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Douanes : articulation entre exercice du droit de visite et audition libre

Les agents des douanes ne peuvent procéder à une telle audition libre au cours de l’exercice du droit de visite lorsque celui-ci s’accompagne d’une mesure de contrainte.

par Cloé Fonteixle 20 mai 2020

Première disposition figurant au chapitre consacré aux « pouvoirs des agents des douanes » dans le code des douanes, l’article 60 prévoit que, « pour l’application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes ». Ce droit de visite ou de fouille s’exerce à titre préventif, indépendamment de l’existence d’indices de fraude. Ces opérations s’avèrent parfois longues et, en pratique, les personnes qui en sont l’objet doivent rester à la disposition des agents. Malgré l’existence incontestable d’une contrainte, aucune information n’est délivrée à ce stade et aucune intervention d’une autorité judiciaire n’est prévue. Il convient à cet égard de bien distinguer cette phase d’exercice du droit de visite de la « retenue douanière », prévue à l’article 323-1 du même code, qui est susceptible de lui succéder. Cette retenue est applicable en cas de flagrant délit douanier puni d’une peine d’emprisonnement et est conçue, à l’instar de la garde à vue, comme une véritable mesure de contrainte et assortie en conséquence de certaines garanties légales. En outre, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, l’article 67 F du code des douanes a consacré l’audition libre, connue en droit commun à l’article 61-1 du code de procédure pénale, qui permet aux agents des douanes une audition du suspect sans recours à la contrainte.

La Cour de cassation s’intéresse de près à l’usage, par les agents des douanes, des pouvoirs liés à ce « droit de visite » et à son articulation avec les autres mesures précitées, qui visent quant à elles les personnes suspectées. Il faut d’ailleurs relever que la haute juridiction n’hésite pas, en cette matière, à exercer un contrôle approfondi en analysant les procès-verbaux du dossier.

De longue date, la chambre criminelle utilise le critère de la durée « strictement nécessaire » à la réalisation des opérations, estimant que la contrainte ne peut aller au-delà (Crim. 6 mai 1996, n° 96-80.686, Dalloz jurisprudence). Cela ne signifie pas pour autant que la visite ou la fouille doit s’effectuer rapidement (pour le contrôle d’un camion au péage, démarré à 18h30 et terminé à 0h45 : Crim. 18 déc. 2019, n° 19-81.643, Dalloz jurisprudence).

Lorsque la contrainte perdure, les agents doivent mettre en œuvre la procédure de retenue douanière, et les droits afférents à celle-ci. Ce principe a été clairement affirmé au visa de l’article 323-1 du code des douanes (Crim. 12 nov. 2015, n° 15-83.714 P, Dalloz actualité, 14 déc. 2015, obs. J. Gallois ; AJ pénal 2016. 212, obs. G. Roussel ; RSC 2016. 532, obs. S. Detraz ). Dans cette dernière affaire, l’individu avait été menotté. Mais la contrainte semble découler pour la Cour de cassation de la présence même des autorités douanières ou policières sur place. Dans une autre espèce, où l’usage de la force était écarté par les motifs de l’arrêt attaqué, la chambre criminelle a de nouveau prononcé une cassation en retenant que l’individu « avant d’être placé en retenue douanière [avait] été retenu contre son gré au-delà du temps nécessaire au contrôle de son véhicule et de sa personne » et « peu important que le mis en examen n’ait montré aucune réticence ni opposition à se maintenir sur place lorsque les agents des douanes, qui devaient se lancer à la poursuite du conducteur du véhicule qui avait pris la fuite, ont requis les policiers de la police des frontières pour rester avec lui » (Crim. 26 oct. 2016, n° 16-82.463 P, Dalloz actualité, 14 nov. 2016, obs. C. Fonteix ; Gaz. Pal. 24 janv. 2017, p. 57, obs. Fourment).

