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Le droit en débats

Les projets de réformes dans le cadre de la transposition de la directive « restructuration et insolvabilité »

Les praticiens du droit des entreprises en difficulté savent que la transposition de la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes (modifiant la dir. [UE] 2017/1132) doit être transposée dans un délai de deux ans dont la fin s’approche à présent. En effet, cette transposition doit intervenir par voie d’ordonnance d’ici la fin du mois de mai de cette année en vertu de l’habilitation donnée au gouvernement par l’article 198 de la loi PACTE du 22 mai 2019. La Chancellerie est actuellement dans une phase de consultation et il paraît utile de commenter les évolutions à venir de notre droit des entreprises en difficulté compte tenu de cette ordonnance.

Par Georges Teboul le 27 Janvier 2021

Le rôle des classes de créanciers

Dans le cadre de la transposition du titre II de la directive, il est proposé d’opérer la transposition dans le cadre d’une section nouvelle des « classes de créanciers », ce qui a vocation à se substituer à l’actuelle notion de « comité des créanciers ». Ainsi, la section 3 du chapitre VI du titre II du livre VI du code de commerce serait remplacée par une section sur les classes de créanciers.

Ce système serait utilisable dans le cadre suivant :

  • en cas d’ouverture d’une sauvegarde accélérée, il est proposé de constituer des classes de créanciers pour « toutes les entreprises », quelle que soit leur taille. Cette complexité est-elle réellement adaptée à la situation des petites entreprises ? La souplesse devrait pourtant prévaloir ;
  • en présence d’une micro PME dont le seuil bilanciel serait fixé à 4 M€ pour le total du bilan et 8 M€ de chiffre d’affaires HT ou 50 salariés, la constitution de classes de créanciers serait facultative sur option du débiteur. En l’absence d’option, les procédures de droit commun de la sauvegarde et du redressement judiciaire s’appliqueraient.

Les classes de créanciers ne seraient pas obligatoires en-dessous de ces seuils et le seraient au-delà. Si cette interprétation est confirmée, la création d’un droit plus simple pour les petites entreprises paraît aller dans le bon sens.

Pour répondre à l’interrogation de la Chancellerie sur ce point, ces seuils apparaissent cohérents avec ce qui se pratique habituellement, même s’il s’agit de seuils qui étaient prévus pour l’obligation d’un commissaire aux comptes, ce qui peut paraître un peu différent.

La souplesse

D’une manière générale et tout en restant dans le cadre relativement contraignant de la directive, une plus grande souplesse doit être favorisée car c’est de la multiplicité des outils que peut jaillir la solution. A cet égard, l’idée de proposer au minimum (lorsque les seuils légaux seront atteints) deux classes de créanciers, paraît bonne.

Il est à cet égard acceptable que des créanciers disposant d’un privilège soient distingués de ceux qui n’en ont pas. Cela peut poser aussi la question des créanciers subordonnés par rapport aux autres créanciers. Bien entendu, la détermination de la définition du privilège pris en compte sera importante et cette définition devra être suffisamment claire pour que nous n’observions pas en France des litiges souvent longs et complexes tels qui existent aux Etats-Unis sur l’appartenance des créanciers à telle ou telle classe.

La souplesse serait également de mise du fait du caractère facultatif de la constitution d’une classe de créanciers publics. Doit-on imaginer que cette classe sera assimilable aux comités existants, CCSF, CODEFI, CIRI ? La règle de la majorité n’est pas applicable dans ces comités qui décident, en principe, à l’unanimité. Si l’on imagine mal les créanciers publics se réunir sous l’égide d’un administrateur judiciaire, le dialogue avec lui est usuellement assez facile.

Par ailleurs, la proposition faite par la Chancellerie de ne pas constituer de classes de salariés apparaît plutôt constructive, dès lors que ces salariés ne sont, le plus souvent, pas des créanciers, leur salaire étant payé.

Il serait, en outre, prévu de constituer une classe de détenteurs de capital en sauvegarde, accélérée ou non et en redressement judiciaire, si le projet de plan a une incidence sur leur créance.

Là encore, la multiplicité des outils serait bienvenue et il convient de faire confiance à la sagacité de l’administrateur judiciaire qui utiliserait ainsi les outils mis à sa disposition, en concertation avec le débiteur.

Les possibilités d’application forcée

Certes, il convient de faciliter une approche consensuelle et de recueillir l’avis des créanciers par l’intermédiaire des classes ainsi constituées, ce qui ne changera sans doute pas grand-chose aux comités qui existent actuellement.

Pour les grandes entreprises, il est proposé de permettre aux débiteurs de s’opposer à l’application forcée interclasse, ce qui paraît être une bonne idée, le débiteur devant lui aussi être associé largement à ce processus car la négociation suppose que soit rétabli un lien de confiance entre le débiteur et les créanciers composant les classes indiquées.

Il est aussi proposé de définir d’une manière extensive la notion de débiteur pour y inclure une majorité d’actionnaires ou de détenteurs de capital : il faudra pour cela que la définition soit précise pour éviter des conflits épineux qui sont à proscrire dans un schéma qui doit être souple et d’application rapide.

En ce qui concerne la règle de priorité absolue qui serait proposée pour l’application forcée interclasse, il est proposé de transposer la possibilité ouverte au tribunal de déroger à cette règle d’une manière encadrée (Dir. [UE] 2019/1023, art. 11, § 2, al. 2). Cette proposition sibylline devra être soupesée et commentée mais la possibilité pour un tribunal de déroger à cette règle dans le cadre d’une procédure contradictoire paraît plutôt positive.

Dans le même sens, la faculté pour le tribunal d’imposer un plan en cas d’échec du vote des classes de créanciers paraît aussi aller dans le bon sens. La Chancellerie s’oriente vers la possibilité de refuser pour le tribunal d’imposer un plan en cas d’échec, dans le cadre d’une sauvegarde accélérée ou non. En revanche, le tribunal pourrait imposer un plan alternatif et des délais de remboursement en redressement judiciaire, ce qui maintiendrait la situation actuelle. Doit-on admettre que le tribunal perde ainsi la possibilité d’imposer un plan en sauvegarde au-delà du seuil précité ?

Il est clair qu’un mouvement fort tend à mieux distinguer la sauvegarde du redressement judiciaire et à cet égard, il est proposé de réduire la période d’observation en sauvegarde à douze mois sans possibilité de dérogation et la durée des plans à huit ans au lieu de dix.

Ces réductions de délais pour la sauvegarde ne semblent pas convaincantes. Rappelons que le critère d’ouverture de la sauvegarde est l’absence d’état de cessation des paiements, ce qui ne contredit certes pas la présence d’un passif. Là encore, le tribunal doit conserver un pouvoir d’appréciation et une limite de dix ans, surtout en période en crise, ne paraît pas excessive, alors même que les « mesures covid » ont prorogé la durée des plans à douze ans pendant cette phase transitoire (Ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, art. 5, al. 2).

La réduction de la durée de la période d’observation et de la durée des plans en sauvegarde ne semble pas être une bonne idée et il convient au contraire de laisser au tribunal un large pouvoir d’appréciation, d’autant que la directive n’impose pas ces réductions de délais.