté à l’affaire dont il connaît9 : conciliation par le juge, audience de règlement amiable, injonction de rencontrer un médiateur. Il doit aussi, en accord avec les avocats, choisir le moment le plus opportun pour initier ce mode amiable : dès l’assignation, après les premières conclusions en défense, ou entre la clôture et la plaidoirie afin que ce « temps mort » du procès soit utile aux parties et que le temps de la procédure ne soit pas allongé.

La troisième chambre du Tribunal de Paris, pour les litiges de propriété intellectuelle, s’inspire à cet égard de la pratique des chambres des recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle : le litige pouvant être résolu rapidement est conduit par un juge en conciliation ou en une courte médiation, s’il est complexe ou nécessite un temps d’échange étendu il est orienté vers un médiateur professionnel.

La césure

La césure est un mécanisme nouveau, issu de la pratique des juridictions, dont le régime figure aux articles 807-1 et suivants du code de procédure civile.

Son principe est assez intuitif : les parties identifient une ou plusieurs contestations, formalisées en prétentions, puis demandent au juge de la mise en état, sur la base d’un acte contresigné par avocats, de prononcer une « clôture partielle » permettant au tribunal de ne statuer que sur cet objet par un « jugement partiel ».

La césure doit ainsi permettre aux praticiens du droit que sont les magistrats et les avocats, mais aussi les directeurs juridiques et juristes d’entreprise, de limiter la saisine du tribunal à ce qui fait véritablement débat entre les parties afin de leur laisser l’opportunité, de bonne foi, de discuter amiablement des autres questions de leur litige ou de reprendre l’instance.

Rappelons que la césure a été pratiquée à titre depuis plusieurs années devant le Tribunal de Paris dans les litiges de propriété intellectuelle10 à la suite d’accords avec les avocats spécialisés.

Il est naturellement trop tôt pour faire un bilan de la césure. Constatons simplement que le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023, qui l’inscrit dans notre droit, répond efficacement à l’objectif de permettre aux juridictions de séquencer, au cas par cas, le procès, en fonction des spécificités de leur contentieux.

À ce titre, la troisième chambre du Tribunal de Paris a signé un protocole de procédure avec le Barreau de Paris à l’issue d’une démarche collaborative explicitant plusieurs exemples de recours à la césure11.

Ainsi, le tribunal peut statuer sur le principe d’une contrefaçon et, si elle est établie, fixer des dommages et intérêts provisionnels par le jugement. Les parties peuvent alors discuter, sur la base du jugement, du quantum de l’indemnité due au titulaire. Il en va de la même manière des décisions sur l’admission de modes de preuves ou leur régularité. Encore, la césure permet au tribunal de dire plus rapidement si les faits argués de contrefaçon ont été, ou non, commis en France ce qui permet aux parties d’économiser un temps précieux.

La césure et l’ARA rejoignent les objectifs de souplesse et de confiance accordés aux modes amiables de règlement des différends. Leur succès dépendra avant tout de la pratique et de la volonté des acteurs du procès de s’en saisir. En l’absence d’une voie de recours habituelle contre ces décisions, il est vrai consensuelles par principe, celles-ci appellent une analyse et un suivi que la doctrine peut apporter.

Pour les justiciables, audience de règlement amiable et césure donnent une garantie supplémentaire que, quelle que soit l’avancée de la procédure ou l’intensité du conflit, une voie amiable adaptée à leur situation est toujours possible, pour leur permettre librement d’en sortir d’elles-mêmes, ou de choisir le recours au juge.

 

1. J. Carbonnier, cité par T. Ivainer en préf. de sa thèse, L’interprétation des faits en droit, LGDJ, 1988.
2. P. Aghion, Y. Algan, P. Cahuc et A. Schleifer, Regulation and Distrust, The Quarterly Journal of Economics, vol. 125.
3. V. pour un autre ex., M. Allain et M. Chapuis, Procédure sans audience : ça commence aujourd’hui, Procédures n° 5, 5 mai 2021.
4. En particulier, l’injonction de rencontrer un médiateur, la conciliation par le juge, la désignation d’un conciliateur de justice et la césure.
5. Elles sont donc insusceptibles de recours, sauf à réserver le cas du recours en excès de pouvoir devant la Cour de cassation.
6. Rappelons ici que les textes relatifs aux modes amiables de règlement des différends et en particulier la médiation transposent la dir. 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.
7. V. pour une présentation d’ensemble, K. Leclère-Vue et H. Moutardier, Un renouveau dans le procès civil : l’audience de règlement amiable et la césure du procès, AJ fam. 2023. 542 .
8. V. à ce titre, l’intéressant cycle de conférence dédié à la justice amiable organisé depuis le 17 oct. 2023 par la Cour d’appel de Paris.
9. F. Vert, Médiation, conciliation, audience de règlement amiable : vers un office conciliatoire effectif du juge français ? JCP 2023, n° 1024.
10. N. Sabotier, État de la gestion des procédures. État de la gestion des procédures civiles : la « césure », JCP 2022, n° 1041.
11. Protocole sur l’évolution des pratiques de procédure du 3 juill. 2023.