Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Portrait

Mahasti Razavi, en quête du meilleur

le 16 mars 2023

Sous sa douceur et son sourire se cache un tempérament de feu. Volontaire et ambitieuse, Mahasti Razavi a su s’imposer au fil des ans comme une figure incontournable tant au sein d’August Debouzy, dont elle a pris les rênes en 2018, que sur le marché de l’IP/IT.

Son côté pugnace, Mahasti Razavi le tient de ses parents. Eux qui, en plein cœur de la révolution iranienne, n’ont pas hésité à quitter Téhéran pour offrir une vie meilleure à leurs deux enfants. Arrivée en France à l’âge de 10 ans, en 1979, l’avocate franco-iranienne se souvient d’un voyage éreintant et d’une décision qui, dans l’esprit de tous, n’était que temporaire. C’était sans compter sur le contexte géopolitique d’un pays qui a fini par complètement basculer… « 44 ans plus tard, je suis toujours là », sourit-elle. « Mes parents ont chacun trouvé la force de se réinventer : ma mère, qui était pédiatre, en reprenant des études en cytogénétique et génétique à 40 ans pour devenir spécialiste du cerveau du fœtus ; et mon père, auparavant architecte, qui a appris à 50 ans le métier de courtier en assurances. » C’est pourquoi, tout au long de sa carrière, l’avocate n’a eu de cesse de vouloir se montrer à la hauteur des sacrifices qu’ils avaient fait, et de l’exemple qu’ils ont été. « Cela a toujours été un moteur fort dans mon parcours », assure-t-elle.

L’aventure américaine

Réussir, donc, mais dans quelle voie ? Au départ, Mahasti Razavi s’imagine devenir diplomate, puis médecin. Le droit, elle explique que c’est le hasard qui l’y a finalement menée. Elle ne commencera vraiment à s’intéresser à la matière que pendant sa Maîtrise. « Plus les années passaient et plus je trouvais le sujet intéressant », raconte-t-elle. « J’étais davantage observatrice les premières années, car les enseignements étaient trop théoriques pour moi. » Son histoire personnelle la dirige plutôt vers du droit des affaires et du droit international ; avant l’EFB, elle décroche ainsi deux DEA en droit anglo-américain des affaires à Paris I et en droit des affaires et droit économique à Paris II. Pendant un an, elle effectue ensuite un stage chez Shearman & Sterling avant de s’envoler pour Londres, en 1994, afin de débuter un autre stage en droit bancaire et financier chez Norton Rose. Puis cap sur les États-Unis, où la jeune avocate obtient un LLM en droit international à la NYU avant de passer le barreau new-yorkais et de pousser, en tant que collaboratrice, les portes de la boutique contentieuse Lacher & Lovell Taylor. « J’envisageais de m’installer à New York », indique-t-elle. « La preuve, c’est que j’avais emporté tous mes livres avec moi ! Malheureusement, le cabinet où j’exerçais ne répondait pas à mes ambitions. J’avais envie de plus grand, de dossiers qui vous piquent au ventre… ». Trois ans plus tard, elle cherche donc une nouvelle collaboration mais se heurte rapidement à la réalité d’un monde très concurrentiel et exigeant. « J’avais 28 ans, je n’avais pas de JD (Juris Doctor) et j’avais envie de travailler. Je voulais avoir la chance de dire "I belong" » explique celle qui, en 1997, rentre donc à Paris pour enfin trouver le Graal. « J’avais envoyé un grand nombre de CV et, chose inimaginable aujourd’hui, tout le monde répondait », s’amuse-t-elle. « J’avais un profil atypique pour l’époque. » Un profil qui séduit également August Debouzy, un nouveau venu sur le marché qui ne manque pas d’ambition… A sa tête Gilles August et Olivier Debouzy, qui n’hésitent pas à mettre les bouchées doubles pour attirer cette jeune avocate qu’ils reconnaissent immédiatement comme une des leurs. « Au départ, j’avais accepté l’offre d’un grand cabinet américain très traditionnel », confie Mahasti Razavi. « Lorsqu’il l’a su, Gilles August m’a dit : c’est complètement idiot, et je vais t’expliquer pourquoi. J’ai donc accepté de les revoir. » À peine arrivée dans les locaux de l’avenue de Messine, un samedi à 14 h, l’avocate a un choc. « J’ai ressenti une énergie folle, et une joie de vivre de la part de tous les membres du cabinet », décrit-elle avec enthousiasme. « J’ai su que c’était ici qu’il fallait être. »

