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Le droit en débats

La CIIVISE et la justice restaurative. Une charge excessivement « injuste »

« L’État fait peu de cas
de la parole des victimes de violences sexuelles
subies dans l’enfance »
Camille Kouchner

Par Robert Cario le 26 Avril 2024

La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) a publié le 20 novembre 2023 son rapport public des activités menées durant ses trois années de mandat. Il est d’une très grande richesse, particulièrement en ce qui concerne les parties 1 : Les piliers (l’enfant, la violence, la parole), 2 : La réalité (l’enseignement des témoignages, les agresseurs, les victimes) et 4 : La protection (repérage des enfants victimes, traitement judiciaire, réparation incluant le soin, prévention des violences sexuelles).

Le travail d’audition des victimes est remarquable : près de 30 000 témoignages. « Chacun d’eux est unique, chaque voix est unique, chaque histoire est singulière ». Les éléments statistiques obtenus sont très opportuns mais témoignent surtout des incroyables caractéristiques des agresseurs pédocriminels (presque exclusivement membres de la famille) et des gravissimes blessures consécutives, perdurant de très longues années après les victimisations subies. Selon le rapport, 160 000 mineurs sont victimes d’agressions sexuelles chaque année, notamment d’inceste. Pour autant, les condamnations sont exceptionnelles : dans seulement 3 % des cas. Un tel traitement judiciaire est effectivement inacceptable, gage d’impunité pour les uns, de souffrances perpétuelles pour les autres.

Les préconisations de la CIIVISE (au nombre de 82) sont essentielles et quelques-unes très pertinentes. Il en va ainsi de l’ordonnance de sûreté (préconisation 26). Les autres préconisations, pas toujours mais anormalement non appliquées portent, d’une manière synthétique sur : la spécialisation de tous les acteurs de la chaîne pénale ; la nécessité de créer de nouvelles procédures et d’en renforcer d’autres préexistantes ; le développement de services de soins spécifiques aux violences sexuelles sur enfant, de la révélation des faits à la potentielle guérison des victimes ; l’essentielle prévention de telles violences. Plus généralement, il importe que la continuité des missions de la CIIVISE soit assurée (dernière préconisation).

Néanmoins, au moins l’une d’entre elles pose réellement question quant à l’imprescriptibilité des infractions sexuelles (préconisation-clé 4, n° 60) commises sur des enfants, entendus comme des mineurs de dix-huit ans, au sens des conventions et traités internationaux. Les crimes de génocide, d’agression, de viols comme arme de guerre, les tortures, les disparitions forcées, notamment, sont la preuve formelle de leur existence : découvertes de charniers, psycho-traumatismes persistants des survivants et de leurs descendants, principalement. À cette aune, les crimes sexuels dont souffrent les mineurs ne sauraient devenir imprescriptibles. D’autant plus que les délais de prescription ont déjà été considérablement allongés par le législateur en 2018 (30 ans après la majorité de la victime, art. 7, al. 1, c. pr. pén.) et 2021 (prescription glissante au cas de crimes sexuels sériels, art. 7, al. 3, du même code). Il est notable que la preuve matérielle des faits après de si longs délais est extrêmement difficile à rapporter, dans un système exclusivement probatoire comme le nôtre. Les poursuites susceptibles d’être engagées « au-delà du doute raisonnable » en droit anglo-saxon ne sont guère significativement plus favorables aux victimes concernées. On peut alors craindre une nouvelle et violente revictimisation au regard du (dys)fonctionnement actuel des systèmes de justice pénale. Il importerait sinon d’inverser le postulat selon lequel in dubio pro reo, de croire plus systématiquement les mineur.e.s victimes d’agressions sexuelles, au sens large, de reconnaitre également que in dubio pro victima. La temporalité de la révélation d’abus sexuels subis durant la minorité est très souvent longue. Mais le constat de la lenteur de la réponse pénale, lorsqu’elle est possible, l’est davantage encore. D’autres réponses sont possibles depuis l’ajout, en 2021, notamment, d’un dernier alinéa à l’article D.1-1-1 du code de procédure pénale invitant, en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe, d’acquittement ou de prescription de l’action publique, le procureur de la République à vérifier si une mesure de justice restaurative est susceptible d’être mise en œuvre. Il convient encore de rappeler que le législateur a institué une présomption de non-consentement pour les mineurs de quinze ans victimes de violences sexuelles et, au cas d’inceste, pour les mineurs de dix-huit ans (C. pén., art. 222-24 et 222-24). La prévention très précoce des violences faites aux mineurs par l’éducation demeurant bien évidemment primordiale.