Dans un important arrêt rendu en 2019, la Cour de cassation a choisi de viser l’article 60 du code des douanes pour rappeler ce même principe, et définir positivement, de manière assez didactique, la teneur des pouvoirs découlant de l’article 60. Elle a indiqué que les opérations de visite « comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation, dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que, le cas échéant, les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent », en ajoutant que, « si, dans ce cadre, les agents de douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d’un pouvoir général d’audition de la personne contrôlée » (Crim. 13 juin 2019, n° 18-83.297 P, Dalloz actualité, 11 juill. 2019, obs. J. Gallois ; D. 2019. 1287 ; AJ pénal 2019. 511, obs. V. Courcelle-Labrousse ). L’arrêt commenté, en date du 18 mars 2020, s’inscrit dans le sillage de cette jurisprudence sur le droit de visite, mais le confronte cette fois à l’audition libre de l’article 67 F du code des douanes.

En l’espèce, le véhicule d’une personne ayant déclaré ne pas transporter des sommes de plus de 10 000 € avait été fouillé. Les agents des douanes y avaient découvert des liasses de billets de 500 € pour un montant supérieur à 200 000 €. Cette fouille avait eu lieu à 1h35, puis des opérations complémentaires de fouille, de décompte, de dépistage et de consignation, ainsi l’audition de l’intéressé, avaient été effectuées au siège de l’unité douanière de 1h50 à 10h45. À cette heure, était intervenu un placement en garde à vue pour blanchiment. S’en était suivie une mise en examen, et le dépôt, dans le cadre de l’information, d’une requête en nullité visant les actes à l’origine de la procédure.

La chambre de l’instruction avait admis l’existence d’une contrainte découlant de l’invitation de la personne fouillée à suivre les agents des douanes dans leurs locaux. Mais – tenant compte probablement de l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2019 – elle avait pris le soin de détailler la nature, l’heure et la durée de chacune des opérations survenues au cours de la nuit (visite à corps, comptage manuel, dépistage de produits stupéfiants, puis audition), pour démontrer qu’elles s’étaient enchaînées sans délai ni discontinuité jusqu’à la rédaction du procès-verbal de saisie. Elle avait précisé, s’agissant de l’audition, que l’intéressé n’avait été entendu « que sur les seuls faits relevés par le contrôle ».

C’est précisément cette audition qui entraîne la cassation ici, après un rappel de l’ensemble des principes dégagés en 2019, et notamment de l’absence de « pouvoir général d’audition ». La Cour de cassation affirme ici que, si, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, une « audition libre » est possible en application de l’article 67 F du code des douanes, « c’est aux conditions, en partie déduites, par analogie, de l’article 61-1 du code de procédure pénale que la personne n’a pas été conduite, sous contrainte, par les agents des douanes dans leurs locaux et qu’elle dispose du droit de les quitter à tout moment ». Selon elle, « il s’en déduit qu’une telle audition ne peut avoir lieu au cours de l’exercice du droit de visite lorsqu’il s’accompagne d’une mesure de contrainte ».

Or, en l’espèce, allant au-delà des mentions de l’arrêt attaqué, la chambre criminelle estime que « la personne contrôlée, laquelle était maintenue à la disposition des agents des douanes, a fait l’objet d’une audition formelle sur sa situation personnelle, notamment financière, et sur l’origine des fonds transportés, audition à laquelle les agents des douanes ne pouvaient procéder, fût-ce en application de l’article 67 F du code des douanes, au cours de cette visite ». Il est ainsi clairement précisé que l’audition libre ne peut venir s’intégrer au temps du droit de visite, en tout cas « lorsqu’il s’accompagne d’une mesure de contrainte ». On comprend donc que, même si les droits liés à l’audition libre avaient été notifiés, celle-ci aurait été irrégulière ou, plutôt, aurait entaché d’irrégularité le droit de visite dans lequel elle s’inscrivait. Il apparaît difficile, dans ces conditions, pour les agents des douanes, d’envisager une audition libre dans la continuité de l’exercice du droit de visite (et en lieu et place d’une retenue douanière), dès lors que l’existence d’une contrainte semble en découler systématiquement.