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Article
Expulsion : concours de la force publique, dignité humaine et contrôle du juge administratif
Expulsion : concours de la force publique, dignité humaine et contrôle du juge administratif
Des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l’ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire statuant sur la demande d’expulsion ou sur la demande de délai pour quitter les lieux et telles que l’exécution de l’expulsion serait susceptible d’attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier le refus de prêter le concours de la force publique. En cas d’octroi de la force publique, il appartient au juge administratif de rechercher si l’appréciation à laquelle s’est livrée l’administration n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
par Guillaume Payan, Professeur de droit privé, Université de Toulonle 20 novembre 2023
Au cœur de l’actualité législative (Loi n° 2023-668 du 27 juill. 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, dite « anti-squat »), la procédure d’expulsion a donné lieu à un intéressant arrêt du Conseil d’État, en date du 11 octobre 2023.
À l’origine de cette affaire, le Tribunal judiciaire de Paris déclare un individu occupant sans droit ni titre d’un logement qu’il occupe et ordonne son expulsion, dans un jugement du 14 septembre 2022. Le 23 février 2023, le concours de la force publique est requis par un huissier/commissaire de justice. Un mois plus tard, le Tribunal judiciaire de Paris rejette la demande du débiteur tendant à bénéficier d’un délai pour quitter les lieux. Par une décision datant du 6 avril 2023, le préfet de police accorde le concours de la force publique, à compter du 1er juin de cette même année. Cependant, saisi à cette fin par le débiteur sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif de Paris suspend l’exécution de cette décision, dans une ordonnance du 10 mai 2023. En réaction, le ministre de l’Intérieur et des outre-mer forme un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’État et obtient l’annulation de cette ordonnance (arrêt, § 1). Dans le prolongement de cette annulation, les hauts conseillers renvoient au Tribunal administratif de Paris la demande présentée par le débiteur sollicitant la suspension de la décision préfectorale précitée (arrêt, § 2).
Dans cet arrêt, le Conseil d’État rappelle les règles applicables en ce qui concerne non seulement la décision d’octroyer la force publique, mais également le contrôle que peut en faire le juge administratif.
Octroi de la force publique
Le droit à l’exécution des décisions de justice est un droit fondamental bénéficiant d’une protection constitutionnelle (Cons. const. 6 mars 2015, n° 2014-455 QPC, Dalloz actualité, 10 mars 2015, obs. D. Poupeau ; AJDA 2015. 479 ; D. 2015. 570 ; Constitutions 2015. 256, chron. O. Le Bot ; 10 nov. 2017, n° 2017-672 QPC, Dalloz actualité, 20 nov. 2017, obs. M.-C. Lesergent ; AJDA 2018. 356 , note J. Tremeau ; ibid. 2017. 2231 ; D. 2017. 2303 ; RDI 2018. 53, obs. P. Soler-Couteaux ; Constitutions 2017. 651, Décision ) et européenne (par ex., CEDH 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, n° 18357/91, spéc. § 40, AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss ; D. 1998. 74 , note N. Fricero ; RTD civ. 1997. 1009, obs. J.-P. Marguénaud ; 11 janv. 2001, Lunari c/ Italie, n° 21463/93, § 42, RTD civ. 2001. 447, obs. J.-P. Marguénaud ). Au niveau législatif, il se décline en un droit du créancier de poursuivre le recouvrement de sa créance, tel qu’affirmé au fronton du code des procédures civiles d’exécution, dans l’article L. 111-1. Or, le déroulement des opérations d’exécution peut être rendu difficile – voire, matériellement impossible – du fait de l’hostilité ou de la résistance opposée au commissaire de justice. Dans un tel contexte, en raison notamment des risques que la poursuite de ces opérations fait courir aux personnes en charge de l’exécution, il est prévu que l’État intervienne pour assurer les conditions de sécurité publique (C. pr. exéc, art. L. 153-1). À ce sujet, le Conseil d’État rappelle utilement que « toute décision de justice ayant force exécutoire peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle est requise, prêter main forte à cette exécution » (arrêt, § 3 ; sur les modalités de réquisition de la force publique, v. égal., CE 29 nov. 2022, n° 443396, Dalloz actualité, 8 déc. 2022, obs. G. Payan ; Lebon ; AJDA 2022. 2328 ; Rev. prat. rec. 2022. 3, obs. O. Salati ).
Bien entendu, le droit à l’exécution n’est pas absolu et comporte inévitablement...
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