Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Reportage 

Déshériter ses enfants, mode d’emploi

En France, la Révolution a consacré la réserve héréditaire dans les successions. Et depuis, les enfants héritent tous d’une part minimale des biens de leurs défunts parents. Toutefois, le droit et la jurisprudence évoluent, les familles s’internationalisent, les situations se multiplient. Et la règle, parfois, s’assouplit, se contourne, causant plus ou moins d’émotion et de litiges.

par Anaïs Coignacle 24 décembre 2018

L’affaire Johnny et le droit de succession

Mon pays, c’est l’amour. Pendant que sortait l’album posthume ci-nommé de Johnny Hallyday en octobre dernier, ses enfants aînés, David Hallyday et Laura Smet, absents de son testament signé aux États-Unis, avançaient vers un accord de succession avec sa dernière épouse, Lætitia Hallyday, mère de ses deux dernières filles, Jade et Joy, et désignée héritière de la totalité de son patrimoine et de ses droits d’artiste. Une affaire d’héritage qui a secoué le monde des peoples et fans du chanteur. Et, plus largement, toutes les personnes intéressées par les questions de successions. « Même s’il a fait pendant sa vie ce qu’il fallait pour ses aînés, le fait que Johnny les sorte de son testament, c’est extrêmement violent, lance Anne Gotman, sociologue de la famille et autrice d’Hériter aux Presses universitaires de France, en 1988. Coucher son enfant sur le testament est une façon de le reconnaître symboliquement, poursuit-elle. Là, ils n’existent plus. C’est une erreur majeure. »

Les mois suivants, le thème « déshériter ses enfants » s’est décliné un peu partout dans les sphères juridiques, médiatiques, et même dans le secteur de l’édition. Ainsi, le site officiel de l’administration française, service-public.fr, consacrait en février dernier une question-réponse intitulée « peut-on déshériter ses enfants ? ». L’occasion de faire le point sur les grands principes juridiques français et en particulier la réserve héréditaire, concept très français, qui correspond à la part minimale du patrimoine du défunt qui doit obligatoirement revenir aux héritiers réservataires, autrement dit les descendants, ou au conjoint survivant si le défunt ne laisse pas de descendants. Il n’est donc pas, en principe, possible en France de déshériter ses enfants. Toutefois, l’héritage comprend une autre part appelée quotité disponible et qui peut, elle, être attribuée à d’autres personnes que les seuls descendants, voire à l’un ou plusieurs d’entre eux et non les autres. Il faut toutefois le préciser dans le testament ou cela peut intervenir par le biais d’une donation en amont. La répartition s’effectue ainsi : en cas de descendant unique, la réserve héréditaire correspond à la moitié de l’héritage (biens mobiliers et immobiliers) et l’autre moitié correspond à la quotité disponible. Si les enfants sont deux (qu’ils soient naturels, légitimes, adoptés, du premier mariage ou du ou des autres, à égalité), la répartition est de deux tiers pour la réserve, un tiers pour la quotité disponible. À partir de trois enfants et plus, elle est de trois quarts et un quart. Et si le défunt n’a pas d’héritier mais était marié, son veuf ou sa veuve disposera du quart du patrimoine (la réserve), les trois quarts étant la quotité disponible.

Un sujet « d’identité nationale »

