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Le droit en débats

Le procès de Bobigny : cinquante ans de mémoire avortée

Ceci n’est pas un article sur le droit à l’avortement… Le 22 novembre 2022, le procès de Bobigny a fêté ses cinquante ans. Incontestablement, cette affaire constitue une avancée majeure pour le droit à l’avortement. Les avocats de la défense, parmi lesquels figure Gisèle Halimi, transforment le prétoire en une tribune politique, offensive dirigée contre la loi du 31 juillet 1920 réprimant l’avortement et la propagande anticonceptionnelle. Si cette affaire a permis de faire évoluer la législation sur l’avortement, le fait de rendre public les débats d’un procès en matière d’avortement demeure pénalement répréhensible aux termes de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. La commémoration de ce procès historique nous invite à questionner le maintien de cette infraction en droit français, à l’heure où le droit à l’avortement est menacé en Europe et dans le monde.

Par Chloé Quinot et Déborah Vaiman le 07 Février 2023

Marie-Claire, seize ans, jugée pour avoir avorté

En 1971, Marie-Claire a seize ans, elle vit dans un logement populaire de la banlieue parisienne avec ses deux jeunes sœurs et Michèle, sa « mère courage », employée de la RATP, qui subvient à leurs besoins malgré ses maigres revenus.

L’été bat son plein, son ami Daniel P… vient de finir un séjour en maison de redressement et lui propose une balade en voiture au crépuscule. Daniel conduit la jeune fille chez lui, prétextant un détour nécessaire. Celle-ci, confiante avec ce garçon qu’elle connaît bien, le suit sans défiance.

La suite est une rengaine par trop attendue : il la brutalise, la menace, la traîne jusque dans sa chambre. Marie-Claire affirmera plus tard, sans équivoque, qu’il s’agissait de rapports sexuels forcés.

Marie-Claire tombe enceinte ; Daniel fuit ses responsabilités. Michèle propose alors à sa fille de l’aider à s’occuper de l’enfant ; celle-ci refuse, elle est trop jeune, elle veut continuer ses études, et par-dessus tout, ne conçoit pas l’éventualité d’élever « l’enfant d’un voyou »1.

Michèle s’entoure de deux collègues, Lucette Duboucheix et Renée Sausset. Elles contactent Micheline Bambuck, une secrétaire, initiée aux méthodes d’avortement pour l’avoir pratiqué sur elle-même des années auparavant. À cinq reprises, Micheline Bambuck, munie d’une sonde et d’un speculum, tente d’arrêter la grossesse de Marie-Claire. Malheureusement, sa dernière visite vire au cauchemar : Marie-Claire souffre d’une hémorragie, il faut la conduire au plus vite à la clinique.

Daniel P…, quant à lui, est arrêté par la police après divers larcins. Au cours d’une audition, il dénonce l’avortement subi par Marie-Claire, espérant ainsi troquer sa liberté contre cette délation. Sur ces déclarations, les policiers font irruption chez elle, tout juste sortie de la clinique et encore en grande détresse physique.

Marie-Claire Chevalier est morte le 23 janvier 2022, à l’âge de soixante-six ans. Cinquante ans plus tôt, elle comparaissait devant le tribunal pour enfants de Bobigny sur le fondement de l’ancien article 317 du code pénal qui disposait en son troisième alinéa : « Sera punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 360 francs à 20 000 francs la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet ».

Le tribunal la relaxait finalement dans une décision du 11 octobre 1972, se gardant bien de désavouer la pénalisation de l’avortement telle qu’introduite par la loi du 31 juillet 1920. C’est parce que Marie-Claire aurait souffert « de contraintes d’ordre moral, familial, social » qu’elle n’aurait eu d’autre choix que celui d’avorter. Pourtant, la jeune fille avait expliqué qu’elle avait fait ce choix en conscience, s’opposant aux conseils de sa mère, car elle ne souhaitait pas encore d’enfant.

Ainsi, comme l’écrit Annie Ernaux : « Il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi »2.