Plus étonnamment encore, des développements sur « l’injustice restaurative », uniquement à charge et souvent à partir d’arguments falsifiés, sont proposés dans un chapitre conséquent, sans faire par ailleurs l’objet d’une préconisation, parmi les 82 retenues, fût-elle nuancée. Une telle opposition systématique à offrir aux mineurs, quel que soit leur genre, la possibilité de participer à une mesure de justice restaurative, dans de telles situations, s’inscrit contre les dispositions de la loi, autant au regard de l’article 10-1 du code de procédure pénale (et non du code pénal… sic !) que de l’article L. 13-4 du code de la justice pénale des mineurs… qui y renvoie spécifiquement. Il apparaît indispensable de noter qu’un nombre très infime d’acteurs de terrain (depuis 2010) n’a été auditionné par ladite commission.

Dans le même sens, la bibliographie réduit à une peau de chagrin les multiples recherches et publications françaises. Une telle méconnaissance de la philosophie restaurative, des mesures qu’elle promeut, de la méthodologie mise en place, du professionnalisme des animateurs spécialement formés, des bienfaits validés scientifiquement mérite que l’on s’y attarde sérieusement.

Les fondamentaux de la justice restaurative sont galvaudés

Il est fallacieux de prétendre que les premières mesures restauratives ont été mises en place dès les années 80 par les services d’aide aux victimes ou de contrôle socio-judiciaire. Il s’agit sans doute là d’une confusion avec la médiation pénale, la réparation pénale à l’égard des mineurs ou la médiation familiale qui ne sont, en aucun cas, restauratives car prononcées par un magistrat. La première expérimentation de « rencontres détenus-victimes » s’est déroulée en 2010 à la Maison centrale de Poissy. Il est faux de considérer que malgré la loi du 15 août 2014 et les textes qui s’ensuivirent : l’article 10-2 (2015) et l’article D.1-1-1 du code de procédure pénale (2020, 2021) malgré les guides ministériels publiés en 2020 (Guide méthodologique) et 2021 (La justice restaurative pour les mineurs), les mesures restauratives demeurent « rares » aujourd’hui (v. infra). Les rédacteurs du rapport semblent ignorer les freins réels qui entravent aujourd’hui de manière illégitime leur développement : non application de l’article 10-1 du code de procédure pénale par ceux en charge d’y pourvoir tout au long de la chaîne pénale ; interprétations erronées du texte quant à son domaine d’application ; quasi absence de temps dédié pour la mise en œuvre des mesures restauratives au bénéfice des animateur.es formé.e.s ; improvisations dommageables dans quelques programmes pseudo-restauratifs, notamment.

Quant à « l’effort de financement de l’État » souligné par le rapport, il est largement en dessous des réels besoins du terrain au regard de la multitude des demandes de participation à de tels dispositifs restauratifs, exponentielle depuis le film authentique de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages, plébiscité par les citoyens (près de 2 millions de spectateurs, si l’on y ajoute les multiples cin’échanges qui ont lieu aujourd’hui encore, un an après sa sortie en salle). Un tel tableau n’a rien d’« idyllique » : la justice restaurative séduit parce que, enfin, les participants sont au cœur des mesures restauratives, dont le déroulement leur appartient, fondé sur leurs attentes relativement aux répercussions dans leur vie quotidienne, apparues dès après les faits et que le procès pénal n’a pas résolues ou n’a pu résoudre, principalement aux cas d’impossibilité de mise en mouvement de l’action publique ou de la faire perdurer. Ce qui est massivement la réponse pénale lorsqu’il s’agit d’agressions sexuelles dont sont victimes les mineurs de dix-huit ans.

