Emily S…, jeune femme canadienne, est âgée de 34 ans au moment des faits. Elle arrive à Paris le 18 avril 2014, accompagnée de Max R…, un ami avocat d’une soixantaine d’années qui l’a invitée et avec qui elle partage la chambre d’hôtel, près de l’Odéon. Après avoir été vaguement amants au Canada, ils passent un accord : chacun vivra sa vie à Paris. Emily S… visite la capitale et a pris l’habitude de se rendre au pub Galway, dans lequel elle peut parler anglais avec les serveuses et les clients anglosaxons. Elle y croise d’ailleurs des policiers du 36. Le soir du 22 avril 2014, Emily S… est seule, Max R… ayant un rendez-vous avec une autre femme. Elle se rend au Galway. Elle porte un blouson, un haut décolleté, un short court, des bas résilles, des chaussures à talons et son sac.
Appelée à la barre le 16 janvier 2019, Emily S… tient un mouchoir à la main. Elle est grande, 1m85, porte des lunettes de vue épaisses car elle ne voit pas à un mètre à la ronde, elle a les cheveux moins blonds que sur les photos qui circulent sur internet ou sur son compte Twitter. Elle préfère répondre aux questions du président de la cour d’assises de Paris mais celui-ci insiste un peu pour qu’elle parle librement. Une interprète est debout, à ses côtés. « Pas où commencer… Il y a quatre ans et demi, j’ai rencontré deux policiers dans un bar. […] J’avais trop bu et je ne pouvais pas retourner à mon hôtel et je ne pouvais pas me permettre de prendre un taxi ». Elle pleure et se reprend. Emily S… ne se sent « pas menacée » avec des policiers, aller en face lui permettra de « dégriser ». « Et ces messieurs, que je croyais gentils, ont voulu me faire visiter un commissariat qui avait été dans les films. Je pensais que je serai en sécurité. Je me souviens d’être entrée dans les locaux, un des agents a sorti son badge pour accéder dans les locaux, on a regardé des photos. Tout se passait bien. L’un d’entre eux m’a proposé à boire dans un bureau. […] Je n’avais pas vraiment envie de boire, j’ai pris le verre pour être polie, je me souviens que le verre a été poussé pour que j’avale plus, je me rappelle que c’était brûlant. […] Après, je me souviens que j’avais les genoux écartés, à terre, et que quelqu’un forçait son pénis dans ma bouche, je me rappelle qu’on m’a relevée, que l’on m’a poussée sur la table, que l’on m’a tirée soudainement mon pantalon et mes sous-vêtements [elle perd ses lunettes, selon elle, à ce moment, ndlr], que j’ai été pénétrée. […] J’ai vu les étoiles [en raison du choc de la tête sur le bureau, ndlr]. Je me souviens avoir pensé cela. Et puis quelqu’un d’autre m’a violée, j’ai senti que c’était différent à l’intérieur. […] Quand ils ont eu terminé, je ramassais mes affaires et je ne pouvais ouvrir la porte [du couloir, ndlr], j’ai été attrapée et tirée dans un autre bureau, avec la porte en face et tous les événements se sont reproduits. […] À ce stade, je voulais juste que ce soit fini et puis j’ai été autorisée à partir. J’essaie de rassembler tous mes vêtements et n’arrive toujours pas à ouvrir la porte [du couloir, ndlr], les officiers ouvrent la porte et je me rappelle que je ne voulais plus être là, je marchais précipitamment ».
Emily S… parle alors en français : « J’ai dit au premier officier que je croisais que j’étais violée ». Elle reprend en anglais. « […] Ils ont refusé de me croire, je suis passée à travers la première porte et je me suis dit que si je sortais du bâtiment, on ne me croirait pas. J’ai demandé à un agent femme mon manteau car je voulais plus de vêtements pour me couvrir. Je me rappelle avoir appelé mon père. [Il s’agit de l’une des serveuses du Galway venue traduire ses propos qui lui prête son téléphone, ndlr.] Je me rappelle être allée d’un bureau à un autre poste, on m’a proposé du café, je me rappelle avoir cherché à uriner, j’étais inquiète, je ne voulais pas une perte de preuve. Ils disaient que j’étais ivre et m’ont donné des croissants. […] Ça a duré des heures et des heures ». Emily S… s’interrompt quelques secondes, elle pleure à nouveau. « Je me rappelle qu’ils faisaient tout pour que ça s’en aille et que c’était moi qui avait mal agi. […] Après la visite à l’hôpital, j’ai été ramenée au 36 ». La jeune femme montre aux policiers où se sont déroulés les faits. Elle leur indique, sans hésitation, les deux bureaux. « J’ai pointé du doigt les bureaux, je me suis tout de suite souvenue, je n’ai pas pu rentrer, j’ai eu la nausée, j’ai vomi dans les escaliers et dans la cour ».
Sans ses lunettes, elle a du mal à distinguer ses agresseurs. Elle dira d’abord qu’ils étaient quatre, puis trois. Elle reconnaîtra et désignera Antoine Q… et Nicolas R… Un troisième policier, Sébastien C…, ne sera finalement pas poursuivi, son ADN n’étant pas retrouvé sur la plaignante qui dit d’ailleurs ne pas se souvenir de lui. « Je ne voulais pas l’impliquer si je n’étais pas sûre à 100 % », répète-t-elle à l’audience. Emily S… raconte que pendant ces longues minutes – combien exactement ? (v. en fin d’article la chronologie de la soirée) – elle se souvient de deux détails : le bruit « distinctif du clic d’un appareil photo de portable » et celui de « déchirure » de l’emballage du préservatif. À ce propos, elle ajoute, à la barre, qu’elle « suppose » qu’ils ont utilisé des préservatifs car « ce n’est pas comme si j’étais excitée ». Ni la photo ni le ou les préservatifs ne seront retrouvés : les bureaux n’ont pas été immédiatement sanctuarisés et les expertises téléphoniques n’ont pas trouvé trace d’éventuelles photos prises à ce moment.