C’est justement pour faire le procès de la loi que Gisèle Halimi, aux côtés de Simone de Beauvoir et de leur association CHOISIR, a accepté de défendre les intérêts de Marie-Claire, puis ceux de sa mère, Michèle Chevalier, dans le litige qui les opposait au puritanisme de la loi du 1er août 1920, déjà suranné à l’époque.

Par ordonnance du 28 juin 1972, le juge d’instruction renvoyait devant le tribunal correctionnel de Bobigny, Michèle Chevalier, Micheline Bambuck, Lucette Duboucheix et Renée Sausset pour l’aide fournie à Marie-Claire dans son projet d’avortement.

Par décision du 22 novembre 1972, Lucette Duboucheix et Renée Sausset sont relaxées. Michèle Chevalier est condamnée à 500 francs d’amende avec sursis et Micheline Bambuck à un an de prison, également assorti du sursis.

Cette décision s’inscrit dans un déclin progressif de la répression anti-avortement à compter des années 1950. En effet, le nombre de femmes condamnées annuellement est passé sous la barre du millier dans la première moitié des années 1950, puis « sous le seuil des quatre cents […] (dont les deux tiers environ avec sursis) au début des années 1970 »3.

Le « procès d’une loi »

Les quatre prévenues et Marie-Claire prirent ainsi part à une cause qui, sans doute, les dépassait. Leur procès ouvrit la voie à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse dans une France déjà sensibilisée à cette évolution.

Une partie du chemin est déjà parcourue le 5 avril 1971, plus d’un an avant le début du procès, lors de la parution dans le Nouvel Observateur du « Manifeste des 343 ». Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Françoise Sagan, Agnès Varda, Marguerite Duras, Jeanne Moreau, Gisèle Halimi et 336 autres femmes, si ce n’est plus, signent et confessent avoir eu recours à l’avortement. Elles militent pour sa légalisation ; l’émancipation de la femme ne peut passer que par la maîtrise de son propre corps et de ses maternités. Les 343 scandent ensemble : « L’usage de notre corps n’a pas à être réglementé. Nous ne voulons pas des tolérances, des bribes de ce que les autres humains ont de naissance : la liberté d’user de leur corps comme ils l’entendent »4.

Le procès de Bobigny s’inscrit dans ce contexte de lutte. D’avantage encore que la relaxe des inculpées, c’est la condamnation d’une loi qui se joue dans l’antre de la salle d’audience. Ainsi, les personnes citées à la barre ne sont pas les témoins directs des faits reprochés à Marie-Claire et à ses avorteuses ; pour la plupart, ils ne les connaissaient pas avant d’avoir lu la presse. Il y a déplacement de l’objet du procès, et puisque le procès de Bobigny est le procès d’une loi, les témoins attesteront, non pas de l’immoralité de Marie-Claire mais de l’illégitimité de la loi.

Le substitut du procureur, Joseph Rouhaud, tient son rôle et défend les intérêts d’une société dans laquelle l’avortement demeure répréhensible, quelle que soit sa motivation. Il rappelle qu’il n’appartient pas au juge d’abroger la loi, spécule sur les regrets ou le bonheur contrarié des femmes avortées et conclut, comme le retranscrit Simone de Beauvoir dans sa préface : « Nous avons tous été des fœtus. Et nous sommes en général tous heureux de vivre »5.

La défense concentre quant à elle son argumentaire autour de deux grandes thématiques : l’iniquité produite par la loi dans son application et la nécessaire promotion de la contraception.

Comme l’affirme Gisèle Halimi, « dans la répression de l’avortement […] la discrimination joue sans partage »6.

Les avocats de la défense dénoncent ainsi une justice de classe qui ne frappe que les déshéritées. Les plus fortunées se rendent à l’étranger pour avorter, les plus démunies sont contraintes d’avorter dans des conditions déplorables pour leur santé et sont ensuite surreprésentées dans les tribunaux. Gisèle Halimi rappelle que les 343 n’ont finalement jamais été poursuivies, car il s’agissait entre autres, de grands noms de la littérature et du cinéma français, de femmes d’influence en somme.

