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Responsabilité de l’État en matière fiscale et espérance légitime devant la CEDH

Le 4 janvier 2012, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en rejetant une requête déposée par des Françaises et fondée notamment sur la violation alléguée de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect des biens), apporte un éclairage intéressant sur la notion d’espérance légitime dans le domaine de la responsabilité de l’État en matière fiscale.

par C. Demunckle 2 mars 2012

Arrêtons-nous sur les faits et la procédure. En l’espèce, les requérantes étaient respectivement gérante et associées d’une société à responsabilité limité (SARL) ayant son siège social à Nice et exploitant un restaurant. En 1984, à l’occasion d’un contrôle par les agents de la brigade de contrôle et de recherches prenant la forme d’une perquisition des locaux de la société, des documents furent saisis. Parallèlement, la comptabilité fut jugée irrégulière et non probante et le vérificateur procéda à une reconstitution des recettes de la société et établit, selon la procédure alors applicable de la rectification d’office (LPF, anc. art. L. 75), les suppléments d’imposition découlant de cette reconstitution. Une notification de redressements fut adressée en octobre 1984 à la société. Les réclamations puis les demandes de sursis de paiement formées par la société furent rejetées par le directeur des services fiscaux en 1986 (LPF, anc. art. L. 277). Le recours de la société contre ces décisions fut, de la même façon, rejeté par le tribunal administratif de Nice cette même année. Acculée par des problèmes de trésorerie, la société déposa son bilan en décembre 1986 et un jugement de janvier 1987 prononça sa liquidation judiciaire en désignant un mandataire-liquidateur. Le fonds de commerce de la société fut alors vendu très en-deçà de sa valeur vénale réelle.

Par deux jugements de 1990, le tribunal administratif de Nice, saisi de recours visant la décharge des impositions supplémentaires au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés, ordonna un supplément d’instruction et, par deux nouveaux jugements de 1992, rejeta les recours. En 1994, la cour administrative d’appel de Lyon annula ces jugements au motif que les documents appartenant à la société, tickets de caisse K et photocopies de la « caisse noire », utilisés par l’administration, n’avaient pas été saisis par les agents de la brigade de contrôle et de recherches lors de la perquisition, mais avaient été ultérieurement remis à ceux-ci par un ancien salarié qui les avait obtenus par des moyens frauduleux. La cour releva que « si l’administration fiscale peut établir des redressements sur la base d’éléments de preuve légalement admissibles de toute nature, elle ne peut, en revanche, valablement s’appuyer sur des pièces qu’elle a obtenues ou qu’elle détient de manière manifestement illicite ». En conséquence, la cour administrative d’appel prononça la décharge des impositions supplémentaires au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés. Le ministre du budget ne forma pas de pourvoi en cassation contre cet arrêt.

En 1998, la société et les...

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