Au plus près du business

Avec le recul, Mahasti Razavi dit avoir l’impression que sa carrière est fondue dans celle de cette maison. Une maison qui, en 25 ans, lui a permis de gravir tous les échelons et de s’affirmer en tant qu’avocate. « J’ai tout de suite beaucoup appris des avocats qui y exerçaient ; Gilles August et Olivier Debouzy, bien sûr, mais aussi Emmanuelle Barbara, Marie-Hélène Bensadoun, Fabienne Haas, Florence Chafiol et bien d’autres associés et collaborateurs, tous avec des qualités intellectuelles remarquables. Ils m’ont aidée à grandir », affirme celle qui reçoit très tôt le surnom de « MR » de la part des deux fondateurs. « Olivier Debouzy, notamment, m’a dit un jour : MR, mets-toi au-dessus et regarde d’en haut », confie-t-elle. « Soudain, en s’imaginant au-dessus de la pièce, votre vision d’un dossier n’est plus la même et les choses deviennent limpides. Si l’on s’enferme dans un savoir trop terre-à-terre, on ne peut pas décider. » Gilles August, lui, a mis un point d’honneur à apprendre à cette avocate parfois trop perfectionniste à s’entourer des meilleurs, à déléguer et à fonctionner en binôme avec un collaborateur. « J’ai acquis grâce à lui une vision plus collective, et j’ai appris petit à petit à faire confiance aux autres », sourit-elle.

Cette leçon, elle l’a retenue un soir où, débordée par le travail et ses émotions, elle pleurait seule devant la complexité d’un dossier. Il faut dire qu’au départ, avant la création d’un pôle IP/IT dédié, Mahasti Razavi exerçait au sein d’un pool d’avocats sur une multiplicité de sujets. Une amplitude de dossiers qui nécessitait de s’informer sur un grand nombre de questions. « J’ai travaillé sur des projets qui n’avaient rien à voir avec mon activité actuelle, comme par exemple Cœur Défense en corporate immobilier, où je me suis retrouvée dans des réunions avec les grands noms de l’immobilier de l’époque, ou encore lors de la création du tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, car nous avions été retenus par le ministère des Affaires étrangères pour aider à préparer les témoins français dans le cadre de ces procès », énumère-t-elle. Parallèlement, Mahasti Razavi affûte ses armes en droit des technologies de l’information. Elle devient notamment l’avocate du géant de l’informatique Microsoft, qui est aujourd’hui toujours un client fidèle et chez qui, au début des années 2000, elle a été envoyée en détachement pendant deux ans. « C’était une expérience unique au monde », assure-t-elle. « J’étais à cette époque encore collaboratrice, et je me rendais dans leurs locaux trois fois par semaine. J’ai pu, à cette occasion, découvrir l’usage réel de mon outil au service de l’entreprise. » Un choc intellectuel pour celle qui affirme aimer « le sens du service », et une période qui a changé sa carrière. « C’est à ce moment-là que j’ai pu réellement voir comment fonctionnait une entreprise et comment les membres d’une direction juridique se servent de ce que vous leur donnez », se souvient-elle. « J’ai pu comprendre les enjeux de temps et de calendrier en interne, et apprendre à "déthéoriser" mon métier et à vulgariser le langage juridique. C’est un mécanisme de transformation important. Depuis, dès que l’opportunité nous est donnée d’envoyer des collaborateurs en détachement, nous n’hésitons pas à le faire. » Et ce, en conseil comme en contentieux. « Lorsqu’on voit comment sont analysés en interne les écritures et les enjeux, on devient encore plus percutant », estime-t-elle.