L’abrogation de la loi de 1920 revendiquée par l’association CHOISIR n’a pas pour but d’encourager de manière inconsidérée l’avortement, seulement de laisser le choix aux femmes. Aussi, c’est la faible diffusion de la contraception, en dépit de la promulgation de la loi Neuwirth7, que Gisèle Halimi déplore. La contraception évite par définition les grossesses non-désirées. Immanquablement, sa démocratisation devait permettre la diminution du nombre d’avortements. Or, à l’époque du procès de Bobigny, 6 à 8 % des femmes usent de la contraception, seul 1 % dans les couches populaires, créant là-encore, une discrimination.

Dans la Cause des femmes, Gisèle Halimi explique sa stratégie : « C’est un procès politique parce que les accusés se font accusateurs, qu’ils décident de faire du tribunal une tribune et que par-delà les juges, c’est à l’opinion publique toute entière qu’ils s’adressent »8. En faisant de cette affaire le procès politique de la pénalisation de l’avortement, la défense inverse le rapport de force, accuse la loi et rend nécessaire l’adaptation du droit aux réalités sociales.

Le procès de Bobigny : une étape décisive pour le droit à l’avortement

Par sa médiatisation, par sa teneur et sa portée, le procès de Bobigny a contribué à l’éveil de l’opinion publique sur la question de l’avortement.

C’est en réaction à ce procès et aux critiques adressées au professeur Milliez par le Conseil national de l’Ordre des médecins pour y avoir témoigné en faveur de la défense, que 331 médecins ont déclaré pratiquer ou favoriser des avortements dans le « Manifeste des 331 » du 3 février 1973. Ils revendiquaient alors un meilleur accès aux moyens contraceptifs et la légalisation de l’avortement libre.

Le droit à l’avortement s’est par la suite invité au sein des débats de campagne des élections présidentielles, Valéry Giscard d’Estaing promettant sa dépénalisation. Simone Veil, alors ministre de la Santé auprès du président nouvellement élu, défend ce projet de loi devant le parlement à travers son célèbre discours du 26 novembre 1974. Elle prononcera notamment ces propos passés à la postérité : « Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme – je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes »9. Après de vifs débats, le projet de loi est voté et la loi promulguée le 17 janvier 197510.

La loi Veil suspend pour une période de cinq ans les dispositions pénales réprimant l’avortement en cas d’interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’à la dixième semaine sous certaines conditions. Elle prévoit notamment la consultation préalable d’un organisme chargé de délivrer à la femme souhaitant avorter des conseils adaptés à sa situation ainsi que « les moyens nécessaires pour résoudre les problèmes sociaux posés »11. Dans l’esprit du législateur, la prise en charge sociale de la femme enceinte prévaut sur l’avortement qui demeure une mesure d’exception12.

Cette loi dépénalise également sous des conditions spécifiques l’interruption volontaire de grossesse pratiquée pour motif thérapeutique, aujourd’hui appelée interruption médicale de grossesse (IMG). Il faudra attendre la loi du 31 décembre 1979 pour que les dispositions de la loi Veil de 1975 soient pérennisées13 et l’entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er mars 1994 pour que l’infraction d’avortement prévue à l’article 317 soit abrogée14.

Dépénalisé puis légalisé, l’avortement est finalement protégé. Il est remboursé par la sécurité sociale à partir de 198215 et les entraves aux opérations d’interruption de grossesse16 ou à l’information sur l’IVG17 sont pénalisées. Enfin, le délai légal est allongé à douze18, puis à quatorze semaines de grossesse19.

La loi toujours en procès

Le procès de Bobigny a donné lieu à un autre débat juridique, délaissé par la mémoire collective.

En effet, l’article 39 de la loi de 1881 punit d’une amende de 18 000 € le fait de « rendre compte des débats et de publier des pièces de procédures concernant […] les procès en matière d’avortement » et précise que cette interdiction ne s’applique pas au dispositif des décisions. L’existence de cette disposition a d’ailleurs été rappelée par le ministère public dès l’ouverture de son réquisitoire20.