L’article 10-1 du code de procédure pénale (pas davantage l’art. L. 13-4 CJPM) n’exclut aucune infraction. Et c’est là sa richesse. Les divers documents disponibles qui souhaitent interdire l’accès aux infractions à caractère sexuel contre des mineurs soulignent « qu’elles se prêtent peu » à la justice restaurative, qu’elles supposent une « attention spécifique » lorsqu’elles ont été commises par un proche (au sens large). Il ne s’agit là que de subjectivismes : quinze pages consacrées à la déconstruction en règle de la justice restaurative. La « réalité » démontre, bien au contraire, les bienfaits des mesures restauratives quand les conditions de mise en œuvre sont remplies.

Les cinq conditions requises (et non pas les « 4 prérequis ») constituent bien « des garde-fous légaux », d’autant plus que la mise en œuvre d’une mesure restaurative fait l’objet d’un contrôle de conformité de la part de l’autorité judiciaire ou, à sa demande, de l’administration pénitentiaire. Pas d’« imprudence », bien au contraire. Les promoteurs de la justice restaurative ont toujours eu le souci de la prudence afin d’éviter toute forme de revictimisation des personnes concernées. Dans le même temps, ils n’ont pas manqué de constater l’incurie des juridictions répressives en ce domaine particulier des violences sexuelles, au sens large. La circulaire du 15 mars 2017 indique, par ailleurs et à juste titre, que ces mesures restauratives ne sont pas assimilables à un acte de procédure. Autonomes, les principes généraux de la procédure pénale ne leur sont pas applicables, ce qui est légitime, car elles s’intéressent aux répercussions du crime (l’avenir des personnes dans leur quotidien), en rien aux conséquences de celui-ci (sanction de l’un, indemnisation de l’autre) tournées vers le passé de la faute.

La première condition est relative à l’information. Le déroulement de la mesure doit être présenté en détail aux justiciables : personne infracteure ou personne victime, mineures comme majeures selon les cas. Elle doit leur être systématiquement donnée par tous les professionnels de la chaîne pénale, institutionnels comme associatifs (C. pr. pén., art. 10-2 et D.1-1-1). La deuxième porte sur la reconnaissance des faits. Seul le déni massif et répété exclut le recours à une mesure restaurative. Un déni partiel conduit très souvent à une reconnaissance complète lors des entretiens de préparation, voire lors de la rencontre elle-même, quelle qu’en soit la modalité : médiation restaurative en face-à-face, conférence restaurative, rencontre détenus-victimes dans les RDV/RCV ; échanges épistolaires ou encore par média interposés, toujours en présence des animateurs formés. La troisième concerne le consentement à y participer, toujours rétractable, tout au long de la session restaurative. Si « des craintes […] (devaient être) exprimées », les intéressés ne choisiront pas d’y participer ou, au cas de vulnérabilité trop importante, les animateurs les dirigeront vers d’autres prises en charge mieux adaptées. La quatrième impose que la confidentialité des échanges soit absolue, sauf les cas prévus par la loi. La dernière, essentielle, oblige les animateurs à valider une formation spécifique en justice restaurative.

L’article L. 13-4 du code de la justice pénale des mineurs y ajoute deux conditions, légitimes : le discernement et l’accord des représentants légaux. La question du discernement des mineurs infracteurs n’est pas nouvelle. L’article L. 11-1 introduit cependant une présomption nouvelle de discernement selon leur âge au moment des faits. En ce sens, les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Simples, elles supportent la preuve contraire. Le discernement consiste, d’une part, en l’aptitude à comprendre l’objectif (de dialogue), le contenu et le déroulement de la mesure restaurative envisagée, et la capacité à en tirer profit pour l’avenir, d’autre part. La preuve de la maturité lors du passage à l’acte sera par ailleurs bien difficile à établir dans la mesure où la plupart des travaux scientifiques sur cette notion l’établissent autour de trente ans. Par conséquent et a fortiori, en cas de refus de la part des représentants légaux du mineur concerné de le voir exercer, son droit à la justice restaurative va à l’encontre de « son intérêt supérieur » (CJPM, art. L. 11-1).

