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Le droit en débats

Prescription en matière de crédit immobilier : un peu d’air pour les banques

Par Antoni Mazenq le 18 Février 2016

Entendez-vous les soupirs de soulagement des services contentieux des établissements de crédits ?

Par quatre arrêts rendus par la première chambre civile le 11 février 2016 (n° 14-22.938, n° 14-28.383, n° 14-27.143 et n° 14-29.139 à publier au Bulletin) qui ne manqueront pas de faire l’objet d’abondants commentaires, la Cour de cassation a jugé, à l’appui d’un attendu de principe fort pédagogique :

« Vu l’article L. 137-2 du code de la consommation, ensemble les articles 2224 et 2233 du code civil ;
Attendu qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ».

Qu’elles soient qualifiées de revirement ou de clarification, ces décisions tranchent, en tout état de cause, avec la jurisprudence la plus récente de cette même chambre.

Encore dans un arrêt du 9 juillet 2015 (Civ. 1re, 9 juill. 2015, n° 14-17.870), elle considérait :

« Attendu que le point de départ du délai de prescription biennale prévu par le premier de ces textes se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé ».

Cette analyse, qui était constante depuis une décision du 10 juillet 2014 (Civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 13-15.551, Bull. civ. I, n° 138) s’inscrivait dans le cadre d’une interprétation – au demeurant assumée par la Cour de cassation – ostensiblement en faveur de l’emprunteur « consommateur » du prêt immobilier.

Déjà, par un arrêt du 28 novembre 2012 (Civ. 1re, 28 nov. 2012, n° 11-26.508, Bull. civ. I, n°247), date qui fait encore frémir quotidiennement les directeurs juridiques de banques, la chambre civile avait jugé que : « les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels » et, partant, qu’ils relèvent de la prescription de deux ans de l’article L. 137-2 du code de la consommation.

Cette solution avait été critiquée puisque ce dernier texte apparaissait, dans ledit code, dans un livre distinct de celui relatif au crédit immobilier.

Mais la jurisprudence en avait décidé ainsi : l’action en paiement d’un crédit immobilier, consenti à un consommateur par un professionnel, était soumise à une prescription biennale, dont le point de départ était : « la date du premier incident de paiement non régularisé ».

Un délai de prescription bref qui pouvait, en pratique, commencer à courir chaque mois pour des centaines de milliers de prêts en cours : les établissements de crédit semblaient devoir supporter seuls les frais de la protection du consommateur.

Les quatre arrêts rendus le 11 février 2016 constituent une inflexion de ce mouvement qui aurait pu, à terme, se révéler contre-productif, en dissuadant les banques de s’engager.

Il est désormais fait une distinction entre deux types de créances procédant d’un crédit immobilier : les mensualités impayées d’une part, le capital restant dû d’autre part.

L’action en paiement des mensualités se prescrit à compter de leurs dates d’échéances, mais l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.

La déchéance du terme, en matière de crédit immobilier consenti à un consommateur, fait l’objet de l’article L. 312-22 du code de la consommation :

« En cas de défaillance de l’emprunteur et lorsque le prêteur n’exige pas le remboursement immédiat du capital restant dû, il peut majorer, dans des limites fixées par décret, le taux d’intérêt que l’emprunteur aura à payer jusqu’à ce qu’il ait repris le cours normal des échéances contractuelles. Lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, sans préjudice de l’application des articles 1152 et 1231 du code civil, ne peut excéder un montant qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat, est fixé suivant un barème déterminé par décret ».

En pratique, la quasi-totalité des actes de prêts contiennent une clause prévoyant la faculté, pour l’établissement de crédit, de prononcer la déchéance du terme en cas de non-paiement à son terme d’une seule échéance.

Le visa du nouvel attendu de principe repris dans les quatre décisions du 11 février 2016 est instructif. Alors que les arrêts antérieurs visaient exclusivement les articles L. 137-2 du code de la consommation et 2224 du code civil, la Cour de cassation y ajoute l’article 2233 du même code qui dispose notamment que :

« La prescription ne court pas :
[…]
3° À l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé. »

En pratique, le point de départ de la prescription concernant une échéance impayée est inchangé. Cependant, et en application de l’article 2233 du code civil nouvellement visé, le point de départ de la prescription de l’action en paiement du capital restant dû, rendu exigible par la déchéance du terme, est fixé à la date de cette dernière, ce qui n’était pas le cas auparavant.

La Cour de cassation, suivie par la plupart des juridictions du fond, ne faisait pas de distinguo entre les échéances et le capital : le point de départ de la prescription pour l’action en paiement au titre d’un crédit immobilier était la date du premier incident de paiement.

Cette solution était critiquable : comment le délai de prescription de l’action en paiement du capital restant dû pouvait-il courir antérieurement au prononcé de la déchéance du terme ? Comment reprocher à une banque de ne pas avoir agi alors que sa créance, à ce titre, n’était pas encore exigible ?

La nouvelle jurisprudence doit être approuvée puisqu’elle n’est qu’une application pure et simple de l’article 2233 du code civil, qui semblait malmené, sinon totalement écarté, par les décisions antérieures de la Cour de cassation en la matière.

Le prononcé de la déchéance du terme est une faculté offerte à l’établissement prêteur. Il y a donc fort à parier que certains regretteront que la banque ait, indirectement, la maîtrise de l’événement constituant le point de départ de son action en paiement.

Ces réticences ne semblent pas fondées. D’une part, la déchéance du terme ne sera le point de départ du délai de prescription que de l’action en paiement du capital restant dû, et non pas des échéances impayées. D’autre part, rappelons que la déchéance du terme ne peut être prononcée que si l’emprunteur est défaillant dans l’exécution de ses obligations, particulièrement dans son obligation de remboursement des sommes empruntées.

Ne faisant qu’appliquer le droit, les arrêts du 11 février 2016 vont cependant dans le sens d’un assouplissement du régime, quelque peu rigoureux, réservé jusqu’ici aux établissements bancaires en matière de prescription dans le cadre d’un crédit immobilier consenti à un consommateur.

Cette nouvelle position de la Cour de cassation n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour ce dernier non plus. La jurisprudence antérieure obligeait les prêteurs à agir le plus rapidement possible contre leurs débiteurs défaillants, en procédant à des mesures de recouvrement forcé ou en engageant une action judiciaire en paiement. La banque n’avait d’autre option que de préserver ses droits immédiatement, pour éviter l’acquisition d’une prescription très brève, au risque de nuire aux intérêts d’un emprunteur dont, parfois, la défaillance ne pouvait être que mineure et passagère.