Bravant cette interdiction, de nombreux journalistes ont relaté les débats et l’association CHOISIR fondée par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir a publié illégalement la sténotypie intégrale des débats du procès dans un livre qui s’est écoulé à près de 30 000 exemplaires. Revendiquant son acte, Gisèle Halimi écrira à ce sujet : « Pour la première fois dans l’histoire de l’avortement et dans l’histoire de la justice, il serait intégralement rendu compte d’un procès et d’un procès exemplaire. Action illégale, s’il en est, et très spectaculaire. Ce livre n’est ni une critique, ni une œuvre d’atmosphère mais le compte rendu pur et simple, intégral, sans le moindre commentaire, de l’audience de ce 8 novembre 1972, de 13 heures à 22 heures »21.

Aucune poursuite ne sera engagée, ni contre les journalistes, ni contre l’association CHOISIR22. De même, les diffusions ultérieures des débats du procès de Bobigny par le biais de représentations théâtrale23 et cinématographique24 ne seront pas réprimées.

Malgré la légalisation de l’avortement, l’article 39 de la loi de 1881 est toujours en vigueur. Pourtant, cette disposition pourrait être contestée au regard du droit à la liberté d’expression, tel que protégé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui se fonde sur l’article 10 de la Convention. Si l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression a un fondement légal qui réside dans la loi de 1881 (1er critère du contrôle de conventionalité)25, sa légitimité (2e critère) et sa nécessité dans une société démocratique (3e critère) semblent discutables.

D’une part, l’interdiction de rendre compte des débats des procès en avortement était initialement motivée par la répression de la « propagande anticonceptionnelle »26. L’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression poursuivait donc un but d’ordre moral. Mais au regard de l’évolution des mœurs et de la protection dont jouit désormais le droit à l’avortement, sur quel fondement repose une telle interdiction aujourd’hui ?27

D’autre part, cette interdiction est discutable au regard de la nécessité, dans une société démocratique, d’une telle entrave à la liberté d’expression et au droit du public à l’information. En effet, la Cour européenne a déjà jugé qu’en matière de procès pénal, une interdiction de publication générale et absolue entravait de manière totale le droit pour la presse d’informer le public sur des sujets qui peuvent être d’intérêt public28. S’agissant des procès en avortement, cette ingérence semble à la fois disproportionnée et anachronique dans la mesure où les derniers procès rendus en la matière sont vieux de près de cinquante ans. Or, cette durée n’est pas anodine en droit français. À titre de comparaison, il faut attendre cinquante ans pour que la reproduction et la diffusion des enregistrements audiovisuels ou sonores des audiences publiques soient libres29. De même, les documents « secret-défense » sont de plein droit communicables dès l’expiration d’un délai de cinquante ans30.

Quel est donc ce but poursuivi par l’article 39 de la loi de 1881 qui légitime l’interdiction absolue et sans limitation dans le temps de la publication des débats portant sur des procès dont l’infraction n’est même plus pénalement répréhensible ?

Il existe un intérêt historique et pédagogique indéniable à pouvoir diffuser les débats du procès de Bobigny à l’heure où le droit à l’avortement est menacé en Europe et dans le monde. Que l’on songe à la Pologne31, à l’Espagne32, au Portugal33, le droit à l’avortement est un droit fragile, victime dans des sociétés démocratiques où il paraissait pourtant acquis, d’un regain du conservatisme.

À ce titre, par une décision Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization rendue le 24 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a annulé l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 197334 qui garantissait au niveau fédéral le droit à l’avortement depuis presque cinquante ans. La Cour juge que « le droit à l’avortement n’est protégé par aucune disposition de la Constitution » et que la décision rendue en 1973 « reposait sur un récit historique erroné ». Désormais la législation de chaque État peut décider du sort réservé à l’avortement, déjà vingt cinq États fédérés ont prévu de l’interdire. Ce revirement de jurisprudence a été rendu possible par l’apparition d’une majorité conservatrice à la Cour suprême sous la présidence de Donald Trump.

En France, la constitutionnalisation du droit à l’avortement fait l’objet de débats politiques récurrents comme l’illustre le récent vote du Sénat ce 1er février 2023 en faveur de l’inscription dans la Constitution de la « liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse »35, là où la proposition de loi constitutionnelle prévoyait de garantir l’effectivité et l’égal accès aux « droits » à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception36.

