Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Accord du 23 janvier 2023 : usages renforcés et mesures protectrices des auteurs

Un accord inédit instituant une rémunération fixe minimale pour les auteurs de documentaires est signé. Cette rémunération est due au titre d’une première étape d’écriture effectuée en exécution d’un contrat de commande et de cession de droits, cadre contractuel conforme aux usages audiovisuels.

Par Catherine Lebailly le 18 Avril 2023

Les organisations professionnelles d’auteurs et de producteurs représentatives dans le secteur du documentaire (Scam, Garrd, La Boucle documentaire, Satev, Spect, Spi, Uspa) ont signé le 23 janvier 2023, en présence des pouvoirs publics, un accord professionnel qui entérine pour la première fois les bases d’une rémunération minimale affectée à l’écriture d’un dossier de présentation d’un projet documentaire et la cession des droits qui en découle. Comme le mentionne expressément l’accord, les parties signataires ont choisi de circonscrire la négociation à l’instauration d’une enveloppe minimale à ce titre.

Cet accord a fait l’objet d’un arrêté d’extension en date du 22 février 2023, publié au Journal officiel le 5 mars 2023, rendant obligatoires, à toute entreprise de production d’œuvres audiovisuelles, les stipulations relatives à la rémunération minimale du dossier de présentation d’un projet documentaire d’une durée égale ou supérieure à 52 minutes.

Il s’agit du premier accord en faveur d’une rémunération minimale signé sous l’égide de l’ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 transposant la directive (UE) n° 2019/70 du 17 avril 2019, qui entre dans le champ du code de la propriété intellectuelle et rend dès lors infondée toute analyse effectuée sous le prisme du droit social.

Le secteur audiovisuel poursuit son travail de structuration à travers la conclusion d’accords interprofessionnels basés sur les usages

L’usage constant du contrat de commande de texte et de cession de droits

Le dispositif mis en place par l’accord du 23 janvier 2023 s’applique à la commande d’un dossier de présentation de projet d’œuvre documentaire, assortie de la cession des droits d’auteur y afférents.

Il est d’usage constant dans le secteur de la production audiovisuelle de signer des contrats de production audiovisuelle, généralement intitulés « Contrat de commande de texte et de cession de droits », qui couvrent à la fois la commande d’un travail d’écriture et la cession de droits correspondante.

Les nombreuses matrices de contrat de cette nature élaborée par les organisations professionnelles, tant d’auteurs que de producteurs, et proposées à leurs adhérents respectifs, en attestent. Ces modèles, quelles que soient leurs différences, ont une architecture comparable en ce qu’ils encadrent les conditions de la commande de texte et celles de la cession des droits d’auteur correspondants. La cession des droits de l’auteur est associée à la commande de l’écriture du texte objet du contrat.

Le constat de ces usages figure dans le « Rapport de mission sur le contrat de commande » de Monsieur Pierre Sirinelli et Madame Sarah Dormont de décembre 2020, résultant de la mission qui leur avait été confiée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). À titre de rappel, cette mission avait pour objet d’étudier les suites à donner à l’une des propositions du rapport Racine (L’auteur et l’acte de création du 22 janv. 2020) relative à la possible édification d’un régime juridique du contrat de commande d’une œuvre de l’esprit.

L’institution d’une rémunération fixe par les usages

De longue date, les usages professionnels ont consacré, au bénéfice des auteurs d’une œuvre audiovisuelle, l’existence d’une rémunération fixe (par opposition à la rémunération proportionnelle légale définie par le code de propriété intellectuelle) venant palier le caractère tardif de la rémunération proportionnelle qui est associée à l’exploitation effective de l’œuvre.

Ainsi, une rémunération fixe figure dans l’essentiel des contrats conclus pour la commande des travaux d’écriture d’une œuvre audiovisuelle. Si la rémunération fixe est libérée au stade de la commande, il n’en demeure pas moins que l’ensemble de la rémunération versée à l’auteur d’une œuvre audiovisuelle en exécution de son contrat couvre à la fois le travail d’écriture effectué en amont et l’exploitation de cette œuvre intervenant en aval. Cette exploitation suppose la cession préalable des droits de l’auteur au producteur, organisée par le contrat.