Les notaires de Paris ne s’y sont pas trompés en créant un événement sur le thème « jusqu’où peut-on déshériter ses enfants ? » pour leur nuit du droit, le 4 octobre dernier. Invitée, Anne Gotman y évoque alors « un sujet passionnel et presque d’identité nationale ». Elle rappelle que si la promulgation du code civil en 1804 a consacré la réserve héréditaire, c’est la Révolution française qui en est à l’origine. « C’était une règle contre les pères, pour empêcher les aristocrates de faire ce qu’ils voulaient de leur fortune et notamment d’avantager des opposants à la révolution. » Ainsi, la loi se substitue au pouvoir paternel en instaurant l’égalité partielle entre les descendants. Une législation à l’époque très mal perçue par les juristes comme le souligne la sociologue. « On disait que c’était la machine à hacher les héritages mais il est assez drôle de voir que deux siècles plus tard, les Français sont passionnément en faveur de cette réserve. . Car cette règle ne vaut pas dans d’autres pays et notamment en droit anglo-saxon où le défunt fait ce qu’il veut de sa fortune, quitte à déshériter intégralement sa descendance s’il le souhaite. Lors de cette nuit du droit, un autre invité, Jean-Philippe Delsol, avocat au Barreau de Lyon et président de l’IREF (Institut de recherches économiques et fiscales) défendait dans une certaine mesure la liberté testamentaire et le modèle anglo-saxon, citant le cas du businessman américain Warren Buffet, troisième homme le plus riche de la planète avec une fortune estimée à 84 milliards de dollars selon le classement 2018 de Forbes. L’homme a promis de léguer de son vivant ou de sa mort 99 % de ce qu’il possède à des œuvres caritatives. Il a ainsi expliqué : « un homme très riche doit laisser à ses enfants assez pour qu’ils puissent faire ce qu’ils veulent mais par trop pour qu’ils ne fassent rien ». Une maxime qui porte d’ailleurs le nom de « conjecture de Carnegie ». Me Delsol déplore : « je vois des enfants de riches pauvres de leur richesse, et ne pas se bouger pour réussir ».

La quotité disponible, voie royale de l’inégalité

Selon la présidente de la commission communication de la chambre des notaires, Barbara Thomas-David, 80 % des successions sont réglées sans testament en France. « Ce n’est pas dans notre philosophie, notre conception de la famille n’est pas comme celle des Anglo-saxons où il faut le mériter pour hériter. » Il existe toutefois différentes possibilités légales pour favoriser ou défavoriser un ou plusieurs de ses enfants. En premier lieu grâce à la quotité disponible, cette « fraction de la succession à transmettre à qui vous voulez », rappelle la notaire. C’est ce qui s’est passé dans la famille de Luc (les prénoms ont été modifiés dans tous les témoignages, ndlr). Au moment du décès de sa grand-mère, les cinq enfants (dont sa mère) découvrent que l’immense maison familiale, vétuste mais chargée des souvenirs familiaux, serait transmise à la benjamine, née plus tard que les autres. Elle est censée l’entretenir et y accueillir la famille et les générations suivantes qui souhaitent y séjourner. Une maison secondaire reviendrait à une des filles, « tirée au sort », et les trois autres se partageraient une ferme. Sauf que la maison familiale attribuée à la benjamine dépassait financièrement le montant de la quotité disponible. « Le notaire a eu beau lui expliquer que ce n’était pas possible, elle s’est entêtée. Mais il n’a pas fait son boulot, regrette-t-il. Dans le testament, elle décidait même de choses qui n’étaient pas dans sa succession mais dans celle de son mari, mort avant elle. » Les cinq enfants se réunissent, des « clans » se forment, d’un côté pour respecter le testament, de l’autre pour respecter la loi. Finalement, « c’est la concorde familiale qui l’emporte », explique-t-il. Pour ne pas avoir de problème avec l’administration fiscale, les frères et sœurs signent un faux reçu de 50 000 F chacun, soi-disant payés par leur petite sœur comme dépassement de la quotité disponible. Celle-ci vendra la maison sans rembourser ses frères et sœurs. « Elle nous a assuré qu’elle avait dépensé plus d’un million de francs en réparation de la maison. » Personne n’a souhaité rentrer dans le contentieux, les sommes en jeu n’étant pas suffisamment importantes. Aujourd’hui, l’affaire a été classée y compris humainement même si certains regrettent la façon dont les choses se sont passées. « On sent qu’à travers le partage des biens, ce sont les liens familiaux qui sont en cause, assure Anne Gotman. La part qu’on reçoit c’est un peu la place qu’on a dans la famille ». La sociologue souligne qu’un décès engendre « un moment critique, une crise structurelle pour toutes les familles » qui n’a « rien d’anormal » selon elle. « Une place disparaît et le jeu de places se redistribue. Ce que les parents tenaient de leur vivant se remet à vivre. » Certaines fratries vont se souder, d’autres s’émanciper, rien n’étant définitivement figé. 

