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Le droit en débats

Réforme de la loi organique portant statut de la magistrature : des modifications majeures relatives au serment et la faute disciplinaire

Le texte de réforme de la loi organique soumis au Conseil constitutionnel par le Premier ministre le 16 octobre 2023 étend la formulation de la faute. Il procède une nouvelle fois à une modification du serment, la deuxième depuis 2017.

Par Emmanuel Poinas le 26 Octobre 2023

Le texte du serment remanié

S’agissant du serment le texte passe de : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. » à : « Je jure de remplir mes fonctions avec indépendance, impartialité et humanité, de me comporter en tout comme un magistrat digne, intègre et loyal et de respecter le secret professionnel et celui des délibérations. »

Ce que cette formulation a d’étrange c’est que le magistrat ne prête plus serment de « bien » remplir ses fonctions.

On voit mal ce qui justifie l’absence de référence au mot « bien ». La lecture des débats parlementaires permettra certainement d’en apprendre plus.

Le magistrat doit désormais remplir ses devoirs « avec indépendance impartialité et humanité ».

Ensuite le magistrat doit être « intègre » (admettons que ça aille mieux en le disant, selon la formule bien connue, mais convient-il de le rappeler auparavant c’était déjà le cas !) et enfin il doit aussi respecter le « secret professionnel » en plus du « secret des délibérations ». Sur ce point il en résulte une vraie innovation, théoriquement cohérente, dès lors que tous les magistrats n’étant pas astreints au « secret des délibérations » au sens juridictionnel du terme. Par exemple un magistrat affecté au ministère de la Justice a lui vocation à respecter le secret professionnel, pas le secret des délibérations d’une juridiction dès lors qu’il n’est précisément pas affecté dans une juridiction qui délibère.

Une faute disciplinaire d’expression élargie exprimant des valeurs…

S’agissant de la faute disciplinaire l’état antérieur est le suivant : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ». Il lui est substitué : « Tout manquement par un magistrat à l’indépendance, à l’impartialité, à l’intégrité, à la probité, à la loyauté, à la conscience professionnelle, à l’honneur, à la dignité, à la délicatesse, à la réserve et à la discrétion ou aux devoirs de son état constitue une faute disciplinaire. »

Sont donc désormais incriminées spécialement le manquement à l’impartialité à l’intégrité, la probité, la loyauté, la conscience professionnelle, la réserve et à la discrétion ou aux devoirs de son état.

La liste est très intéressante. Car certains termes, ne manquerons pas de poser des problèmes. L’appréciation de la loyauté en est un exemple.

… sans les hiérarchiser entre elles

À qui le magistrat doit-il être loyal ? Au texte du serment ? Au « Peuple Français » au nom duquel il statue ou à l’autorité hiérarchique ? Doit-il être loyal envers ses collègues sur quels sujets et jusqu’à quel point ?

Un magistrat qui divorce doit-il en faire part à ses collègues si la procédure n’est pas initiée dans la juridiction ou il siège ? S’il le faisait ne manquerait-il pas a contrario à son « devoir de discrétion ? ».

Ce n’est pas une vue de l’esprit, des tentatives d’incriminations ont pu être articulées à l’encontre de magistrats pour des faits légaux relevant strictement de la vie privée. Ainsi des magistrats qui ont refusé de régler des factures d’artisans qui ne leur avaient pas donné satisfaction ont-ils pu se voir discerner par un chef de cour un avertissement (CE 21 mars 2021, n° 203196, mentionné aux Tables ). Rappelons que même si l’avertissement ne ressortit pas de la procédure disciplinaire les chefs de cours ont qualité pour saisir le Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire (art. 50-2 et 63 de l’ord. n° 58-1270 du 22 oct. 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature).

L’alternative retenue par la formulation est elle aussi surprenante.

Comment imaginer manquer à la probité et respecter les devoirs de son état lorsqu’on est magistrat ? En toute logique même si on ne les partage pas nécessairement toutes, du point de vue théorique les mentions préalables à la référence aux devoirs de l’état devraient être cumulatives à celui-ci et non alternatives.

L’expression de valeurs, entre « absolu » et « ambiguïté »

La difficulté que pose l’extension des termes du serment est en réalité d’ordre purement technique. Le serment est l’expression d’une sorte de code de bonne conduite extrêmement condensé.

Mais un « code de bonne conduite » n’est pas un « code de la route ».

À la différence d’un panneau « sens interdit » ou « stop » qui ne laisse place à aucune ambiguïté, un « code de bonne conduite », et même une « charte déontologique » constituent l’expression de valeurs vers lesquelles il convient de tendre mais qui sont inapplicables telles qu’elles sont exprimées par ce qu’elles sont par nature sujettes à interprétation.

Comme la philosophe Simone Weil l’a remarqué dans son texte « l’enracinement » (S.Weil, Œuvres, Quarto Gallimard p. 40 s.), les valeurs sont l’expression de croyances auxquelles l’individu adhère et il y adhère inconditionnellement. Elles sont l’expression d’une confiance, d’une foi dans une idée. Et elles sont d’autant plus universellement reconnues que leur contenu est d’autant plus indéterminé. C’est lorsque les choses se précisent que sur le terrain de la réalité, elles se compliquent.