La rémunération fixe attribuée à l’étape de la commande d’un texte permet à l’auteur d’être payé au moment où il procède au travail d’écriture, bien avant la phase d’exploitation de l’œuvre achevée. Cette rémunération n’est cependant pas sans lien avec l’exploitation de l’œuvre en aval puisqu’elle revêt souvent une double nature : une partie de cette rémunération pouvant revêtir la qualité de prime d’inédit, l’autre celle de minimum garanti à valoir sur les sommes revenant à l’auteur au titre de l’exploitation de l’œuvre, en application de la rémunération proportionnelle légale.

Jusqu’alors, la rémunération fixe prévue au contrat ne faisait l’objet d’aucun encadrement. En ce sens, aucune rémunération minimale n’était rendue obligatoire.

L’accord du 23 janvier 2023 constitue donc une réelle avancée dans le sens de la protection des auteurs.

Comme l’affirme les auteurs d’un article publié dans l’édition du 27 mars 2023 (Dalloz actualité, 27 mars 2023, obs. C. Pascal et D. Goulette) :

« Il ne faut pas sous-estimer la portée historique de l’accord. C’est en effet la première fois qu’un accord professionnel destiné aux auteurs vient encadrer et reconnaitre une rémunération minimale (….) En ce sens, l’accord s’inscrit pleinement dans le sillage des recommandations de la mission du CSPLA sur le contrat de commande, qui avait conseillé de ne pas légiférer pour encadrer ce contrat, mais de renvoyer aux organisations professionnelles le soin de le faire (P. Sirinelli et S. Dormont, Mission du CSPLA sur le contrat de commande, déc. 2020) ».

Une rémunération fixe, jamais encadrée jusqu’alors, pour une première étape d’écriture : le dossier de présentation d’un projet documentaire

Pour la première fois, un accord interprofessionnel consacre le principe d’une rémunération fixe minimale, versée à l’auteur au moment de la commande de l’écriture d’un ensemble de textes. L’accord documentaire du 23 janvier 2023 définit en effet une rémunération minimale en contrepartie de l’écriture d’un dossier de présentation de projet d’œuvre documentaire, unitaire ou sérielle, d’une durée supérieure ou égale à 52 minutes.

Afin d’éviter tout amalgame sur l’objet de la rémunération minimale fixée par l’accord précité, il convient d’en rappeler les contours au regard des différentes définitions en usage dans le secteur de la production documentaire. La rémunération minimale globale fixée à l’article 2 de l’accord du 23 janvier 2023 porte sur le dossier de présentation du projet documentaire.

Le périmètre de la rémunération minimale : le dossier de présentation d’un projet documentaire

La définition du Dossier de présentation du projet documentaire tel que visé par l’accord est la suivante : « dossier comprenant le synopsis, la note d’intention et le note de réalisation de l’œuvre tels que définis dans le Glossaire documentaire annexé à la Charte des usages du 24 janvier 2020 ». C’est une définition stricte, se rapportant à un ensemble de trois éléments précisément déterminés.

Cette définition spécifique est issue d’une charte des bonnes pratiques signée entre les organisations d’auteurs, les organisations de producteurs et France Télévisions, le 19 janvier 2022. Elle est donc ajustée aux pratiques sectorielles et aux usages au sein du groupe audiovisuel public France Télévisons qui est, rappelons-le, un acteur majeur du genre documentaire compte tenu de son investissement dans le financement des œuvres qui en relèvent.

Toutefois, afin d’éviter toute erreur qui viendrait nourrir une mauvaise interprétation de l’accord de janvier 2023 dont il est question ici, cette définition est à distinguer de la définition du Dossier documentaire figurant dans le Glossaire annexé à la Charte des usages professionnels relevant du Répertoire de la SCAM.

En effet, la définition du dossier documentaire est plus vaste puisqu’elle se rapporte à un ensemble de documents destinés à présenter l’œuvre documentaire, selon des modalités variables, choisies par le producteur. Les contours de ce dossier sont à géométrie variable puisqu’il peut être constitué de tout ou partie des écrits dont le Glossaire vient donner la définition (à savoir : le résumé, le synopsis, le séquencier, le scénario, la note d’intention, la note de réalisation, le commentaire, la bible documentaire).

Ainsi, lorsque l’accord de janvier 2023, stipule en son article 1er que le Dossier de présentation du projet documentaire est composé des trois éléments : synopsis, note d’intention, note de réalisation « …tels que définis dans le Glossaire documentaire », c’est à la définition respective de chacun de ces items dans le glossaire qu’il renvoie, et non à la définition (rappelée ci-dessus) du dossier documentaire.