Cependant, l’interdiction posée à l’article 39 de la loi de 1881 n’est ni connue, ni débattue. À cet égard, la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a modifié cette disposition en insérant une exception « lorsque les parties ont donné leur accord »37. Pourtant, le parlement a manqué l’occasion de discuter la légitimité de l’interdiction de publication des débats des procès en matière d’avortement.

Afin de poursuivre la réflexion sur l’avenir de cette disposition et de commémorer les 50 ans du procès, un groupe d’auditrices et d’auditeurs de justice de la promotion 2022 a donné une représentation du procès de Bobigny au sein de l’École nationale de la magistrature le 19 décembre 2022. Sur la base de la sténotypie des débats retranscrite par l’association CHOISIR, les participants ont interprété les rôles de chaque intervenant du procès : le président Graffan, le substitut Rouhaud, les prévenues, les témoins et les avocats.

Dans sa plaidoirie en défense de Lucette Duboucheix, l’avocat William Wulfan déclarait à propos de la loi de 1920 : « Nous savons qu’elle a perdu son fondement social, qu’elle a perdu ses fonctions profondes, qu’elle est inefficace à un point que le droit en perd de son prestige »38. N’en va-t-il pas de même de l’article 39 de la loi de 1881 ? Dans la mesure où l’avortement n’est plus pénalisé, où le procès en avortement n’a plus qu’une dimension historique, l’article 39 lui-même a perdu de son sens et nuit à la diffusion de l’histoire du droit à l’avortement. Pourtant, cette interdiction est toujours en vigueur dans le droit français, bien que caduque et contestable au regard de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme.

 

Nous remercions Maylis Contamine, Julie Domenet, Marceline Du Pont de Romémont, Ugo Giacardi, Jérémy Menant et Constance Voituriez, auditrices et auditeurs de justice, pour la relecture attentive de cet article.
Nous remercions également M. David Mayel, ancien magistrat à la 17e chambre du TJ de Paris, pour son regard expert sur le droit de la presse et M. Denis Salas, pour ses précieux conseils.

 

 