L’espace de dialogue ainsi sécurisé ne constitue, en aucune manière, « une injonction au pardon qui ne dit pas son nom ». Qu’il soit d’origine religieuse ou profondément laïque, il demeure définitivement intime aux protagonistes et ne saurait donc être l’objectif de la justice restaurative. La sélection des travaux qui le prônent dans le rapport est en totale contradiction avec la position, toujours affirmée, de l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR). Dans le même sens, les dispositifs restauratifs ne peuvent être considérés comme thérapeutiques, quand bien même les recherches scientifiques évaluatives internationales, comme les enquêtes nationales menées par l’IFJR, soulignent qu’ils produisent des « effets thérapeutiques », pour cette simple et unique raison que les participants sont placés au cœur de la mesure. Le programme leur appartient, à eux seuls. Leur cheminement, toujours différentiel, s’inscrit autour de leurs attentes, explorées et scénarisées selon une méthodologie relationnelle particulière. Beaucoup de participants précisent que ce qu’ils déposent lors de la rencontre restaurative, ils ne l’ont jamais « évoqué » avec les intervenants qu’ils côtoient ou qu’ils ont côtoyés, quels qu’ils soient. Ces effets thérapeutiques sont donc indéniables et, le cas échéant, peuvent enrichir les thérapies engagées par les professionnels du soin.

Ces cinq conditions remplies déterminent l’orientation, sans filtre (en d’autres termes que personne ne décide à leur place), vers les animateurs, ouvrant par là même le droit de participer à une potentielle mesure restaurative. Afin de ne pas (re)victimiser les participant.e.s, une méthodologie restaurative doit être mise en place. De manière incompréhensible, elle est sacrifiée sur l’autel de la mauvaise foi dans le rapport de la CIIVISE.

La méthodologie de la justice restaurative est sacrifiée

Improvisation et précipitation sont exclues en justice restaurative, le risque de revictimiser les potentiels participants n’est absolument pas envisageable. Toutes les rencontres restauratives suivent un protocole standard rigoureux, établi par l’IFJR et les acteurs de terrain, avec des variantes en fonction des mesures restauratives entreprises. Il s’organise en trois phases successives. La phase préalable, consiste en la signature d’une convention de partenariat entre tous les partenaires locaux souhaitant s’impliquer dans un programme restauratif. Elle désigne un « groupe projet » opérationnel en charge de rédiger le cahier des charges. Dès lors que la personne accueillie souhaite bénéficier d’une mesure de justice restaurative et que les conditions énumérées à l’article 10-1 sont remplies, une proposition d’orientation vers les animateurs (au sens large) lui est faite (v. not., IFJR, Guide de l’orientation en justice restaurative).

La phase préparatoire s’organise autour d’au moins trois entretiens individuels, séparément, avec chaque personne orientée, visant essentiellement à identifier leurs motivations et leurs attentes ; à vérifier et garantir le caractère volontaire de leur démarche ainsi que de la possibilité qui en découle de quitter le programme à tout moment ; à les informer que la participation potentielle à la mesure est totalement gratuite (pas d’aménagement de peine pour les uns ; pas d’indemnisation supplémentaire pour les autres, notamment) ; à indiquer que les participants ne sont pas là pour créer des liens, mais pour cheminer à titre personnel vers un possible horizon d’apaisement. En d’autres termes, la mesure appartient très concrètement aux participants eux-mêmes.

La phase opérationnelle conduit à la ou les rencontres restauratives proprement dites (v. sur ces différents points, les cahiers des charges rédigés par l’IFJR.