Il est donc tout à fait erroné de prétendre, comme on a pu le lire, que la définition du Dossier de présentation du projet documentaire serait une définition « flexible ». Une telle appréciation relève d’une erreur d’analyse, sous-tendue par une mauvaise référence à une définition qui n’est pas celle qui fonde l’accord du 23 janvier 2023.

C’est en contrepartie de l’écriture intégrale des trois éléments composant le Dossier de présentation du projet documentaire et de la cession des droits y afférents qu’une rémunération minimale est imposée par l’accord du 23 janvier 2023.

Les modalités d’encadrement de la rémunération minimale

L’accord détermine une rémunération minimale de mille euros bruts, due dans tous les cas de figure au titre du contrat de commande et de cession de droits relatif au dossier de présentation du projet documentaire. Puis il aménage, au bénéfice de l’auteur ou des co-auteurs de ce dossier, une rémunération additionnelle pour atteindre la somme globale minimale de 2 000 mille euros bruts, ce dès lors que le producteur a réuni un certain niveau de financement (6 000 € bruts) au titre du développement ou de la production de l’œuvre documentaire concernée.

Afin de prendre en compte l’ensemble des pratiques et la diversité des modalités de développement des œuvres, l’accord envisage également le cas particulier d’un développement dans le cadre duquel l’écriture d’une partie seulement des éléments constitutifs du dossier de présentation du projet documentaire serait commandée. La rémunération correspondante est dans ce cas laissée à la négociation de gré à gré entre les parties au contrat.

Cette hypothèse est visée à l’article 2.2 de l’accord du 23 janvier 2023. Elle se rapporte notamment aux cas de figure dans lesquels une partie de l’écriture (le plus souvent la note d’intention) est effectuée par les équipes internes de la société de production. Dans ce cadre, ce sont bien les personnes physiques chargées du développement au sein de la structure de production qui peuvent prendre en charge cette étape d’écriture et non – comme d’aucuns prétendent – la société de production elle-même, personne morale à qui la qualité d’auteur ne peut être reconnue.

Le cas particulier de l’option

L’accord, dans son article 2.3, aménage le cas particulier d’une option prise sur tout ou partie d’un dossier de présentation d’un projet documentaire pré-existant :

2.3 -1er paragraphe : « Le montant affecté à la prise d’une option par le producteur délégué sur un dossier de présentation d’un projet de documentaire qui aurait été préalablement écrit par un ou plusieurs auteurs n’est pas assujetti au respect de la rémunération minimale. Il est négocié de gré à gré entre les parties. »

S’il prévoit que le montant affecté à la prise de l’option est déterminé de gré à gré entre les parties, l’accord stipule néanmoins au second paragraphe du même article que le montant versé à l’auteur, au moment de la levée de l’option par le producteur, doit être au moins égal au montant de la rémunération minimale globale :

2.3 -2nd paragraphe : « Toutefois, dans l’hypothèse de la levée de l’option, le montant total de la somme versée par le producteur délégué (soit celle versée au titre de l’option et celle versée au titre de la levée de l’option) devra être au moins égal au montant de rémunération minimale globale. »

Ainsi, lorsque le SFR-CGT, qui n’avait pas qualité à signer l’accord du 23 janvier 2023, recommande dans un communiqué de presse du 13 février 2023 relatif à son application, la signature d’un contrat d’option pour une durée limitée de six mois, considérant que « cet accord ne doit en aucun cas s’inscrire dans le cadre d’un contrat définitif de cession de droits d’auteur », il trahit à la fois l’esprit de l’accord et l’intention des parties.

Il méconnaît dangereusement le cadre juridique d’application stricte d’une option, qui ne peut porter que sur un élément pré-existant comme cela est expressément rappelé dans l’accord du 23 janvier 2023, et ce dans l’intérêt même des auteurs. Il contrevient aux usages contractuels en vigueur en dissociant artificiellement la rémunération affectée au travail d’écriture et la cession des droits inhérents à ce travail, dont il est également prétendu qu’elle devrait faire l’objet d’un contrat ultérieur.

L’accord du 23 janvier 2023, aujourd’hui étendu par arrêté du ministère de la Culture du 22 février 2023 et rendu obligatoire à ce titre, consacre l’existence d’un contrat entre auteurs et producteurs audiovisuels de documentaires couvrant à la fois la commande et la cession des droits d’auteur, conformément aux usages du secteur. Sa principale innovation est de protéger les auteurs par l’instauration d’une rémunération minimale qui leur est versée en amont et dans tous les cas garantie, quels que soient en aval les futurs résultats d’exploitation de l’œuvre documentaire.