Cas d’école : favoriser un enfant

Ainsi parfois, les conflits gelés se réchauffent au moment de la succession. Ce fût le cas de Reine qui a découvert, effarée devant le notaire, que sa mère avait privilégié le benjamin de la fratrie, Hervé. « C’était une femme très difficile, on ne s’aimait pas. Le dernier, lui, a toujours veillé sur elle », explique-t-elle. Dans le testament « cadré, blindé », elle prend à partie ses trois autres enfants, les « insulte » et déclare donc Hervé légataire universel de cet héritage. L’article 1004 du code civil dispose que, « lorsqu’au décès du testateur, il y a des héritiers auxquels une quotité de ses biens est réservée par la loi, ces héritiers sont saisis de plein droit, par sa mort, de tous les biens de la succession ; et le légataire universel est tenu de leur demander la délivrance des biens compris dans le testament ». En tant que légataire universel, Hervé touchera donc un quart de tous les biens et en tant qu’héritier, encore un quart des trois quarts obligatoirement destinés aux quatre enfants à égalité. Quinze ans avant sa mort, la mère a déjà avantagé Hervé en lui faisant une donation : soit les sept vingtièmes d’un de ses deux appartements, le reste ayant été racheté par l’épouse de celui-ci. « La vente d’un bien immobilier n’est pas pris dans le calcul de la succession », rappelle Barbara Thomas-David. Toutefois, la donation ne peut excéder le montant de la quotité disponible, ce qui avait été ici respecté à travers cette opération. « Si, au moment de la succession, on s’aperçoit que la donation a dépassé la quotité disponible, le donataire devra rembourser aux héritiers réservataires la proportion imputée à leur part », ajoute la notaire. En l’occurrence, le bien immobilier a pris beaucoup de valeur depuis cette donation suivie de vente, si bien que la quotité disponible, au moment de la succession, a été dépassée. Hervé doit donc transmettre à ses frères et sœurs la part qui leur revient à chacun. Par ailleurs, c’est bien le légataire universel désigné qui dispose de l’intégralité du patrimoine, à charge pour lui de redonner aux héritiers leur part. Et c’est lui qui décide sous quelle forme, la réserve héréditaire étant, depuis la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions, en valeur et non plus en nature. Il peut donc, à moins d’une disposition contraire dans le testament, indemniser les héritiers (ici ses cohéritiers) en argent et n’a aucune obligation de leur attribuer des biens en nature. Ainsi, sur la prisée faite de l’appartement de la défunte par un commissaire priseur, il peut refuser à ses frères et sœurs de récupérer des objets. Ces derniers se sont largement divisés depuis la réunion devant notaire, les enjeux financiers étant importants, les litiges sur certains biens également. Les trois aînés ont donc décidé de prendre leur propre notaire. La succession du père n’avait, elle, pas posé beaucoup de difficultés, les enfants ayant opéré une renonciation de testament. « La haine de ma mère se caractérise aujourd’hui à travers une guerre d’argent dans sa succession alors que mon père, qui nous a transmis de jolies choses dans la vie, il y a eu des disputes mais ça s’est dissipé », conclut Reine.

Les partages inégalitaires, une minorité des successions

En France, les successions inégalitaires demeurent une minorité sur la totalité de celles ayant fait l’objet d’une déclaration fiscale : elles s’élevaient à 7 % d’après une étude de 1992 menée par Luc Arrondel et Anne Laferrère intitulée Les partages inégaux de successions entre frères et sœurs. Dans cet article, les deux auteurs expliquaient qu’il existe certaines caractéristiques chez le défunt, liées à une pratique inégalitaire : « un patrimoine et des revenus importants, un statut d’entrepreneur indépendant, un âge avancé, de nombreux héritiers, un patrimoine peu liquide et peu diversifié inclinent davantage à des dispositions en faveur d’un ou plusieurs enfants ». Ils ajoutent : « il semble, en revanche, beaucoup plus difficile de déterminer statistiquement quel est l’enfant favorisé. Quand il y a inégalité, c’est plus souvent un seul enfant qui est favorisé que le cas inverse où un seul est exclu ». Un chiffre et des constatations qui n’auraient pas vraiment changé selon le chercheur et même si ces derniers n’ont pu être actualisés. Les vrais changements en matière de succession ces dernières décennies portent sur l’augmentation du nombre de familles recomposées qui divise les héritages, le vieillissement de la population qui a pour conséquence de retarder l’âge où on hérite de ses parents (de 42 ans en 1984 à 50 ans en 2012 selon une autre étude de Luc Arrondel) et l’augmentation de la succession moyenne du fait de la hausse du prix de l’immobilier et du taux d’épargne élevé des Français, soit 75 % en plus entre 2000 et 2006 selon la même étude. Toutefois, ces héritages plus tardifs ont été en partie compensés « par des transferts inter vivos précoces, l’âge moyen des donateurs étant passé de 39 ans en 1984 à 37 ans seulement en 2000 ».