« Liberté, Égalité, Fraternité » cela peut vouloir dire concrètement beaucoup de choses et des choses surtout fort différentes.

Comment ne pas relier la modification du serment et la faiblesse des garanties disciplinaires ?

Comment apprécier « l’humanité » d’un magistrat qui place en détention une personne dans des conditions qu’il saura de notoriété publique indignes ? Cela ne pourrait-il lui être valablement reproché ? À la lecture du serment nouveau ce sera néanmoins possible alors qu’il n’a en réalité aucune prise sur l’état des lieux de détention. En revanche, s’il remet en liberté une personne suspectée d’actes graves en raison de la situation des lieux de détention il risque aussi d’engager sa responsabilité disciplinaire comme ayant manqué à sa « conscience professionnelle ».

On ne peut pas faire de l’expression de valeurs un impératif catégorique pratique. Le serment révisé y tend néanmoins, sans dans le même temps prévoir un rééquilibrage des procédures disciplinaires.

Ainsi pour ne citer que trois exemples, aucune disposition ne prévoit de statuer sur la validité d’une saisine au début de la procédure disciplinaire, ni organiser de « demandes d’actes » que le magistrat poursuivi devant le CSM serait en droit de demander.

De manière plus inquiétante, la réforme prévoit que la Commission d’admission des requêtes du Conseil supérieur de la magistrature, mais aussi le rapporteur désigné pour instruire sur une saisine administrative (du ministre ou du chef de Cour) pourra saisir le ministre de la Justice pour lui demander de mettre en mouvement l’Inspection de la justice afin d’enquêter sur les fautes disciplinaires alléguées à l’encontre d’un magistrat et qui seraient insuffisamment caractérisées.

Permettre à l’autorité susceptible d’engager des poursuites disciplinaires d’instruire sur des fautes alléguées à la demande de la juridiction disciplinaire sans qu’il soit possible pour le magistrat d’exercer une voie de recours contre une telle décision, ni garantir au magistrat une composition différente de la juridiction de jugement disciplinaire qui statuera sur son cas est pour le moins curieux au niveau du respect du droit à un procès équitable (et notamment de l’impartialité objective qui doit être assurée au justiciable par le tribunal).

Rappelons qu’en l’état actuel du droit les décisions du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire ne relèvent que du contrôle du Conseil d’État sans possibilité d’appel, et que celui-ci n’exerce pour les magistrats du siège qu’un contrôle de cassation sans nouvelle instruction ni nouvel examen du fond.

Qui accepterait, sans pouvoir définir son activité et ses conditions de travail, comme c’est le cas pour la quasi-totalité des membres du corps judiciaire, d’avoir à répondre de la conformité de son comportement en regard d’un code de conduite aussi vague et selon une procédure aussi spéciale sans craindre sérieusement pour l’exercice de la liberté de prescription qui lui est en principe reconnue par l’expression de textes d’un rang supérieur tel que la Constitution ou la Convention européenne des droits de l’homme ?

Pourquoi la procédure disciplinaire reste-t-elle structurellement aussi déséquilibrée alors que le nombre d’exigences déontologiques pesant sur le magistrat s’accroît ?

Retour sur la problématique du serment et l’indépendance de la justice : des risques à long terme pour l’indépendance de l’autorité judiciaire ?

La modification du texte du serment est votée après une précédente modification intervenue en 2017 (avec la suppression du mot « religieusement » ). Il s’agit donc de la deuxième autorisée validée par le Conseil constitutionnel. Ces précédents pourront être utilisés y compris par un parti politique qui souhaiterait instrumentaliser la modification du serment pour épurer la magistrature judiciaire. Dans le passé c’est une technique qui a été souvent utilisée en France pour justifier d’un « renouvellement » des membres du corps judiciaire (v. par ex., E. Poinas, Le statut de la magistrature. Réflexions sur un droit spécial, Berger-Levrault, p. 298).

La question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir si le législateur organique peut ou pas modifier la loi organique : il en a parfaitement le droit et la compétence. La question est de savoir si ces modifications pour autant qu’elles paraissent opportunes aujourd’hui ne risquent pas à terme d’être détournées de leur objet et de permettre de véritables dérives juridiques portant atteinte à l’indépendance du corps judiciaire lui-même.

L’arrêt de la CEDH, Baka contre Hongrie (CEDH, gr. ch., 23 juin 2016, Baka c/ Hongrie, n° 20261/12, AJDA 2016. 1738, chron. L. Burgorgue-Larsen ) pour caractériser l’existence d’un « effet dissuasif » sur l’ensemble des magistrats que pouvait représenter une poursuite disciplinaire engagée contre un membre du corps judiciaire qui entendait donner un avis public sur un projet de réforme de la justice porté par le pouvoir exécutif.

Donc, sans vouloir jouer les Cassandre, il y a désormais matière à se poser des questions sur les effets futurs qui pourront découler de l’actuelle rédaction du statut de la magistrature après le vote de cette réforme.