La marque des patrons

Au fur et à mesure, le droit de l’informatique et les sujets technologiques prennent de plus en plus de place dans la carrière de l’avocate. « À l’époque, le marché n’était pas encore complètement consolidé », rapporte-t-elle. « Avant qu’ils ne soient rachetés par les grands acteurs de la place, les petits éditeurs fleurissaient. Quant à nous, nous étions parmi les premiers à avoir un modem via lequel nous nous connections afin de consulter les quatre ou cinq mails que l’on recevait par jour ! » Associée depuis 2006, elle exerce aujourd’hui au sein d’un département IP/IT digital, médias et data qui compte une quarantaine d’avocats. « Au-delà de l’outil et du produit du client, ce qui m’anime le plus dans mon activité, ce sont les individus, du client au collaborateur en passant par le confrère face auquel je vais élaborer la stratégie la plus solide qui soit », explique-t-elle. « J’accorde également beaucoup d’importance au fait d’impliquer et de motiver notre équipe au quotidien, et d’aider à la transformation du cabinet pour que la nouvelle génération d’avocats ait un sentiment d’appartenance. » Une mission facilitée depuis le 1er janvier 2018 avec sa nomination à la tête d’August Debouzy, à la suite d’Emmanuelle Barbara. Outre le fait d’assurer une continuité, l’associée gérante s’est attelée à muscler le cabinet dans certaines matières (financement, immobilier,…) et à faire en sorte que le cabinet soit toujours sur les plus beaux dossiers de la place, à 7 au départ comme à 150 aujourd’hui. « Nous avons atteint une taille critique intéressante dans la majorité de nos pratiques », commente celle dont Emmanuelle Barbara salue aujourd’hui l’ascension et l’acharnement à faire d’August Debouzy un grand cabinet. « En 26 ans, nous avons développé une complicité forte et vécu ensemble les transformations du cabinet. Elle s’est naturellement et rapidement imposée comme légitime aussi bien en interne qu’à l’extérieur, dans le secteur qui est le sien », souligne l’ex-managing partner et associée en droit du travail. « Elle porte haut les couleurs du cabinet et de ses membres et a, chevillé au corps, l’intérêt du collectif. » Amusée, elle se souvient également de ce jour où, dans les escaliers des anciens locaux de l’avenue de Messine, Mahasti Razavi avait harangué un collaborateur qui ne s’était pas rendu à une importante réunion. Depuis, cette anecdote porte un nom en interne : "la séquence escalier". « Elle a toujours les mots pour le dire, que cela soit de manière douce ou plus piquante. C’est la marque des patrons », sourit Emmanuelle Barbara.

Caméléon

Autre mission de l’associée gérante : se repenser constamment pour s’adapter à l’évolution des clients et être à la pointe des nouveaux enjeux des sociétés. « Nos entreprises clientes sont aujourd’hui dotées de directions juridiques extrêmement compétentes, qui connaissent parfaitement leur business et leurs concurrents », observe Mahasti Razavi. « Nous assistons également au développement massif de l’intelligence artificielle, chez elles comme chez nous. Il est donc important de continuer à avoir chez nous des personnes qui ont certes une formation très technique, tant en droit que dans d’autres matières comme des ingénieurs ou encore des financiers, mais qui savent et aiment également penser autrement. » Parmi ses clients, des entreprises du secteur des technologies, du luxe, de la finance, de la nouvelle économie (Next 40) ou encore des services et télécoms, et des noms tels que Total, Cerberus, Accor, L’Oréal, Microsoft ou les start-ups Ping Identity ou encore Byg4Lab. Avec certains, c’est un vrai lien de confiance qui s’est noué. « Je n’aurais pas pu exercer dans un univers déshumanisé », glisse l’associée. « J’aime construire des relations de fidélité dans la durée. » C’est le cas par exemple avec La Banque Postale, dont la secrétaire générale Tiphaine de Gaudusson évoque une avocate « à l’écoute, attentive et disponible ». « Elle a le souci d’apporter un conseil sur-mesure à ses clients et fait preuve d’une grande pédagogie sur les sujets les plus complexes », poursuit-elle.