Quand elle peut enfin descendre, elle est en « état de choc ».
L’avocat général, Philippe Courroye : Vous avez décrit des faits de viol, vous maintenez que les deux hommes ici présents étaient bien dans le bureau au moment des faits ?
Emily S… : Oui.
L’avocat général : Vous êtes affirmative ? Ils ont participé à ces faits ?
Emily S… : Oui.
L’avocat général : Vous nous confirmez que vous ne vouliez pas avoir de relations sexuelles ?
Emily S… : Oui.
L’avocat général : Avez-vous manifesté la volonté de ne pas vouloir ? Il n’y avait aucun doute possible ?
Emily S… : Je ne pense pas.
L’avocat général : Est-ce que vous vouliez sortir de ce bureau ?
Emily S… : Une fois à genoux, je ne pouvais rien faire.
L’avocat général : Vous êtes-vous considérée comme contrainte ?
Emily S… : Forcée ? Oui.
L’avocat général : Vous étiez prise au piège ?
Emily S… : Oui.
L’avocat général : Est-ce que vous vous êtes déshabillée ou on vous a déshabillée ?
Emily S… : J’ai senti que tout le bas était arraché d’une traite.
L’avocat général : On vous a enlevé le short et le collant ? On vous a forcé à les enlever ?
Emily S… : Oui.
L’avocat général : Ce collant, vous l’avez retrouvé ?
Emily S… : Non.
L’avocat général : Vous repartez sans vos collants ? Sans vos lunettes ? Quand un policier déclare vous avoir vue sans lunettes et, au rez-de-chaussée, un autre indique vous avoir vue avec des lunettes, ils peuvent avoir raison tous les deux ?
Emily S… : Oui, j’avais deux paires de lunettes [celle portée qui est tombée, selon Emily S…, lors du viol et celle qu’elle avait dans son sac et qu’elle a enfilé dans les escaliers après les faits, ndlr].
L’avocat général : Vous avez dit que vous aviez été projetée sur le bureau, que vous aviez « vu les étoiles ». Le médecin qui vous examinée le 23 avril 2014 a dit qu’il n’y avait pas de trace au visage.
Emily S… : Je ne sais pas. Je ne suis pas médecin.
L’avocat général : Ultérieurement, y a-t-il eu des traces, des rougeurs, des bleus ?
Emily S… : Je ne me rappelle pas [quelques jours plus tard, toujours à la barre, Emily S… racontera qu’à la suite de l’apparition d’un hématome au visage, elle se prendra en photo mais que l’un des enquêteurs refusera de prendre cet élément en compte. Elle a, depuis, supprimé cette photo. La défense demandera que le policier vienne corroborer cette déclaration, le président de la cour refusera, ndlr].
L’avocat général : Vous confirmez que vous avez été plaquée violemment sans que cela laisse de traces ?
Emily S… : [La plaignante montre l’arrière de son crâne, ndlr.] Ça s’est produit en un mouvement, j’ai été soulevée et plaquée, ce n’est pas mon visage à proprement parler.
L’avocat général : Il y avait combien d’agresseurs ?
Emily S… : Trois.
L’avocat général : Dont deux que vous identifiez formellement aujourd’hui ?
Emily S… : Oui.
L’avocat général : Avez-vous aujourd’hui la même perception qu’à l’époque ? Vous avez toujours dit que vous n’étiez pas consentante.
Emily S… : Oui, c’est correct.
L’avocat général : On a retrouvé l’ADN d’Antoine Q… et de Nicolas R… sur votre culotte. Comment vous l’expliquez ?
Emily S… : Ils ont retiré mes habits, m’ont violée et je l’ai remise après, je ne sais pas comment ça s’est transféré.
[…]
L’avocat général : Qu’attendez-vous aujourd’hui ?
Emily S… : Ça fait quatre ans et demi, j’ai laissé partir ma colère il y a longtemps, je veux me tenir et affronter publiquement ces hommes, qu’ils sachent ce qu’ils m’ont fait et que le processus avance.
L’avocat général : Vous avez conscience de la gravité des faits que vous dénoncez ?
Emily S… : Très au courant.
Le 25 janvier, l’avocat général lui reposera les mêmes questions. « Vous savez qu’ils encourent vingt ans de prison ? » « C’est moi qui suis emprisonnée depuis cette nuit. » « Vous avez conscience de la gravité des faits, vous les maintenez ? » « Oui. » « Vous avez été victime de viol ? ». En français : « j’ai été violée. C’étaient ces deux hommes. »
L’un des avocats de la défense, Me Schapira : Pourquoi Nicolas R… ne vous propose pas une relation consentie car ça avait l’air de bien marcher entre vous ? Pourquoi en viendrait-il à tout de suite vous contraindre ?
Emily S : Je ne sais pas. Une fois que j’avais le verre de whisky, leurs attitudes ont changé.