1. Association CHOISIR, Avortement : une loi en procès. L’affaire de Bobigny, Gallimard, Paris, 1973, p. 42.
2. A. Ernaux, L’événement, Gallimard, coll. « Folio », 2000, p. 47.
3. F. Cahen et C. Capuano, La poursuite de la répression anti-avortement après Vichy. Une guerre inachevée ?, Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2011/3 (n° 111), p. 119. Selon ces historiens, « Il est cependant impossible de déterminer le taux de condamnation, le Compte général de la Justice n’indiquant plus les effectifs de comparants depuis 1955 ».
4. L’association CHOISIR est née pour défendre les femmes signataires du « Manifeste des 343 ». Si l’on ne doutait pas que les plus célèbres d’entre elles ne seraient pas poursuivies pour leur prise de position, on ne pouvait en dire autant des autres. De fait, chaque membre de l’association CHOISIR s’obligeait à témoigner lors d’éventuels procès engagés à l’encontre de l’une d’entre elles.
5. G. Halimi, La cause des femmes, Gallimard, coll. « Folio », Paris, 1992, p. 106.
6. S. De Beauvoir, Préface, in Association Choisir, Avortement : une loi en procès. L’affaire de Bobigny, op. cit., p. 11.
7. La loi Neuwirth a été adoptée le 19 déc. 1967 mais souffrit de l’absence de décret d’application jusqu’au 8 mars 1972.
8. G. Halimi, La cause des femmes, op. cit., p. 113.
9. Extrait de la retranscription du discours de Simone Veil tenu à l’Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi relatif à l’interruption volontaire de la grossesse, 1re séance du 26 nov. 1974, p. 6999.
10. Loi n° 75-17 du 17 janv. 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse.
11. CSP, art. L. 162-4 dans sa version originelle.
12. « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue » in Extrait de la retranscription du discours de Simone Veil, op. cit.
13. Art. 3 de la loi n° 79-1204 du 31 déc. 1979 relative à l’interruption volontaire de la grossesse.
14. L’art. 317 c. pén. a été abrogé par l’art. 372 de la loi n° 92-1336 du 16 déc. 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur.
15. Loi n° 83-1172 du 31 déc. 1982 relative à la couverture des frais afférents à l’interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure, dite loi Roudy pour l’IVG.
16. Loi n° 93-121 du 27 janv. 1993 portant diverses mesures d’ordre social.
17. Loi n° 2004-806 du 4 août 2004 relative à la politique de santé publique.
18. Ibid.
19. Loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement.
20. Association CHOISIR, Avortement : une loi en procès. L’affaire de Bobigny, op. cit., p. 139.
21. G. Halimi, La cause des femmes, op. cit., p. 119 et 120.
22. Cela conduira Gisèle Halimi à soutenir qu’« après la loi de 1920, les dispositions concernant la publication des procès d’avortement devenaient, à leur tour, caduques. La seconde bataille de CHOISIR était également gagnée » in La cause des femmes, op. cit., p. 121.
23. « Reconstitution : le procès de Bobigny », conçu et écrit par E. Rousset et M. Boquet, créé le 10 oct. 2019 au T2G – Théâtre de Gennevilliers.
24. Le Procès de Bobigny, film réalisé par F. Luciani en 2006, reprend les éléments du procès de Bobigny tout en changeant les prénoms de M.-C. et M. Chevalier.
25. Pour plus de précisions sur le contrôle de conventionalité opéré par la CEDH en la matière, v. le Guide sur l’article 10 – Liberté d’expression.
26. C’est ainsi que les pouvoirs publics désignaient la diffusion d’informations relatives à l’avortement. De plus, il est intéressant de noter que la version originelle de l’art. 39 telle que votée par le Parlement en 1881 ne contient aucune mention des débats des procès en avortement, l’article se contentant d’interdire la publication de certains procès en diffamation.
27. À ce titre, il semble intéressant de relever que les rares décisions rendues au visa de l’article 39 de la loi de 1881 ne concernent que l’interdiction de publication des débats des procès rendus en matière de filiation et de divorce. Ainsi, selon C. Bigot, « l’article 39 de la loi sur la presse comporte toute une série de prohibitions ayant globalement pour objet de protéger la vie privée familiale » in Pratique du droit de la presse, 3e éd., Dalloz, p. 281. Ce fondement protecteur de l’individu a-t-il vocation à s’appliquer aux procès rendus en matière d’avortement et à remplacer le fondement originel de protection d’ordre public ?
28. CEDH 3 oct. 2000, n° 34000/96, Du Roy et Malaurie c. France, § 35 à propos de l’interdiction de publication relative aux procédures pénales ouvertes sur plainte avec constitution de partie civile, D. 2001. 515 , obs. J. Pradel ; ibid. 1064, obs. J.-F. Renucci ; RFDA 2001. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre ; RSC 2001. 176, obs. J. Francillon .
29. C. patr., art. L. 222-1 in fine.
30. C. patr., art. L. 213-4.
31. Depuis janv. 2021, la Pologne n’autorise l’avortement qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère.
32. En 2013, le gouvernement conservateur de M. Rajoy a présenté un projet de loi visant à restreindre le droit à l’avortement aux cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. Ce projet de loi a échoué mais le parlement espagnol a voté le 9 sept. 2015 une loi interdisant aux mineures d’avorter sans le consentement de leurs parents.
33. Le 22 juill. 2015, le parlement portugais a voté un projet de loi restreignant l’accès à l’avortement en supprimant sa gratuité et en exigeant un suivi psychologique préalable de la femme voulant avorter.
34. À l’époque, la Cour avait jugé « le droit au respect de la vie privée, présent dans le 14e amendement de la Constitution […], suffisamment vaste pour s’appliquer à la décision d’une femme de mettre fin ou non à sa grossesse ».
35. Proposition de loi constitutionnelle n° 815, modifiée par le Sénat, visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse ; enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 févr. 2023.
36. Proposition de loi constitutionnelle n° 293 visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 oct. 2022.
37. Art. 39, al. 5, de la loi de 1881 dans sa version en vigueur depuis le 24 déc. 2021, modifié modifié par la loi n° 2021-1729 du 22 déc. 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
38. Association CHOISIR, Avortement : une loi en procès. L’affaire de Bobigny, op. cit., p. 163.