Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Robes noires et rabats blancs : n’en jetez plus !

Décalé… « Jeter sa robe, pour un avocat, c’est décalé… », a déclaré la garde des Sceaux, manifestement interloquée, le 8 janvier 2020 alors que des avocats venaient de jeter à terre devant elle leur robe noire, et que les jets de robe se multipliaient à travers la France judiciaire.

Par Étienne Madranges le 21 Janvier 2020

Décalé, certes, mais surtout… sacrilège !

Une robe d’avocat, on ne la jette pas, et encore moins si elle porte une décoration de la République, car on ne saurait jeter à terre les ordres nationaux.

On ne la piétine pas. Et on ne la souille pas !

Les avocats sont des auxiliaires de justice, pas des fournisseurs patentés de la chambre nationale de la teinturerie et des pressings.

On peut la laisser au vestiaire, la mettre sur un cintre dans un endroit emblématique, l’accrocher quelque part, mais… surtout pas la jeter !

Au contraire, on la revêt hors tribunal pour manifester avec solennité, même si l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 n’en prévoit a priori le port que dans l’exercice de fonctions judiciaires.

On peut être défavorable à une réforme et dès lors favorable à une grève. Mais on ne peut pas, pour exprimer sa colère ou son désarroi, jeter sa robe.

Certains la considèrent comme une armure ou une tenue de combat (et c’est vraiment le cas aux assises) : jette-t-on son armure en pleine guerre ? Se défait-on de sa tenue de combat face à l’adversité ?

Le serment de l’avocat contient le mot dignité. Le décret relatif à la déontologie de l’avocat contient le mot délicatesse. On peut protester avec véhémence en respectant la dignité et la délicatesse.

Le 7 février 1934, des avocats parisiens se sont introduits au palais de justice de Paris, pourtant soigneusement bouclé par les gardes républicains, se sont dirigés vers le vestiaire et ont subtilisé la robe de leur confrère Eugène Frot. En début d’après-midi, ils ont accroché cette robe et son épitoge à l’un des panneaux d’information de la galerie Mercière du Palais et y ont mis le feu, voulant montrer qu’ils brûlaient Eugène Frot, avocat mais surtout ministre de l’intérieur, en effigie. Puis, ils ont forcé la porte du grenier par effraction et ont mis en berne le drapeau tricolore dominant l’édifice historique. Cet acte était soudain, violent, inouï, inqualifiable, gravissime, mais, il y avait eu la veille, 6 février, des morts dans Paris, tant parmi les manifestants que parmi les policiers, et le ministre Frot avait été surnommé le « ministre aux mains sanglantes ». Le 7 février, la démission de Daladier devait d’ailleurs entraîner celle de Frot, qui ne devait plus jamais être ministre.

En 2020, la situation est parfois explosive, mais demeure pacifique. Rien ne justifie un acte contre la robe en tant que symbole.

La robe de l’avocat est un objet sacré. Laïquement, juridiquement et judiciairement sacré. À la robe est attaché un rabat, qui symbolisait autrefois lorsqu’il était double les Tables de la loi de Moïse, et qui, devenu simple, symbolise la loi républicaine que nous, avocats, revendiquons et utilisons pour défendre nos clients, leur honneur, notre honneur.

On ne jette pas son rabat !

À la robe est attachée une épitoge, résultant de la lente évolution du chaperon que les juristes de l’Ancien Régime portaient d’abord sur la tête puis sur l’épaule, avec sa patte, son bourrelet d’épaule et sa cornette.

On ne jette pas son épitoge, sa cornette et sa patte, qu’elles soient herminées ou non.

Pensons au grand Dupin et à tous ceux qui se sont préoccupés du costume judiciaire, et n’outrageons pas l’histoire.

Pensons aux quatre-vingt-huit gardes des Sceaux de la monarchie et de la République qui sont devenus ministres de la justice parce qu’ils avaient porté la robe d’avocat.

Pensons à ceux qui se sont fait inhumer avec elle après des décennies au service de la justice.

Pensons à nos soldats issus des barreaux (plus de 10 % du barreau parisien en 1914-1918) morts pour la Patrie sans avoir pu retrouver cette robe à laquelle ils étaient tant attachés.

Arrêtons de la jeter car, ce faisant, nous la profanons, nous l’avilissons, nous la réduisons à un tissu froissé.

Revêtus de notre toge et de notre épitoge, nous conservons notre force de persuasion. Dévêtus, nous sommes nus, moins forts, moins crédibles. La pseudo force du geste symbolique du jet de robe anéantit des siècles d’histoire qui ont fait de l’avocat un personnage fort et incontournable dans notre démocratie.

Qu’elle foule le pavé ? Oui ! mais sur nos épaules ! Impeccable, lisse, droite, boutonnée. Symbole de notre indépendance, de notre combativité, de notre pouvoir puisque nous sommes indispensables à l’œuvre de justice.

Chers confrères : criez, hurlez, vociférez, faites preuve d’éloquence, écrivez, réunissez-vous, bloquez… mais ne jetez plus jamais votre robe !