Néanmoins, plusieurs principes méthodologiques invariables sont à respecter. Lors de chaque temps de rencontre plénière, les animateurs veillent, notamment, à rappeler le cadre de la rencontre, en particulier les principes de respect mutuel et d’écoute de la parole de chacun, de confidentialité des échanges.

Tout au long de la mise en œuvre de la mesure restaurative retenue, l’IFJR est susceptible d’intervenir, à la demande du « comité de pilotage » et/ou du « groupe projet » pour accompagner la mise en œuvre du programme retenu. Une supervision technique (et non clinique) peut également être envisagée. Plus essentiel encore, afin d’assurer la dissémination des bonnes pratiques en justice restaurative, une évaluation s’impose : satisfaction des participants, performances des protocoles, impacts sur les pratiques des professionnels concernés.

Au cas de rencontres détenus ou condamnés/victimes, des personnes bénévoles, désignées sous l’appellation de membres de la communauté, spécialement formées, sont présentes pour écouter, entendre, encourager les personnes auteures et victimes, dans une posture de bienveillance inconditionnelle et de pluri partialité. Mais ils ne sont pas des participants, au sens strict. Leur rôle essentiel est d’accueillir les émotions, selon une stratégie de peu de mots, pour que celles-ci ne demeurent pas sans réponse.

La participation à un atelier restauratif est susceptible de perturber au plan psychique, plus ou moins profondément, les personnes qui s’y investissent. Si l’une d’entre elles en éprouve le besoin, il importe de lui offrir une écoute professionnelle tout au long du programme. Il ne s’agit pas de mettre en place un suivi thérapeutique mais de prévoir, si le besoin s’en fait sentir, une orientation vers les professionnel.les compétent.e.s afin d’éviter toute revictimisation. Tout comme ce protocole rigoureux, la préparation des participant.e.s repose sur une approche spécifique à la justice restaurative, en vue d’une potentielle rencontre entre la personne infracteure et la personne victime liées par la même affaire ou dans le cadre de rencontres entre personnes ne se connaissant pas mais ayant subi ou posé des actes similaires.

L’approche relationnelle en justice restaurative

Au regard de la doctrine et des pratiques disponibles, l’approche relationnelle, pratiquée et théorisée par Serge Charbonneau et Catherine Rossi au Québec, apparaît comme la plus pertinente et la plus prometteuse. L’approche relationnelle repose sur quatre principes intangibles. Son seul objectif est de favoriser un possible « dialogue » entre la personne victime et la personne infracteure. La méthode pour atteindre ce seul objectif est le « dialogue ». Le troisième principe requiert « la préparation des participants » au sein des ateliers de communication. La posture de l’animateur est le quatrième principe de l’approche relationnelle. Il est invité à se considérer comme « non sachant » par rapport à la manière dont chaque personne impliquée a pu vivre l’infraction. Il n’est donc pas un « expert » et s’abstient de toute suggestion.

L’animateur dispose de trois outils spécifiques. Tout d’abord, l’écoute attentive est nécessairement privilégiée. Elle ne doit pas être confondue avec l’écoute active, pas davantage avec l’écoute réflexive. Il ne doit utiliser que des questions ouvertes (exceptionnellement fermées). Il s’abstiendra toujours d’utiliser les techniques d’écoute et d’entretien, sauf et très parcimonieusement, l’écho. Le second outil conduit ensuite le ou les animateurs à inviter la personne à « explorer », « en profondeur », son vécu et ses attentes par rapport au processus restauratif engagé, de manière très exhaustive. Le troisième et dernier outil est la « scénarisation » de l’échange potentiel pour permettre à la personne de « se projeter dans une réalité possible ». Par exemple, lors des entretiens de préparation individuels à une mesure de médiation restaurative, les médiateur.e.s invitent chacun des protagonistes à se projeter plus précisément sur la manière dont l’échange pourrait se dérouler : présentation des attentes respectives par une lettre, un appel téléphonique, un enregistrement audio ou vidéo, une rencontre à distance par vidéo, une rencontre en face-à-face ; les caractéristiques du lieu de l’échange principalement.