Avant Johnny : Jarre et Colombier

Journaliste au Monde, très suivie sur le blog Sosconso, Rafaële Rivais a publié en novembre Comment déshériter ses enfants aux éditions du Seuil. Elle y relate notamment les cas d’enfants lésés jusque devant les tribunaux, à travers deux grandes affaires médiatiques. La première concerne le compositeur de musiques de film Maurice Jarre, qui « omet intentionnellement et volontairement » de son testament son fils Jean-Michel, le compositeur de musique électronique, et sa sœur Stéfanie, décoratrice, le testateur léguant tous ses biens à sa dernière épouse. La seconde est celle de l’arrangeur musical Michel Colombier qui a légué tous ses biens à sa dernière épouse, lesquels reviendront ensuite à leurs deux filles. Ses quatre autres enfants, nés d’unions précédentes, ont été entièrement exclus du testament. Dans les deux cas, le défunt vivait dans un pays, les États-Unis, qui ne connaît pas la réserve et où il est possible de faire un testament déshéritant ses enfants. Il faut toutefois prouver que le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès selon le règlement successoral européen entré en vigueur le 17 août 2015, comme le rappelle l’auteure. Et de raconter des affaires où les preuves contraires n’ont pas été reconnues par les juges. Elle observe que « nombre de pères préfér[e]nt gratifier leurs enfants les plus jeunes, parce que ces derniers en ont plus besoin, ou parce qu’ils leur sont plus proches, ou… parce qu’ils n’ont pas encore eu le temps de les décevoir ». Et de s’interroger sur la violence de vouloir faire prévaloir la règle française sur la liberté testamentaire. Les déshérités, engagés dans de longues procédures judiciaires, ont tous été déboutés. Jean-Michel Jarre a lui saisi la Cour européenne des droits de l’homme. La cour d’appel avait précisé dans son arrêt aux enfants Colombier que « la réserve héréditaire pourrait continuer à s’appliquer si les enfants se trouvaient dans une situation de précarité économique. Mais ce n’est pas le cas », confirme Rafaële Rivais. Tous en froid avec leur père, que cherchent donc ces justiciables ?

Autres options pour déshériter ses enfants

Anne Gotman souligne qu’il existe trois notions derrière un héritage et les biens qui en découlent : « la valeur d’usage, la valeur marchande, la valeur symbolique ». Ce n’est donc pas nécessairement l’aspect financier qui intéresse les descendants. Il peut s’agir de l’usage qu’il pourrait être fait de certains biens ou encore de l’attachement lié à ce patrimoine constitué par la figure paternelle. En France, le statut d’héritier ne diffère pas selon que les enfants sont nés du premier ou dernier lit. La sociologue souligne qu’il est possible de privilégier des enfants « de 1 000 façons », par exemple en faisant choisir des biens meubles à certains et pas à d’autres. « Une égalité en droit et en valeur financière peut se traduire par une grande inégalité », note-t-elle. Dans son ouvrage, Rafaële Rivais évoque d’autres possibilités telles que « brûler la chandelle par les deux bouts afin qu’il ne reste plus rien à son décès », « vendre sa maison à des tiers, en rente viagère » ou encore « placer son argent sur des assurances-vie, dont on fera bénéficier qui on voudra, à condition toutefois que les sommes ne soient pas manifestement excessives – ce qui signifie que l’on ne peut utiliser ce procédé pour l’ensemble de sa succession ». À cela s’ajoutent la renonciation anticipée de la succession et la donation transgénérationnelle, possibles depuis la loi du 23 juin 2006. C’est ainsi que Marie et sa sœur se sont retrouvées, voilà dix ans, légataires universelles toutes les deux de l’héritage de leur grand-mère, au grand dam de leurs mère et tante. « Le but de ma grand-mère était de donner le moins possible à ses filles mais ma sœur et moi avions 20 ans, ma tante a voulu nous faire un procès, nous on n’avait rien demandé », explique-t-elle. Toutefois, le testament a été parfaitement rédigé selon les procédures légales et la tante abandonnera les poursuites. « Avec ma sœur, on s’est dit qu’on ne deviendrait jamais comme ma mère et sa sœur qui se déchirent sur un héritage », conclut Marie.