Mahasti Razavi se compare elle-même à un caméléon dans ses rapports avec les clients. « J’essaye toujours de me mettre dans la peau de mes interlocuteurs et de comprendre comment ils fonctionnent », explique-t-elle. « Je me demande pourquoi ils viennent à nous, et comment je peux leur faciliter la vie. Les personnes qui exercent au sein des directions juridique ont en effet généralement une charge mentale et de travail très importantes, et des exigences en interne impressionnantes. Lorsque je travaille pour un nouveau client, j’essaye donc d’absorber toute l’information que l’on me donne pour pouvoir m’adapter et être exactement dans leur degré de besoin. Je leur pose des questions pragmatiques, et je vais même jusqu’à demander s’ils préfèrent de longs mails ou des mémos ! » Myriam Viaud, directrice juridique de la banque privée Milleis, a notamment été amenée à travailler avec Mahasti Razavi sur un contrat structurant, posant diverses problématiques juridiques. Au-delà de l’expertise, elle met en avant la capacité de l’avocate à prendre en considération les principaux éléments d’une relation liant les deux parties d’un business commun. « Elle nous a permis d’analyser ce contrat sous un angle différent, de travailler sur des leviers de négociation importants en prenant en compte tout l’environnement de la relation », rapporte-t-elle. « Sa capacité à vulgariser le langage juridique pour des collaborateurs d’autres métiers a également été appréciée, de même que sa vision très opiniâtre d’une situation. »

Sortir des silos

Avec Besma Boumaza, group general counsel d’Accor, Mahasti Razavi a également travaillé sur plusieurs projets. « Elle est très introduite dans le marché du digital, et elle le comprend parfaitement », affirme la cliente. « Elle n’hésite pas à questionner les choix qui sont faits et à faire des suggestions, et elle ne s’en tient pas à ce que l’on dit. » Entre sujets d’intelligence artificielle, NFT, blockchain ou encore Métavers, les nouveaux dossiers ne cessent d’arriver actuellement sur le bureau de l’associée. Sans compter, en contentieux, tous les sujets de responsabilité dans les grands projets, dans un contexte réglementaire qui évolue tant sur le plan européen que local. « Dans le secteur bancaire, nous avons également chaque jour de nouveaux textes, juridiques ou techniques, qui de "soft law" deviennent très vite la "law" », ajoute-t-elle. « Il faut être très curieux de l’actualité, car l’histoire montre que des changements s’opèrent quasi quotidiennement. » Pour l’avocate, exercer en droit des technologies et de l’information nécessite des bases solides en propriété intellectuelle et en data, mais aussi en droit des obligations, compliance, droit des sociétés ou encore en droit social. « Il est important d’ouvrir ses horizons juridiques et de lire tous les jours, y compris la presse dédiée à la tech », conseille-t-elle. « C’est est en effet devenue un "enabler" ; dans tous les secteurs, du transport en passant par la boulangerie, la tech a désormais une place centrale. Ce n’est qu’en maîtrisant ces évolutions que l’on va pouvoir avoir une vision différente dans l’exercice de notre métier. » Plus qu’un droit, c’est donc devenu une économie qu’il s’agit de maîtriser sur le bout des doigts, au même titre que la technique juridique. D’où, pour Mahasti Razavi, la nécessité d’être à la fois très spécialisé et de revenir à cette époque où les avocats avaient une vision plus généraliste. « Nous sommes face à un écosystème qui ne peut pas se décorréler de la vie économique et des enjeux de la société », conclut-elle. « Il faut penser transverse. Les silos ne marchent plus, car les entreprises ne marchent plus comme cela. »

 

Propos recueillis par Chloé Enkaoua, journaliste

Mahasti Razavi

Mahasti Razavi, Managing Partner, August Debouzy.