La finesse de la construction du modèle relationnel s’exprime encore autour de l’acronyme M.A.I.S. destiné à rassembler les éléments cruciaux, les « quatre piliers » à explorer et scénariser tout au long des ateliers de préparation (dont le nombre n’est pas défini) : « M » pour moi, « A » pour l’autre, « I » pour information et « S » pour sécurité. La prise en compte du « moi » de la personne consiste à explorer ses attentes, à rechercher dans le détail les répercussions de l’infraction sur sa vie quotidienne et son environnement depuis l’événement. Se préoccuper de l’« autre » invite les participants potentiels à scénariser les réactions de chacun à leur participation potentielle et à leurs réactions éventuelles aux paroles qui seront échangées. Obtenir des « informations » est un droit pour les personnes concernées : déroulement du dispositif, la qualité et les compétences des animateurs, notamment. La « sécurité » comporte trois sous-dimensions. Tout d’abord, les animateurs doivent considérer « les mécanismes de protection dont elle dispose au quotidien ». Ensuite, ils doivent prendre en compte les « risques externes potentiels » auxquels la personne peut être exposée au cours du processus. Enfin, ils doivent s’assurer de la concordance des attentes des personnes impliquées, d’une part et de la conformité de celles-ci avec les principes de la justice restaurative, d’autre part. À l’issue de la mesure restaurative, selon les modalités propres à chacune, les animateurs recueillent, individuellement, les réalités du cheminement des participants, toujours différentiel, au regard de leurs attentes initiales.

La formation des animateurs en justice restaurative est considérée dans le rapport de la CIIVISE comme ne les préparant pas à prendre en considération « les spécificités des violences sexuelles subies durant l’enfance ». Un tel a priori évacue, sans nuance aucune, voire même en forme de discrimination illégitime, les formations de base des animateurs concerné.e.s, tout comme les nombreuses formations continues sur ces thèmes précis qui leur sont proposées tout au long de leur vie professionnelle. Supposer que les animateur.e.s n’ont pas conscience des risques « de réactivation du trauma » et de « restauration de l’emprise » procède de la même condescendance. Mais de ces divers points de vue, on ne regrettera jamais assez l’aberrante et anachronique suppression, au cœur de l’été 2012, de la « Section 75 du Conseil national des universités, nouvellement créée par le précédent gouvernement, à cause de l’opposition idéologique radicale des chapelles « intra-disciplinaires », de tous bords, si caractéristiques de l’enseignement supérieur en France.

Consécutivement à la formation intégrée mise en place en juillet 2015 dans le cadre d’une convention tripartite associant l’IFJR, l’École nationale d’administration pénitentiaire et France-victimes, 230 mesures (118 médiations restauratives, 66 rencontres détenus-condamnés/victimes) ont été terminées entre 2017 et 2022 ; 113 mesures étaient en cours en 2022 (69 MR et 44 RDV/RCV). Un net ralentissement des programmes a eu lieu durant la pandémie de covid. À cette même date et conformément aux dispositions de l’article 10-1 du code de procédure pénale, 1 166 animateurs ont été spécialement formés par l’IFJR (416 en MR, 750 en RDV) ainsi que 425 personnes bénévoles ès qualités de membres de la communauté.

Les derniers développements du rapport sur la prétendue « injustice restaurative » apparaissent tout autant contestables, pour le moins, car totalement empreints de présupposés, totalement déconnectés des théories en criminologie (agressologiques et victimologiques) et des réalités du terrain restauratif.

Concernant la distinction opérée dans le rapport entre « conflit » et « violence », il faut entendre le conflit comme l’incapacité vécue par l’agresseur à résoudre une attente en tension relativement à une gratification qu’il suppose (H. Laborit), à cause d’un code psycho-socio linguistique restreint (B. Bernstein). Ne pouvant la contourner par un imaginaire suffisamment riche, sa violence s’exprime alors sous la forme la plus dégradée du langage, de la communication intersubjective : le passage à l’acte. En paraphrasant G. Canguilhem, il est encore possible de souligner que le conflit, logiquement second, devient ainsi existentiellement premier.