Endetter ses enfants, c’est possible

C’est ce qu’explique Rafaële Rivais dans son livre Comment déshériter ses enfants. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 205 du code civil : « les enfants doivent des aliments à leur père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ». À moins que soit reconnue l’« exception d’indignité » prévue par l’article 207-2 du code civil. La journaliste évoque plusieurs cas effrayants de parents « indignes » avec leurs enfants et qui ont pourtant tenté de leur faire payer une pension alimentaire. Devant le juge, certains enfants sont entendus dans leur refus, d’autres déboutés jusqu’à la Cour de cassation.

Il est enfin possible de laisser à ses descendants un héritage sous forme de dettes. Il pourra toujours y renoncer, avec comme contrepartie de ne rien pouvoir récupérer des biens de son parent. C’est la lourde décision qu’a failli prendre Denis Westhoff, le fils unique de l’écrivaine Françoise Sagan, qui a laissé derrière elle, en septembre 2004, une dette de plus d’un million d’euros dont une grande partie à l’Administration fiscale. « Françoise Sagan a plusieurs fois été rattrapée par les impôts et avait fini par céder certains de ses droits à l’État, raconte Jean Aittouares, l’avocat de son fils. Elle a terminé sa vie totalement ruinée. N’importe qui aurait refusé la succession. » Mais pas Denis Westhoff qui décide d’abandonner sa carrière de photographe pour se consacrer à cette mission ainsi qu’à réhabiliter, ensuite, l’œuvre de sa mère, alors en déshérence. Avant d’accepter la succession, l’héritier et son avocat se battent pour négocier la dette de Sagan auprès de tous les créanciers. Nous leur avons expliqué que s’ils refusaient, ils ne récupéreraient rien de toute façon puisque l’héritage ne serait pas accepté », explique l’avocat. Certains particuliers acceptent (il s’agit parfois de réduire la dette du quart voire plus encore). Pour d’autres, c’est plus compliqué. Sagan n’avait pas la main sur ses propres ouvrages ayant cédé les droits d’exploitation à des éditeurs. C’est notamment le cas de Julliard qui possède Bonjour tristesse, et contre lequel l’héritier va ester en justice, arguant du total abandon de l’œuvre par l’éditeur. En vain. « C’est un non-sens, s’insurge encore Me Aittouares. Comment est-il possible que des ayants droit ne puissent rien faire quand des ouvrages dorment partout dans des maisons d’édition ? » Côté administration fiscale, la négociation durera plusieurs années, auprès de plusieurs gouvernements, jusqu’à ce que l’un d’entre eux finisse par accepter l’instauration d’un échéancier avec prélèvement des revenus générés par l’œuvre de l’autrice. Ainsi, l’héritier obtient la possibilité de payer à proportion des revenus qu’il obtient, au moment où il les reçoit, au lieu de payer des échéances fixes, ce qui aurait été inadapté à la variabilité de ces revenus. L’un des arguments du binôme est que les œuvres cédées à l’État l’étaient déjà parfois à des éditeurs et que l’État, seul, n’a pas la capacité d’exploiter ces droits. « Aujourd’hui, Denis Westhoff a pratiquement payé la dette fiscale, les œuvres sont relativement bien exploitées et il a une foultitude de projets », déclare l’avocat. Il l’assure : « c’est un homme d’un courage extraordinaire. Il a pris en main l’œuvre et fait ce qu’il avait dit ». Une belle victoire pour l’héritier d’un patrimoine en faillite.