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Réforme de la formation professionnelle des avocats : un décret très attendu et déjà controversé

Un décret n° 2023-1125 du 1er décembre 2023 publié au Journal officiel le 2 décembre réforme en profondeur la formation professionnelle, initiale et continue, des avocats, aménage les passerelles d’accès dérogatoires à la profession, et comporte diverses dispositions techniques relatives à l’administration des centres régionaux de formation professionnelle d’avocats (CRFPA), ainsi qu’au fonctionnement du Conseil national des barreaux (CNB) et de sa commission institutionnelle de la formation. 

Composé de 56 articles répartis en neuf chapitres, le texte modifie les dispositions du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, notamment celles de son Titre II relatives à l’accès à la profession d’avocat. Ses dispositions entrent en vigueur dès le 1er janvier 2024, sous réserve de mesures transitoires prévues par son article 53.

Ce texte, fruit de nombreux compromis, est l’aboutissement d’un long travail de concertation avec le ministère de la Justice, et de péripéties d’une procédure de déclassement législative devant le Conseil constitutionnel (Gaz. Pal., 5 déc. 2023, n° 40, note L. Garnerie ; actu-juridique.fr, 5 et 6 déc. 2023, obs. P. Lingibé). Il concrétise les propositions du Conseil national des barreaux, votées sur rapport de sa commission de la formation professionnelle par son assemblée générale le 4 juin 2021 (CNB, Rapport de la commission de la formation sur la réforme de la formation ; Projet de décret, AG 4 juin 2021), et transmises à la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) sous la forme d’un avant-projet de décret. Une majeure partie des propositions avait été reprises dans le rapport du groupe de travail Clavel/Haeri sur la réforme de la formation remis au garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 23 octobre 2020 (S. Clavel et K. Haeri, Rapport du groupe de travail sur la formation des avocats, Rapport remis au garde des Sceaux, 23 oct. 2020 ; JCP 2017. 196, obs. F. G’Sell).

Une réforme ambitieuse mais en partie avortée de la formation initiale

La dernière réforme de la formation initiale des avocats remontait à la loi n° 2004-130 du 11 février 2004, entrée en vigueur au 1er septembre 2005. Depuis cette date, le CNB avait proposé, sur rapport de sa commission formation (CNB, AG 10-11 oct. 2014 et 16-17 nov. 2018), un projet de réforme dont l’objectif était à la fois de raccourcir la durée de la formation au sein des CRFPA (de 18 à 12 mois), d’élever en contrepartie le niveau de diplôme requis au grade de Master et de renforcer le caractère professionnel des enseignements, notamment par une organisation du cursus de formation en alternance.

Le ministère de la Justice avait alors été saisi de l’ensemble de ces propositions de réforme. Dans un souci de simplification et d’égalité républicaine des candidats, un nouvel examen national d’accès au CRFPA a d’abord été institué par la publication du décret n° 2016-1389 du 17 octobre 2016 modifiant les conditions d’accès au CRFPA et l’arrêté conjoint du garde des Sceaux, ministre de la Justice, et du ministre chargé de l’Enseignement supérieur, du 17 octobre 2016 en fixant le programme et les modalités. Le 15 avril 2021, le Conseil constitutionnel saisi par le Premier ministre, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 37 de la Constitution, avait cependant refusé le déclassement de deux dispositions législatives relatives à la formation initiale des avocats, pourtant nécessaires à la mise en œuvre des préconisations formulées par le CNB (Cons. const. 15 avr. 2021, n° 2021-292 L, JO 16 avr., n° 76). Pour le Conseil constitutionnel, relèvent du domaine de la loi la condition d’obtention d’une maîtrise en droit pour l’accès à la profession d’avocat (mots « une maîtrise » figurant au 2° de l’art. 11 de la loi du 31 déc. 1971) et la durée de la formation professionnelle exigée pour devenir avocat (mots « au moins dix-huit mois » figurant au 1er al. de l’art. 12 de la loi du 31 déc. 1971). Sont également déclarées contraintes à la constitution les dispositions de la loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle habilitant le gouvernement à recourir à des ordonnances pour modifier les règles d’accès à la profession d’avocat (Cons. const. 17 nov. 2016, n° 2016-739 DC, § 91, Dalloz actualité, 21 nov. 2016, obs. A. Portmann ; AJ fam. 2016. 587, étude M. Ferrié ).

Finalement, pour respecter ce cadre législatif obligatoire, ce sont les dispositions de loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 qui ont relevé au Master (M2) le niveau de diplôme requis pour intégrer la profession d’avocat, en concordance avec la réforme des diplômes de l’enseignement supérieur (LMD), et en conformité avec les autres professions judiciaires et juridiques telles que les notaires ou les commissaires de justice, la condition de diplôme pour l’accès au CRFPA demeurant au Master 1. Pour le surplus, le ministère de la Justice étant opposé à la réduction de la durée de la formation professionnelle exigée pour devenir avocat, la commission formation du CNB a dû poursuivre ses travaux en adoptant un périmètre restreint de ses propositions de réforme par voie réglementaire et renonçant à réduire la durée de la formation de dix-huit à douze mois.

Déroulement et contenu de la formation initiale

Le décret du 1er décembre 2023 précise tout d’abord les nouvelles modalités de mise en œuvre du projet pédagogique individuel (PPI). Il est désormais acté dans les textes que le PPI ne pourra pas être effectué dans un cabinet d’avocat établi en France (Décr., art. 18 modifiant l’art. 58 du décr. du 27 nov. 1991).

L’alternance est désormais envisagée comme une option, et non plus comme un choix dérogatoire « à titre exceptionnel » de l’élève (Décr., art. 19 modifiant l’art. 58-1 du décr. du 27 nov. 1991). Le CRFPA peut ainsi autoriser, à la demande de l’élève avocat et selon les possibilités d’organisation de l’établissement, que les périodes de formation soient effectuées sous forme d’alternance. Par ailleurs, en cas notamment de congés pour évènements (maternité, paternité, ou adoption), de maladie ou d’accident de travail, le conseil d’administration du CRFPA peut, sur demande de l’élève, prévoir que le déroulement ou la durée de la formation sont aménagés.

Au cours de la formation initiale, la langue étrangère devient un enseignement facultatif pour l’élève. Chaque CRFPA dispense en conséquence l’enseignement facultatif d’une langue étrangère vivante parmi celle prévues par un arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice (Décr., art. 17 modifiant l’art. 57 du décr. 27 nov. 1991, applicable à compter du 1er janv. 2025). La nouvelle décision à caractère normatif du 7 décembre 2023 du Conseil national des barreaux définissant les principes d’organisation et harmonisant les programmes de la formation des élèves avocats (DCN n° 2023-003, AG 7 déc. 2023, en attente de publication) prévoit que « S’ils en font la demande préalable, les élèves avocats reçoivent une...

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