L’« impasse éthique », supposée porteuse d’une « égalité de position insupportable » ignore la distinction essentielle en justice restaurative entre conséquences et répercussions. Il a déjà été souligné que le traitement de l’acte criminel est de la seule compétence du juge pénal qui ne manquera pas, s’il est concrètement saisi, de sanctionner le caractère illégal du crime et d’indemniser la victime et/ou ses proches (v. not., préconisations 61 s.). Partant, afin que les attentes de chaque participant.e soient concordantes, il est indispensable de les préparer selon la même approche relationnelle. À défaut, des risques de revictimisation sont probables. Si des poursuites pénales sont engagées, le juge n’est pas désarmé par la mesure restaurative entreprise. Si l’action publique s’éteint (très massivement comme le souligne le rapport), seule la justice restaurative demeure disponible pour offrir aux protagonistes un espace inédit d’échanges, de parole, sans jugement et sécurisé. Il est encore acquis que les participants infracteurs ne bénéficieront d’aucun aménagement de peine (réduction de peine ou libération anticipée) et que l’initiative de la demande de participation à une mesure provient, pour moitié, des personnes victimes. La prise en compte des répercussions dans le cadre d’une rencontre restaurative va, en effet, au-delà de la réparation, afin de considérer tout ce qui, dans la vie quotidienne après le crime, n’entretient pas de lien direct et immédiat avec l’acte, qu’ils aient souffert personnellement du dommage directement causé par l’infraction ou non.

Selon un parti-pris de même nature, argumenter autour des postulats de « l’inconscience du mal », de « personnalités peu à même de reconnaître leurs torts » (en omettant que certains infracteurs sont atteints de psychoses), d’autant plus que la démarche restaurative viserait à « prouver la bonne foi de l’agresseur », est totalement « erroné ». Le « déni de justice » consisterait encore à « reléguer les violences sexuelles à la sphère privée ». Le comble semble atteint lorsque le rapport considère que « la prévention [est] payée par les victimes ». Est-il normal de devoir répéter, inlassablement, la loi républicaine applicable aux personnes infracteurs majeures ou mineures, quand le droit et le soin ne suffisent pas car très insuffisamment et inégalitairement accessibles, les conditions d’orientation et de mise en œuvre des mesures restauratives, leur protocole rigoureux, leur méthodologie spécifique, la formation spécifique des animateurs (au sens large), soutenus, chaque fois que cela s’avère indispensable, par de très nombreux autres professionnels « ressource » ?

Les bienfaits observés à la suite de la participation à une mesure restaurative, sans négliger le fait que le processus est par lui-même source de cheminement, toujours différentiels selon les attentes initiales des parties et les réponses qui y sont apportées au cas de potentielle rencontre, sont multiples et souvent diversifiés, de nature, surtout, à contredire les constats de la CIIVISE. Les évaluations scientifiques disponibles révèlent que, principalement, les participant.e.s apprécient d’être reconnue, enfin, comme des personnes, non réductibles à un statut juridique, très prégnant au cours du procès pénal et durant l’exécution de la peine. La reconquête de l’estime de soi, la disparition pour les victimes de tout sentiment de culpabilité, la responsabilisation concrète des personnes infracteures face à des personnes victimes (liés ou non par la même affaire), la réduction de la récidive, principalement, apparaissent comme autant d’autres bénéfices. Les résultats des enquêtes nationales menées par l’IFJR depuis quelques années s’en rapprochent, bien que non représentatifs à ce jour. Il ne fait aucun doute que des évaluations scientifiques doivent également se dérouler en France entière (métropole et Outre-mer). Vérifier si les mesures restauratives sont de bonnes pratiques, ou des pratiques prometteuses, est essentiel pour favoriser leur dissémination. À l’inverse, elles seront de nature à supprimer les mauvaises pratiques, sources intolérables de revictimisation des participants. Une volonté politique forte devrait conduire à les financer afin de dégager des ressources humaines pour effectuer de telles recherches.

Pour conclure sommairement, le pertinent rapport de la CIIVISE démontre l’ampleur, la gravité et la permanence des psycho-traumatismes provoqués par les violences sexuelles faites aux mineur.e.s (enfants et adolescents), largo sensu. Un tel dramatique constat conduit à souligner l’échec criant de leur prévention et, davantage encore, de leur traitement par la justice pénale contemporaine : 97 % de ces actes criminels n’étant pas poursuivis confinent au déni sociétal de leur existence. Lorsqu’ils ont la possibilité, très loin d’être généralisée, d’accéder aux soins, leur santé psychique s’améliore incontestablement.

Ces insuffisantes prises en compte autant par la justice pénale que par le soin, doivent impérativement conduire à se tourner vers d’autres réponses aujourd’hui disponibles. Les mesures de justice restaurative permettent, en ce sens, de combler la plupart de ces lacunes, inconcevables à notre époque. La position de la CIIVISE, telle qu’envisagée dans son rapport public, est pour le moins définitivement incompréhensible. Les arguments développés relativement à ce qu’elle qualifie « d’injustice restaurative » sont uniquement à charge, parfois désuets et très souvent anormalement falsifiés. Or les bienfaits de la justice restaurative, loin de constituer « un mécanisme du déni », ont été maintes fois démontrés scientifiquement, sauf en France où, plus généralement, l’évaluation du système de justice pénale, inévitable, est toujours paradoxalement taboue.

Il ne suffit pas d’affirmer aux victimes qu’« […] on vous croit ». Encore faut-il leur offrir des réponses, en totale transdisciplinarité, en total partenariat, en totale confiance dans les dispositifs de soins, car les répercussions des abus sexuels à l’égard des mineurs, sont multiples, profondes et durables. « L’intérêt supérieur » des mineur.e.s confrontés au crime l’exige… à défaut d’autres interventions assurant le respect de ce principe devenu universel.

Le rapport public de la CIIVISE est la preuve, la plus riche à ce jour, de l’extrême urgence à protéger les enfants et adolescents victimes d’inceste ou de violences sexuelles. Une question demeure cependant à l’issue de cette contribution : quelles sont les raisons vraiment profondes d’un si brutal rejet des diverses mesures que promeut la justice restaurative ? Néanmoins, si la CIIVISE connait actuellement de réelles difficultés de fonctionnement après le retrait de la vice-présidente et la démission du président, sa mission, essentielle, doit pour autant être poursuivie, quoi qu’il en coûte.

Pour aller plus loin :
R. Cario, La justice restaurative en France. Une utopie créatrice et rationnelle, 2020, L’Harmattan, coll. « Controverses, 2020 ».
R. Cario, Justice restaurative et droit pénal des mineurs. Des interprétations et des confusions très dommageables, LPA, 2024-1, p. 30 s.
S. Charbonneau et C. Rossi, La médiation relationnelle. Rencontres de dialogue et justice réparatrice, 2020, L’Harmattan, coll. « Criminologie ».
Forum européen pour la justice restaurative.
C. Kouchner, L’État fait peu de cas de la parole des victimes de violences sexuelles dans l’enfance, Le Monde, 20 mars 2024.
Institut français pour la justice restaurative.
P. Mbanzoulou, Les rencontres détenus-victimes : une expérience française de justice restaurative, Cahiers de la sécurité et de la justice, 2013, n° 23, p. 83 s.
C. Rossi et R. Cario R., Restorative Justice : Acknowledged Benefits vs Emerging Issues, International journal on criminology, vol. 4-2, 131-154.
N. Sarthou-Lajus, B. Sèze (propos recueillis par), À l’écoute des victimes. Des membres de la Ciase, deux ans après, Études, 2024-4314, p. 71-85.
L. Walgrave, Restorative justice, self-interest and responsible citizenship, Willan, 2021.